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Jeunesse sur moy a puissance,
Mais Vieillesse fait son effort
De m'avoir en sa gouvernance;
À present faillira son sort,
Je suis assez loing de son port,
De pleurer vueil garder mon hoir;*
Loué soit Dieu de Paradis,

Qui m'a donné force et povoir,
Qu'encore est vive la souris.

Nul ne porte pour moy le noir,
On vent meilleur marchié drap gris;
Or tiengne chascun, pour tout voir,
Qu'encore est vive la souris.

Id. 14

II

SUR SEMBLANÇAY

Lorsque Maillart, juge d'enfer, menoit
A Monfaucon Semblançay l'âme rendre,
À vostre advis lequel des deux tenoit

Meilleur maintien?-Pour vous le faire entendre,
Maillart sembloit homme qui mort va prendre:
Et Semblançay fut si ferme vieillart,

Que l'on cuydoit, pour vrai, qu'il menast pendre A Monfaucon le lieutenant Maillart.

* Héritier.

Clément Marot. 1527

III

SUR UN SOT

Parmi les courtisans qui lui rendaient hommage,
Un jour, Henri le Grand, dans la foule, aperçut
Un homme assez mal mis et fort laid de visage.
Ne le connaissant pas, ce monarque conçut
Le désir de savoir le rang du personnage.

Il l'appelle et lui dit: “Quel est donc votre emploi ?
Qui servez-vous?..." Le rustre, amoureux de son

être,

Répondit d'un ton fier: "Je n'appartiens qu'à moi ! -Je vous plains, mon ami! lui répliqua le roi ; Vous ne pouviez jamais avoir un plus sot maître."

F***

IV

ÉPITAPHE DE RÉGNIER

J'ai vécu sans nul pensement,
Me laissant aller doucement
À la bonne loy naturelle;
Et si m'étonne fort pourquoy
La Mort daigna penser à moy,
Qui ne pensay jamais en elle.

Régnier. 1613

V

ÉPITAPHE DE RICHELIEU

Cy-gist, oui, gist, par la mort-bleu!
Le cardinal de Richelieu,

Et, ce qui cause mon ennui,

Ma pension avecque lui.

VI

Benserade. 1642

SUR LE TEMPS

SONNET

Superbes monuments de l'orgueil des humains,
Pyramides, tombeaux, dont la vaste structure
A témoigné que l'art, par l'adresse des mains
Et l'assidu travail, peut vaincre la nature;

Vieux palais ruinés, chefs-d'œuvre des Romains,
Et les derniers efforts de leur architecture,
Colisée où souvent ces peuples inhumains
De s'entr'assassiner se donnaient tablature ;

Par l'injure des temps vous êtes abolis,
Ou du moins la plupart vous êtes démolis.

Il n'est point de ciment que le temps ne dissoude.

Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,
Dois-je trouver mauvais qu'un méchant pourpoint

noir,

Qui m'a duré deux ans, soit percé par le coude?

VII

Scarron. 165.

ÉPITAPHE D'UN COQUIN

Ci-gît qui fut de belle taille,
Qui savait danser et chanter,
Faisait des vers vaille que vaille,
Et les savait bien réciter.

Sa race avait quelque antiquaille,
Et pouvait des héros compter;
Même il aurait livré bataille
S'il en avait voulu tâter.

Il parlait fort bien de la guerre,
Des cieux, du globe et de la terre,
Du droit civil, du droit canon,

Et connaissait assez les choses
Par leurs effets et par leurs causes.
Était-il honnête homme?... Oh! non.

Id.

VIII

ÉPITAPHE DE CROMWELL

Ci-gît l'usurpateur d'un pouvoir légitime,
Jusqu'à son dernier jour favorisé des cieux,
Dont les vertus méritaient mieux

Que le trône acquis par un crime.

Par quel destin faut-il, par quelle étrange loi,
Qu'à tous ceux qui sont nés pour porter la couronne
Ce soit l'usurpateur qui donne

L'exemple des vertus que doit avoir un roi?

Pavillon. 1658

IX

ÉPITAPHE D'UN BOITEUX

Ci-gît le nommé Pédrille,

Qui toujours mourant de langueur,
Et, malgré son peu de vigueur,
Clopinant avec sa béquille,
A vécu d'ans quatre-vingt-deux...
C'est bien aller pour un boiteux.

Anon.

X

ÉPITAPHE DE BOUHOURS

Ci-gît un bel esprit qui n'eut rien de terrestre;
Il donnait un tour fin à ce qu'il écrivait;

La médisance ajoute qu'il servait

Le monde et le ciel par semestre.

Anon. 1702

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