Page images
PDF
EPUB

On prétend que la Jouissance,
Qui croyait devoir le nourrir,
Jalouse de la préférence,

Guettait l'enfant pour s'en saisir ;
Prenant les traits de l'Innocence,
Pour berceuse elle vint s'offrir,
Et la trop crédule Espérance
Eut le malheur d'y consentir.

Un jour advint que l'Espérance,
Voulant se livrer au sommeil,
Remit à la fausse Innocence
L'enfant jusques à son reveil.
Alors la trompeuse déesse
Donne bonbons à pleine mains:
L'Amour d'abord fut dans l'ivresse,

Mais mourut bientôt dans son sein.

Id. 1805

XLVI

LES ADIEUX

Vous me quittez pour aller à la gloire,
Mon triste cœur suivra partout vos pas.
Allez, volez au temple de mémoire,
Suivez l'honneur; mais ne m'oubliez pas.

À vos devoirs comme à l'amour fidèle,
Cherchez la gloire, évitez le trépas:
Dans les combats où l'honneur vous appelle
Distinguez-vous; mais ne m'oubliez pas.

Que faire, hélas ! dans mes peines cruelles,
Je crains la paix autant que les combats;
Vous y verrez tant de beautés nouvelles
Vous leur plairez; mais ne m'oubliez pas.

;

Oui, vous plairez et vous vaincrez sans cesse ;
Mars et l'Amour suivront partout vos pas.
De vos succès gardez la douce ivresse,
Soyez heureux; mais ne m'oubliez pas.

Id. 1805

XLVII

LE POINT DU JOUR

Le point du jour

À nos bosquets rend toute leur parure;
Flore est plus belle à son retour;
L'oiseau reprend doux chant d'amour :
Tout célébre dans la nature

Le point du jour.

Au point du jour

Désir plus vif est toujours près d'éclore ;
Jeune et sensible troubadour,

Quand vient la nuit, chante l'amour :
Mais il chante bien mieux encore

Au point du jour.

Le point du jour

Cause parfois, cause douleur extrême.
Que l'espace des nuits est court
Pour le berger brûlant d'amour,
Forcé de quitter ce qu'il aime

Au point du jour.

Étienne. 1805

XLVIII

LA FIN DU JOUR

La fin du jour

Sauve les fleurs et rafraichit les belles;
Je veux, en galant troubadour,

Célébrer, au nom de l'amour,

Chanter, au nom des fleurs nouvelles, La fin du jour.

La fin du jour

Rend aux plaisirs l'habitant du village ;
Voyez les bergers d'alentour

Danser en chantant tour à tour:

Ah! comme on aime, après l'ouvrage, La fin du jour.

La fin du jour

Rend aux amans et l'ombre et le mystère ; Quand Phébus termine son tour,

Vénus, au milieu de sa cour,

Avec Mars célébre à Cythère
La fin du jour.

La fin du jour

Rend le bonheur aux oiseaux du bocage;
Bravant dans leur obscur séjour

La griffe du cruel vautour,

Ils vont guetter sous le feuillage
La fin du jour.

La fin du jour

Me voit souvent commencer un bon somme;
Et pour descendre au noir séjour,

En fermant les yeux sans retour
Je dirai gaiment : c'est tout comme
La fin du jour.

Armand Gouffé. 1805

XLIX

LE VERRE

Quand je vois des gens ici-bas
Sécher de chagrin ou d'envie,
Ces malheureux, dis-je tout bas,
N'ont donc jamais bu de leur vie !
On ne m'entendra pas crier
Peine, famine, ni misère,

Tant que j'aurai de quoi payer
Le vin que peut tenir mon verre.

Riche sans posséder un sou,
Rien n'excite ma jalousie ;
Je ris des mines du Pérou,
Je ris des trésors de l'Asie ;

Car sans sortir de mon taudis,
Grâce au seul dieu que je révère,
Je vois saphir, perle et rubis
Abonder au fond de mon verre.

Tout nous atteste que le vin
De tous les maux est le remède,
Et les dieux n'ont pas fait en vain
Leur échanson de Ganymède.
Je gage même que ces coups
Que l'homme attribue au tonnerre,
Sont moins l'effet de leur courroux,
Que du choc bruyant de leur verre.

Chaque jour l'humide fléau

Des cieux ne rompt-il pas les digues?
Și les immortels aimaient l'eau,
Ils n'en seraient pas si prodigues.
Et quand nous voyons par torrent
La pluie inonder notre terre,
C'est qu'ils rejettent en jurant
L'eau que l'on verse dans leur verre.

Le bon vin rend l'homme meilleur ;
Car du monarque assis à table,
Vit-on jamais le bras vengeur
Signer la perte d'un coupable?
De son cœur le courroux banni
N'obscurcit plus son front sévère:
Armé du sceptre, il l'eût puni :
Il lui pardonne, armé du verre.

« PreviousContinue »