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La rose est des fleurs tout l'honneur,
Qui en grâce et divine odeur
Toutes les belles fleurs surpasse,
Et qui ne doit au soir flétrir,
Comme une autre fleur qui se passe,
Mais en honneur toujours fleurir:
J'aime, sur toute fleur déclose,
A chanter l'honneur de la rose.

Elle ne défend à aucun
Ni sa vue, ni son parfum;
Mais si de façon indiscrète
On la voulait prendre ou toucher,
C'est lors que sa pointue aigrette
Montre qu'on n'en doit approcher:
J'aime, sur toute fleur déclose,
À chanter l'honneur de la rose.

Id.

XXII

STANCES

Marquise, si mon visage

A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux !

Le temps aux plus belles choses
Se plait à faire un affront,
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes
Règle vos jours et vos nuits:
On m'a vu ce que vous êtes ;
Vous serez ce que je suis.

Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants,
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.

Vous en avez qu'on adore,
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore,
Quand ceux-là seront usés.

Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.

Chez cette race nouvelle
Où j'aurai quelque credit,
Vous ne passerez pour telle
Qu'autant que je l'aurai dit.

Pensez-y, belle Marquise,
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise
Quand il est fait comme moi.

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XXIII

CHANSON

Toi qui près d'un beau visage
Ne veux que feindre l'amour,
Tu pourrais bien quelque jour
Éprouver à ton dommage
Que souvent la fiction
Se change en affection.

Tu dupes son innocence;
Mais enfin ta liberté
Se doit à cette beauté
Pour réparer ton offense;
Car souvent la fiction
Se change en affection.

Bien que ton cœur désavoue
Ce que ta langue lui dit,
C'est en vain qu'il la dédit :
L'amour ainsi ne se joue;
Et souvent la fiction
Se change en affection.

Sache enfin que cette flamme
Que tu veux feindre au dehors,
Par des inconnus ressorts
Entrera bien dans ton âme;

Car souvent la fiction
Se change en affection.

Tirsis auprès d'Hippolyte
Pensait bien garder son cœur ;
Mais ce bel objet vainqueur
Se fit rendre à son mérite,

Changeant en affection,
Malgré lui, sa fiction.

Id. 16- ?

XXIV

CHANSON DE MAÎTRE ADAM

Aussitôt que la lumière
A redoré nos côteaux,
Je commence ma carrière
Par visiter mes tonneaux :
Ravi de revoir l'aurore,
Le verre en main, je lui dis :
Vois-tu sur la rive More
Plus qu'à mon nez de rubis?

Le plus grand roi de la terre,
Quand je suis dans un repas,
S'il me déclarait la guerre,
Ne m'épouvanterait pas :
À table rien ne m'étonne,
Et je pense quand je boi,
Si là-haut Jupiter tonne,
Que c'est qu'il a peur de moi.

Si quelque jour, étant ivre,
La mort arrêtait mes pas,
Je ne voudrais pas revivre
Pour changer ce grand trépas :
Je m'en irais dans l'Averne,
Faire enivrer Alecton,
Et planter une taverne

Dans la chambre de Pluton.

Par ce nectar délectable
Les démons étant vaincus,
Je ferais chanter au Diable
Les louanges de Bacchus :
J'appaiserais de Tantale
La grande altération,
Et passant l'onde infernale,
Je ferais boire Ixion....

Au bout de ma quarantaine,
Cent ivrognes m'ont promis
De venir, la tasse pleine,
Au gîte où l'on m'aura mis:
Pour me faire une hécatombe
Qui signale mon destin,
Ils arroseront ma tombe
De plus de cent brocs de vin.

De marbre ni de porphyre
Qu'on ne fasse mon tombeau,
Pour cercueil je ne désire
Que le contour d'un tonneau,

L

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