Page images
PDF
EPUB

Que j'aime cette église antique,
Ces murs que la flamme a couverts,
Et l'oraison mélancolique

Dont la cloche attendrit les airs!

Par une mère qui chemine

Les sons lointains sont écoutés ;
La petite Annette s'incline,
Et dit: Amen! à ses côtés.

Jadis, chez des vierges austères,
J'ai vu quelques ruisseaux cloitrés
Rouler leurs eaux solitaires

Dans des clos à Dieu consacrés.

Leurs flots si purs avec mystère
Serpentent dans ces chastes lieux
Où ces beaux anges de la terre
Foulaient des prés bénis des cieux.

Mon humble ruisseau par ta fuite,
Nous vivons, hélas! peu d'instants
Fais souvent penser ton ermite,
Avec fruit, au fleuve du Temps.

Ducis. 18

XX

LA PAUVRE FILLE

J'ai fui ce pénible sommeil

Qu'aucun songe heureux n'accompagne;
J'ai devancé sur la montagne

Les premiers rayons du soleil.
S'éveillant avec la nature,

Le jeune oiseau chantait sous l'aubépine en fleurs;
Sa mère lui portait sa douce nourriture;
Mes yeux se sont mouillés de pleurs.
Oh! pourquoi n'ai-je pas de mère ?

Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau
Dont le nid se balance aux branches de l'ormeau?
Rien ne m'appartient sur la terre,
Je n'eus pas même de berceau ;
Et je suis un enfant trouvé sur une pierre
Devant l'église du hameau.

Loin de mes parents exilée,

De leurs embrassements j'ignore la douceur;
Et les enfants de la vallée

Ne m'appellent jamais leur sœur !
Je ne partage point les jeux de la veillée;
Jamais, sous son toit de feuillée,

Le joyeux laboureur ne m'invite à m'asseoir;
Et de loin, je vois sa famille,
Autour du sarment qui pétille,

Chercher sur ces genoux les caresses du soir.
Vers la chapelle hospitalière
En pleurant j'adresse mes pas,
La seule demeure ici-bas

Où je ne sois point étrangère,

La seule devant moi qui ne se ferme pas !
Puis, à l'heure de la prière,

Souvent aussi mes pas errants
Parcourent des tombeaux l'asile solitaire ;
Mais pour moi les tombeaux sont tous indifférents.
La pauvre fille est sans parents,

Au milieu des cercueils ainsi que sur la terre!
J'ai pleuré quatorze printemps
Loin des bras qui m'ont repoussée ;
Reviens ma mère, je t'attends

Sur la pierre où tu m'as laissée.

Soumet. 18

XXI

ESPOIR ET SOUVENIR

Le Temps, dont l'aile est si légère,
Jamais sur ses pas ne revient :
Lorsque l'on aime, l'on espère;
Est-on heureux, on s'en souvient.
On embellit son existence
Par le passé, par l'avenir :
Pour la jeunesse est l'espérance,
Pour les vieillards le souvenir.

J'aime avec transport ma maîtresse,
Et mes amis avec ardeur.

Si mon amitié, ma tendresse

Semblent se partager mon cœur,

[ocr errors]

Je sens entre eux la différence,
Et je veux bien en convenir :
Lorsque l'Amour vit d'espérance,
L'Amitié vit de souvenir.

Près d'Henriette, vive et belle,
Je sens toujours nouveaux désirs;
Sa gaîté franche me rappelle

Nos serments, nos jeux, nos plaisirs.
Pour s'assurer de ma constance,
Avec art elle sait unir

Au charme heureux de l'espérance
L'attrait puissant du souvenir.

Notre plus pure jouissance

Vient du bien que nous avons fait :
Suivons la loi de bienfaisance
Pour goûter un plaisir parfait.
Du malheureux dont la souffrance
Avec un peu d'or doit finir,
Qui réalise l'espérance

Achète un bien doux souvenir.

Amis, je ne pourrai sans cesse
Aimer, chanter, boire avec vous;
Usons des moments que me laisse
Un dieu de mon bonheur jaloux :
Et quand, rompant notre alliance,
Le Temps viendra nous désunir,
Consolez-moi par l'espérance
De vous laisser mon souvenir.

Cadet de Gassicourt. 18

XXII

LE MONTAGNARD ÉMIGRÉ

Combien j'ai douce souvenance

Du joli lieu de ma naissance!
Ma sœur, qu'ils étaient beaux les jours
De France!

O mon pays, sois mes amours
Toujours!

Te souvient-il que notre mère
Au foyer de notre chaumière
Nous pressait sur son sein joyeux,
Ma chère !

Et nous baisions ses blancs cheveux
Tous deux.

Ma sœur, te souvient-il encore

Du château que baignait la Dore?

Et de cette tant vieille tour

Du Maure,

Où l'airain sonnait le retour
Du jour ?

Te souvient-il du lac tranquille
Qu'effleurait l'hirondelle agile;
Du vent qui courbait le roseau
Mobile,

Et du soleil constant sur l'eau

Si beau?

« PreviousContinue »