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XIX

COMPLAINTE DE FUALDÈS

Écoutez, peuples de France,

Du royaume de Chili,
Peuples de Russie aussi,
Du cap de Bonne Espérance,
Le mémorable accident
D'un crime très-conséquent.

Capitale du Rouergue,
Vieille ville de Rhodez,
Tu vis de sanglants forfaits
À quatre pas de l'Ambergue,
Faits par des cœurs aussi durs
Comme tes antiques murs.

De très honnête lignée
Vinrent Bastide et Jausion,
Pour la malédiction
De cette ville indignée;

Car de Rhodez les habitants

Ont

presque tous des sentiments.

Bastide le gigantesse,

Moins deux pouces ayant six pieds,

Fut un scélérat fieffé

Et même sans politesse,
Et Jausion l'insidieux
Sanguinaire, avaricieux.

Ils méditent la ruine

D'un magistrat très prudent,
Leur ami, leur confident;

Mais ne pensant pas le crime,
Il ne se méfiait pas

Qu'on complotait son trépas.

Hélas! par un sort étrange,
Pouvant vivre honnêtement,
Ayant femmes et enfants,
Jausion, l'agent de change,
Pour acquitter ses effets,
Résolut ce grand forfait.

Bastide le formidable,
Le dix-neuf mars, à Rhodez,
Chez le vieillard Fualdès
Entre avec un air aimable,
Dit: "Je dois à mon ami,
Je fais son compte aujourd'hui."

Ces deux beaux frères perfides
Prennent des associés ;
Bach et le porteur Bousquier,
Et Missonnier l'imbécille,
Et Colard est, pour certain,
Un ancien soldat du train.

Alors le couple farouche
Saisit Fualdès au Terral;
Avec un mouchoir fatal
On lui tamponne la bouche;
On remplit son nez de son
Pour intercepter le son.

Dans cet infâme repaire
Ils le poussent malgré lui,
Lui déchirant son habit,
Jetant son chapeau par terre
Et des vielleurs insolents
Assourdissent les passants.

Sur la table de cuisine
Ils l'étendent aussitôt ;
Jausion prend son couteau
Pour égorger la victime;
Mais Fualdès, d'un coup de temps,
S'y soustrait adroitement.

Sitôt Bastide l'Hercule
Le relève à bras tendus,
De Jausion éperdu,
Prenant le fer homicide,

"Est-ce là comme on s'y prend? Vas, tu n'es qu'un innocent."

"Puisque sans raison plausible,
Vous me tuez, mes amis,
De mourir en étourdi,
Cela ne m'est pas possible.

Ah! laissez-moi dans ce lieu
Faire ma paix avec Dieu."

Ce géant épouvantable
Lui répond grossièrement :
"Tu pourras dans un instant
Faire paix avec le Diable,”
Ensuite d'un large coup
Il lui traverse le cou.

Voilà le sang qui s'épanche,
Mais la Bancale aux aguets,
Le reçoit dans un baquet,

Disant: "En place d'eau blanche,
Y mettant un peu de son,
Ça sera pour mon cochon."

Fualdès meurt, et Jausion fouille.
Prenant le passepartout,
Dit: "Bastide, ramasse tout."
Il empoigne la grenouille,
Bague, clef, argent comptant,
Montant bien à dix-sept francs.

Alors chacun à la hâte,
Colard, Benoît, Missonnier,
Et Bach, le contrebandier,
Mettant la main à la pâte,
Le malheureux maltraité
Se trouve être empaqueté.

Certain bruit frappe l'ouie
De Bastide furieux,

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Un homme s'offre à ses yeux,
Qui dit : Sauvez-moi la vie,
Car, sous ce déguisement,
Je suis Clarisse Enjalran.”

Lors d'une main téméraire,
Ce monstre licencieux
Veut s'assurer de son mieux
À quel homme il a affaire,
Et trouvant le fait constant,
Teint son pantalon de sang.

Sans égard et sans scrupule
Il a levé le couteau,
Jausion lui dit: “Nigaud,
Quelle action ridicule!
Un cadavre est onéreux,
Que feras-tu donc de deux ?"

On traîne l'infortunée

Sur le corps tout palpitant;
On lui fait prêter serment.
Sitôt qu'elle est engagée,
Jausion officieux

La fait sortir de ces lieux.

Quand ils sont dedans la rue,
Jausion lui dit d'un air fier:
"Par le poison ou le fer,
Si tu causes, t'es perdue!"
Manson rend du fond du cœur
Grâce à son tendre sauveur.

Bousquier dit avec franchise,
En contemplant cette horreur:
"Je ne serai pas porteur
De pareille marchandise.
Comment, mon cher ami Bach,
Est-ce donc là ton tabac ?"

Mais Bousquier faisant la mine
De sortir de ce logis,
Bastide prend son fusil,
L'applique sur la poitrine

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De Bousquier, disant : Butor, · Si tu bouges, tu es mort.”"

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