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XI

ÉPITAPHE D'UN CENTENAIRE

N'attends, passant, que de ma gloire
Je te fasse une longue histoire,

Pleine d'un langage indiscret :

Qui se loue irrite l'envie.

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Pour ravoir sa femme Euridice,
Orphée aux enfers s'en alla :
Est-il si bizarre caprice
Dont on s'étonne après cela ?

Puisqu'une impertinente flamme,
Pour nous troubler l'a fait venir,
Dit Pluton, rendez-lui sa femme ;
On ne saurait mieux le punir.

En vertu de mon indulgence,
Bientôt, puisqu'il le veut ainsi,
Il sera damné par avance,
Et peut-être un peu plus qu'ici.

Rendez-lui donc sa demoiselle,
Qui le suivra sans dire mot ;
Mais s'il tourne les yeux sur elle,
Qu'on me la refourre au cachot.

Ah! si des femmes incommodes
Des tours de tête délivraient,
Que de maris, comme Pagodes,
Incessamment la tourneraient !

L'ordre est suivi; mais cette fête
Se termine en tristes regrets;
Orphée ayant tourné la tête,
Redevient veuf sur nouveaux frais.

Vaine et légère comme un songe,
Qu'un dormeur prend pour vérité,
L'ombre gémit, et se replonge
Dans l'éternelle obscurité.

L'époux, qui la voit disparaître,
Se livre à son mortel ennui,
Incapable de reconnaître

Le bien qu'on lui fait malgré lui.

L'enfer, à ses plaintes touchantes,
Cessant de se laisser charmer,
Dans la Thrace, par les Bacchantes
Il s'en va se faire assommer.

Senecé. 16

XIII

ODE À LA FORTUNE

Fortune dont la main couronne
Les forfaits les plus inouis,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis?
Jusques à quand, trompeuse idole,
D'un culte honteux et frivole
Honorerons-nous tes autels?
Verra-t-on toujours tes caprices
Consacrés par les sacrifices
Et par l'hommage des mortels?

Apprends que la seule sagesse
Peut faire les héros parfaits;
Qu'elle voit toute la bassesse
De ceux que ta faveur a faits;
Qu'elle n'adopte point la gloire
Qui naît d'une injuste victoire
Que le sort remporte pour eux;
Et que, devant ses yeux stoïques,
Leurs vertus les plus héroïques
Ne sont que des crimes heureux.

Quoi! Rome et l'Italie en cendre
Me feront honorer Sylla?
J'admirerai dans Alexandre
Ce que j'abhorre en Attila ?

J'appellerai vertu guerrière

Une vaillance meurtrière

Qui dans mon sang trempe ses mains;
Et je pourrai forcer ma bouche
A louer un héros farouche,

Né pour le malheur des humains?

Quels traits me présentent vos fastes,
Impitoyables conquérants !

Des vœux outrés, des projets vastes,
Des rois vaincus par des tyrans;
Des murs que la flamme ravage,
Des vainqueurs fumants de carnage,
Un peuple au fer abandonné :
Des mères pâles et sanglantes,
Arrachant leurs filles tremblantes
Des bras d'un soldat effréné.

Juges insensés que nous sommes,
Nous admirons de tels exploits !
Est-ce donc le malheur des hommes
Qui fait la vertu des grands rois?
Leur gloire, féconde en ruines,
Sans le meurtre et sans les rapines
Ne saurait-elle subsister?
Images des Dieux sur la terre,
Est-ce par des coups de tonnerre
Que leur grandeur doit éclater?

Montrez-nous, guerriers magnanimes, Votre vertu dans tout son jour, Voyons comment vos cœurs sublimes Du sort soutiendront le retour.

Tant que sa faveur vous seconde,
Vous êtes les maîtres du monde,
Votre gloire nous éblouit;

Mais, au moindre revers funeste,
Le masque tombe, l'homme reste,
Et le héros s'évanouit.

XIV

J. B. Rousseau.

17

TURCS ET CHRÉTIENS

Un maquignon de la ville du Mans
Chez son évêque était venu conclure
Certain marché de chevaux bas Normands,
Que l'homme saint louait outre mesure.

"Vois-tu ces crins? vois-tu cette encolure? Pour chevaux Turcs on les vendit au roi.

-Turcs, monseigneur? À d'autres ! Je vous jure Qu'ils sont chrétiens ainsi que vous et moi."

Id. 17-

XV

SUR L'ÉVÊQUE DE NIMES

Pour éviter des Juifs la fureur et la rage,
Paul, dans la ville de Damas,
Descend de la fenêtre en bas.
La Parisière, en homme sage,

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