J'ai vu l'aimable Cythérée,
Aux doux regards, au teint fleuri, Dans une machine entourée D'amours natifs de Chambéri.
Dans le char de monsieur son père J'ai vu Phaëton, tout tremblant, Mettre en cendre la terre entière Avec des rayons de fer blanc.
J'ai vu Mercure, en ses quatre ailes Ne trouvant pas de sûreté, Prendre encor de bonnes ficelles Pour voiturer sa déité.
J'ai vu l'amant d'une bergère, Lorsqu'elle dormait dans un bois, Prescrire aux oiseaux de se taire, Et lui chanter à pleine voix.
J'ai vu des dragons fort traitables Montrer les dents sans offenser; J'ai vu des poignards admirables Tuer les gens sans les blesser.
J'ai vu, du ténébreux empire, Accourir, avec un pétard, Cinquante lutins pour détruire Un palais de papier brouillard.
J'ai vu Roland, dans sa colère, Employer l'effort de son bras Pour pouvoir arracher de terre Des arbres qui n'y tenaient pas.
J'ai vu des guerriers en alarmes, Les bras croisés et le corps droit, Crier cent fois: Courons aux armes, Et ne point sortir de l'endroit.
J'ai vu plus d'un fier militaire Se croire digne du laurier, Pour avoir étendu par terre Des monstres de toile et d'osier.
J'ai vu souvent une furie Qui s'humanisait volontiers: J'ai vu des faiseurs de magie Qui n'étaient pas de grands sorciers.
J'ai vu trotter d'un air ingambe, De grands démons à cheveux bruns: J'ai vu des morts friser la jambe, Comme s'ils n'étaient pas défunts.
J'ai vu le maître du tonnerre, Attentif au coup de sifflet,
Pour lancer ses feux sur la terre, Attendre l'ordre d'un valet.
J'ai vu, ce qu'on ne pourra croire, Des Tritons, animaux marins, Pour danser troquer leur nageoire Contre une paire d'escarpins.
J'ai vu Diane en exercice Courir le Cerf avec ardeur; J'ai vu derrière la coulisse Le gibier courir le chasseur.
J'ai vu la vertu dans un temple Avec deux couches de carmin, Et son vertugadin très ample Moraliser le genre humain.
Dans des Chaconnes et Gavottes J'ai vu des fleuves sautillans ; J'ai vu danser deux Matelottes, Trois Jeux, six Plaisirs et deux Vents.
J'ai vu, par un destin bizarre, Les héros de ce pays-là Se désespérer en bécarre, Et rendre l'âme en ré-mi-la.
J'ai vu des ombres très palpables Se trémousser au bord du Styx; J'ai vu l'enfer et tous les diables A quinze pieds du paradis.
LA RESSEMBLANCE ET LA DIFFÉRENCE
Mars et l'Amour en tous lieux
Savent triompher tous deux;
Voilà la ressemblance: L'un règne par la fureur, Et l'autre par la douceur; Voilà la différence.
Le voleur et le tailleur
Du bien d'autrui font le leur; Voilà la ressemblance:
L'un vole en nous dépouillant, Et l'autre en nous habillant; Voilà la différence.
L'amourette et le procès
Tous deux causent bien des frais; Voilà la ressemblance:
Dans l'un on gagne en perdant, Dans l'autre on perd en gagnant; Voilà la différence.
Clitandre se plaint d'Iris, Damon se plaint de Laïs; Voilà la ressemblance: L'un murmure des rigueurs, L'autre gémit des faveurs; Voilà la différence.
Le chasseur et l'amoureux Battent le buisson tous deux;
Voilà la ressemblance:
Bien souvent, dans le taillis, L'un attrappe, et l'autre est pris; Voilà la différence.
Un rien détruit une fleur, Un rien fait périr l'honneur; Voilà la ressemblance:
La fleur peut renaître un jour, L'honneur se perd sans retour; Voilà la différence.
Clef de fer et clef d'argent Ouvrent tout appartement; Voilà la ressemblance: Le fer ouvre avec fracas,
L'argent sans bruit et tout bas; Voilà la différence,
La douceur et la beauté
Font notre félicité;
Voilà la ressemblance:
La beauté deux ou trois ans,
La douceur dans tous les temps; Voilà la différence.
Hippocrate et le canon,
Nous dépêchent chez Pluton;
Voilà la ressemblance: L'un le fait pour de l'argent Et l'autre gratuitement; Voilà la différence.
Adolescents et barbons,
Pour aimer ne sont point bons; Voilà la ressemblance:
Il n'est pas temps à quinze ans, À soixante il n'est plus temps; Voilà la différence.
L'amour donne un grand désir, Il cause aussi grand plaisir; Voilà la ressemblance: Le désir est son berceau, Le plaisir est son tombeau; Voilà la différence.
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