Page images
PDF
EPUB

XXXIV

ASMODÉE

Hier, à l'heure où l'étoile scintille, J'étais plongé dans un sommeil profond; Un petit diable, armé d'une béquille, Dans mon grenier entra par le plafond. Avant, dit-il, de rêver à la noce, Ami, veux-tu choisir dans les houris Que l'amour sème en ce vaste Paris ? . . . Partons! lui dis-je en sautant sur sa bosse. Bon Asmodée, allons, allons toujours, Cherchons ailleurs l'hymen et les amours.

Par la fenêtre, après un vol rapide,
Nous nous perchons sur un brillant palais :
De là je vois une imposante Armide
Menant au doigt ses femmes, ses valets;
D'adorateurs une petite armée

À genoux flatte et son âme et ses sens;
Sous les lambris où l'orgueil vit d'encens
Le vrai bonheur s'évapore en fumée.

Bon Asmodée, allons, allons toujours,
Cherchons ailleurs l'hymen et les amours.

Un peu plus loin, sémillante et coquette,
Clara consulte un complaisant miroir;
Un art cruel préside à sa toilette
Où tout se cache et se laisse entrevoir;

R

Devant la glace, enjouée, ingénue,
Elle s'assied, pleure et rit aux éclats:
C'est l'oiseleur apprêtant ses appâts :
Gare au moineau que retiendra la glue ! . . .
Bon Asmodée, allons, allons toujours,
Cherchons ailleurs l'hymen et les amours.

Plus haut, que vois-je? un salon à l'antique ;
Sur un divan repose une Clairon,
Qui, suspendant sa tirade tragique,
S'est endormie en maudissant Néron;
Sous le manteau de Phèdre ou de Lucrèce,
Qu'elle est superbe et qu'elle a de talens!
Hélas! hélas! pourquoi depuis vingt ans
Rend-elle heureux les Romains et la Grèce?
Bon Asmodée, allons, allons toujours,
Cherchons ailleurs l'hymen et les amours.

À la lueur d'une pâle veilleuse

Zoé dévore un lourd in-octavo ;

Ses yeux sont vifs, sa pose est gracieuse ;
Chez elle s'ouvre... un sentiment nouveau.
Furtivement cette tendre vestale,
Dont le cœur cherche et poursuit un époux,
Prend chez Ricard son style à billet doux,
Et chez de Kock des leçons de morale.

Bon Asmodée, allons, allons toujours,
Cherchons ailleurs l'hymen et les amours.

Là-bas, drapant son foulard, sa pelisse,
Marche une femme au regard inspiré ;
Elle est en feu, comme la Pythonisse
Improvisant sur le trépied sacré :

C'est une Muse à la voix creuse et mâle ;
Dans sa mansarde est l'immortel vallon;
En y grimpant, l'amante d'Apollon
A déchiré sa robe virginale.

Bon Asmodée, allons, allons toujours,
Cherchons ailleurs l'hymen et les amours.

Là qu'aperçois-je auprès d'une croisée ? . . .
C'est une vierge aux mourantes couleurs
Veillant, la nuit, sur sa mère épuisée,
En lui cachant son travail et ses pleurs ;
Ange aux yeux doux, que d'amour te réclame!
Pour captiver les époux, les amants,
Ton front n'est pas orné de diamants;

Mais Dieu versa des trésors dans ton âme. . . .
Bon Asmodée, arrêtons pour toujours ;

Je trouve ici l'hymen et les amours.

Festeau. 183

XXXV

PROPHÉTIE TURGOTINE

Vivent tous nos beaux esprits,

Encyclopédistes,

Du bonheur français épris,

Grands economistes.

Par leurs soins, au temps d'Adam,
Nous reviendrons, c'est leur plan.

Momus les assiste, ô gué!

Momus les assiste.

Ce n'est pas de nos bouquins
Que vient leur science;
En eux, ces fiers paladins
Ont la sapience.

Les Colbert et les Sully

Nous paraissent grands: mais fi! Ce n'est qu'ignorance, ô gué!

Ce n'est qu'ignorance.

On verra tous les états

Entre eux se confondre ;
Les pauvres, sur leurs grabats,
Ne plus se morfondre.
Des biens on fera des lots

Qui rendront les gens égaux.
Le bel œuf à pondre, ô gué!
Le bel œuf à pondre.

Du même pas, marcheront
Noblesse et roture.
Les Français retourneront
Au droit de nature.
Adieu Parlements et Lois,
Adieu Ducs, Princes et Rois,
La bonne aventure, ô gué!
La bonne aventure.

Puis, devenus vertueux,

Par philosophie,

Les Français auront des Dieux
À leur fantaisie.

Nous reverrons un ognon

À Jésus damer le pion,

Ah! quelle harmonie, ô gué!

Ah! quelle harmonie.

Alors d'amour, sûreté

Entre sœurs et frères ;
Sacrements et parenté,

Seront des chimères.
Chaque père imitera
Loth, alors qu'il s'enivra ;
Liberté plenière, ô gué !
Liberté plenière.

Plus de moines langoureux,
De plaintives nonnes ;
Au lieu d'adresser aux cieux,
Matines et nones,

On verra ces malheureux

Danser, abjurant leurs vœux, Galante chaconne, ô gué! Galante chaconne.

Prisant des novations

La fine sequelle,

La France, des nations

Sera le modèle.

Cet honneur, nous le devrons À Turgot et Compagnons, Besogne immortelle, ô gué! Besogne immortelle.

« PreviousContinue »