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APOLLON

Que fit ensuite le téméraire ?
Répondez, ma chère.

LA MUSE

N'ayant plus maison
Sous l'horizon,

Trou ni chaumière,
Partout sans aveu,
Il demeura sans feu ni lieu.

APOLLON

Que fit encor ce téméraire ?
Répondez, ma chère.

LA MUSE

Mainte épître, un peu

Digne du feu,

Trop familière,

Où le drôle osa

Trancher du petit Spinosa.

APOLLON

Que devint alors le téméraire?

Dites-moi, ma chère.

LA MUSE

Tapi dans un coin
Un peu plus loin
Que la frontière ;
Quand l'écrit flambait,
À la flamme il se dérobait.

APOLLON

Que fit ensuite le téméraire
Répondez, ma chère.

LĄ MUSE

Il fit le méchant,

Le chien couchant,
Le réfractaire;
Et, selon les temps,

Montra le derrière ou les dents.

APOLLON

Que fait aujourd'hui le téméraire ? Répondez, ma chère.

LA MUSE

Il fait et refait

Ce qu'il a fait,

Ce qu'il voit faire ;

Subtil éditeur,

Grand copiste et jamais auteur.

APOLLON

J'ordonne, lorsque le téméraire
Sera dans la bière,

Qu'on porte soudain
Cet écrivain

Au cimetière,

Dit communément

Le charnier de St. Innocent,
Et qu'il soit écrit sur la pierre,
Par mon secrétaire:
"Ci-dessous gît qui
Droit comme un I
Eût perdu terre,

Si de Montfaucon

Le croc était sur l'Hélicon."

XXVII

Id. 17

ADIEUX A LA VIE

Adieu, je vais en ce pays

D'où ne revint point feu mon père ; Pour jamais adieu, mes amis,

Qui ne me regretterez guère.

Vous en rirez, mes ennemis ;
C'est le Requiem ordinaire.
Vous en tâterez quelque jour;
Et, lorsque aux ténébreux rivages
Vous irez trouver vos ouvrages,
Vous ferez rire à votre tour.

Quand sur la scène de ce monde
Chaque homme a joué son rôlet,
En partant il est à la ronde
Reconduit à coups de sifflet.
Dans leur dernière maladie,
J'ai vu des gens de tous états,
Vieux évêques, vieux magistrats,
Vieux courtisans à l'agonie.

Vainement en cérémonie
Avec sa clochette arrivait
L'appareil de la sacristie;
Le curé vainement oignait
Notre vieille âme à sa sortie ;
Le public malin s'en moquait;
La satire un moment parlait
Des ridicules de sa vie ;
Puis à jamais on l'oubliait:
Ainsi la farce était finie.

Petits papillons d'un moment,
Invisibles marionettes,

Qui volez si rapidement

De Polichinelle au néant,
Dites-moi donc ce que vous êtes!

Au terme où je suis parvenu,

Quel mortel est le moins à plaindre ?
C'est celui qui sait ne rien craindre,
Qui vit et qui meurt inconnu.

Voltaire. 177

XXVIII

ADIEU PANIER, VENDANGES SONT

FAITES

Pour être au ton de vos musettes En vain je cherche de l'esprit ; Momus vous écoute, et me dit : Adieu panier, vendanges sont faites.

L'amant au jardin d'amourettes
Vient dès que le printemps a lui ;
Et quand l'époux vient après lui,
Adieu panier, vendanges sont faites.

Damis, sans faire de courbettes,
Par ses talents croit parvenir;
Il ne sait flatter ni mentir :
Adieu panier, vendanges sont faites.

Vous qui des avides coquettes
Cherchez à vous faire écouter,

Ces dames vous feront chanter . .

Adieu panier, vendanges sont faites.

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