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Maint procureur et drapier
D'allonger font leur métier;
Voilà la ressemblance:
L'un allonge le procès
Et l'autre le Van Robez;
Voilà la différence.

Le perroquet et l'acteur
Tous deux récitent par cœur ;
Voilà la ressemblance:

Devant le monde assemblé
L'un siffle, l'autre est sifflé;
Voilà la différence.

Critiquer, satiriser,

C'est aux abus s'opposer;
Voilà la ressemblance:
Par l'un on veut outrager,
Par l'autre on veut corriger;

Voilà la différence.

Id. 1735

XXI

LES RARETÉS

On dit qu'il arrive ici

Grande compagnie,

Qui vaut mieux que celle-ci,

Et bien mieux choisie.

Va-t-en voir s'ils viennent, Jean;

Va-t-en voir s'ils viennent.

Un abbé, qui n'aime rien
Que le séminaire,

Qui donne aux pauvres son bien,
Et dit son bréviaire.

Va-t-en voir, etc.

Un magistrat curieux

De Jurisprudence,

Et qui, devant deux beaux yeux,

Tient bien la balance.

Va-t-en voir, etc.

Une femme et son époux,

Couple bien fidèle ; Elle le préfère à tous ; Et lui n'aime qu'elle. Va-t-en voir, etc.

Un chanoine dégoûté

Du bon jus d'octobre ; Un poëte sans vanité;

Un musicien sobre.
Va-t-en voir, etc.

Un Breton qui ne boit point;
Un Gascon tout bête;

Un Normand franc de tout point;

Un Picard sans tête.

Va-t-en voir, etc.

Une femme que le temps

A presque flétrie,

Qui voit des appas naissants

Sans aucune envie.

Va-t-en voir, etc.

OF TEL

UNIVERS

Une belle qui, cherchant
Compagne fidèle,

La choisit, en la sachant
Plus aimable qu'elle.
Va-t-en voir, etc.

Un savant prédicateur,
Comme Bourdaloue,

Qui veut toucher le pécheur.
Et craint qu'on le loue.
Va-t-en voir, etc.

Une nonne de Longchamps,

Belle comme Astrée,

Qui brûle, en courant les champs,

D'être recloîtrée.

Va-t-en voir, etc.

Un médecin, sans grands mots,
D'un savoir extrême,
Qui n'envoie point aux eaux,
Et guérit lui-même.

Va-t-en voir, etc.

Et, pour bénédiction,

Il nous vient un moine,

Fort dans la tentation,

Comme saint Antoine.

Va-t-en voir s'ils viennent, Jean ;

Va-t-en voir s'ils viennent.

La Motte. 1720

XXII

BONSOIR, LA COMPAGNIE

J'aurai bientôt quatre-vingts ans.
Je crois qu'à cet âge il est temps
D'abandonner la vie ;

Je la quitterai sans regret.
Gaîment je ferai mon paquet.
Bonsoir, la compagnie.

Quand de chez nous je sortirai,
Je ne sais pas trop où j'irai,
Mais en Dieu je me fie;
Il ne peut que me mener bien,
Aussi je n'appréhende rien:
Bonsoir, la compagnie.

J'ai goûté de tous les plaisirs,
J'en ai gardé les souvenirs,
À présent je m'ennuie ;

Mais quand on n'est plus propre à rien,
L'on se retire, et l'on fait bien :

Bonsoir, la compagnie.

Dieu fait tout sans nous consulter,
Rien ne saurait lui résister:

Ma carrière est remplie ;

À force de devenir vieux

Peut-on se flatter d'être heureux ?

Bonsoir, la compagnie.

Nul mortel n'est ressuscité
Pour nous dire la vérité

Des biens de l'autre vie ;
Une profonde obscurité
Fait le sort de l'humanité :
Bonsoir, la compagnie.

Rien ne périt entièrement,

Et la mort n'est qu'un changement,

Dit la philosophie;

Que ce système est consolant!
Je chante en adoptant ce plan:
Bonsoir, la compagnie.

Lorsque l'on prétend tout savoir,
Depuis le matin jusqu'au soir
On lit, on étudie,

Mais, par ma foi, le plus savant
N'est comme moi qu'un ignorant.
Bonsoir, la compagnie.

Lattaignant (L'Abbé de). 1757

XXIII

LA TRAGÉDIE ET LA COMÉDIE

Lucinde, en perdant son époux,

Pleure, et du sort maudit les coups;

Voilà la Tragédie.

Trois jours après, elle a grand soin
De sanglotter devant témoin ;

Voilà la Comédie.

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