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XVI

LA VIOLETTE

Aimable fille du printemps,
Timide amante des bocages,
Ton doux parfum flatte mes sens;
Et tu sembles fuir mes hommages.

Comme le bienfaiteur discret
Dont la main secourt l'indigence,
Tu me présentes le bienfait
Et tu crains la reconnaissance.

Sans faste, sans admirateur,
Tu vis obscure, abandonnée,
Et l'œil encor cherche la fleur
Quand l'odorat l'a devinée.

Sous les pieds ingrats du passant
Souvent tu péris sans défense;
Ainsi sous les coups du méchant,
Meurt quelquefois l'humble innocence.

Pourquoi tes modestes couleurs
Au jour n'osent-elles paraître?
Auprès de la reine des fleurs
Tu crains de l'éclipser peut-être ?

Rassure-toi; même à la cour
La bergère sait plaire encore;
On aime l'éclat d'un beau jour
Et les doux rayons de l'aurore.

Viens prendre place en nos jardins,
Quitte ce séjour solitaire ;

Je te promets tous les matins

Une eau toujours limpide et claire.

Que dis-je ? non, dans ces bosquets
Reste, ô violette chérie !

Heureux qui répand des bienfaits,
Et, comme toi, cache sa vie !

XVII

Dubos. 17

LA JEUNE CAPTIVE

L'épi naissant mûrit de la faux respecté ;
Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été
Boit les doux présents de l'aurore;

Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui,
Je ne veux pas mourir encore.

Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la

mort;

Moi, je pleure et j'espère: au noir souffle du Nord

Je plie et relève ma tête.

S'il est des jours amers, il en est de si doux !
Hélas! quel miel jamais n'a laissé de dégoûts?
Quelle mer n'a point de tempête?

L'illusion féconde habite dans mon sein,
D'une prison sur moi les murs pèsent en vain ;
J'ai les ailes de l'espérance.
Échappée aux réseaux de l'oiseleur cruel,

Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
Philomèle chante et s'élance.

Est-ce à moi de mourir? Tranquille je m'endors, Et tranquille je veille; et ma veille aux remords, Ni mon sommeil ne sont en proie.

Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux :
Sur des fronts abattus mon aspect en ces lieux,
Ranime presque de la joie.

Mon beau voyage encore est si loin de se fin !
Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
J'ai passé les premiers à peine.

Au banquet de la vie à peine commencé,
Un instant seulement mes lèvres ont pressé
La coupe en mes mains encor pleine.

Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson;
Et, comme le soleil, de saison en saison,

Je veux achever mon année.

Brillante sur ma tige, et l'honneur du jardin,
Je n'ai vu luire encor que les feux du matin ;
Je veux achever ma journée.

O Mort! tu peux attendre: éloigne, éloigne-toi ;
Va consoler les cœurs que la honte, l'effroi,
Le pâle désespoir dévore.

Pour moi Palès encore a des asiles verts;

Le monde, des plaisirs ; les Muses, des concerts: Je ne veux pas mourir encore.

Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois
S'éveillait. Écoutant ces plaintes, cette voix,
Ces veux d'une jeune captive ;

Et secouant le joug de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliais les accents
De sa bouche aimable et naïve.

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle :

La grâce décorait son front et ses discours;
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d'elle.

André Chénier.

1792

XVIII

LA FEUILLE

"De ta tige détachée

Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu?"— Je n'en sais rien.
L'orage a frappé le chêne
Qui seul était mon soutien;
De son inconstante haleine
Le zéphyr ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,

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Sans me plaindre ou m'effrayer;
Je vais où va toute chose,

Où va la feuille de rose

Et la feuille de laurier!

Arnault. 1815

XIX

À MON RUISSEAU

Ruisseau peu connu dont l'eau coule
Dans un lit sauvage et couvert,
Oui, comme toi, je crains la foule;
Comme toi, j'aime le désert.

Ruisseau, sur ma peine passée
Fais couler l'oubli des douleurs,
Et ne laisse dans ma pensée
Que ta paix, tes flots et tes fleurs.
Le lis frais, l'humble marguerite,
Le rossignol chérit tes bords;
Déjà sous l'ombrage il médite
Son nid, sa flamme et ses accords.

Près de toi l'âme recueillie

Ne sait plus s'il est des pervers;
Ton flot pour la mélancolie
Se plait à murmurer des vers.

Quand pourrai-je aux jours de l'automne,
En suivant le cours de ton eau,
Entendre et le bois qui frissonne
Et le cri plaintif du vanneau ?

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