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Las! voyez comme en peu d'espace, Mignonne, elle a dessus la place,

Las las ses beautez laissé cheoir!*
O vrayment marastre Nature,

Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir.

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse ;
Comme à ceste fleur, la vieillesse

Fera ternir vostre beauté.

Id. 15-?

X

VILLANELLE

Rozette, pour un peu d'absence
Votre cœur vous avez changé ;
Et moi, sachant cette inconstance,
Le mien autre part j'ai rangé.
Jamais plus beauté si légère
Sur moi tant de pouvoir n'aura.
Nous verrons, volage bergère,
Qui premier s'en repentira.

Tandis qu'en pleurs je me consume,
Maudissant cet éloignement,

Vous, qui n'aimiez que par coutume
Caressiez un nouvel amant.

* Or choir; compounds, déchoir, échoir; subst. chûte.

Jamais légère girouette

Au vent si tôt ne se vira.
Nous verrons, bergère Rozette,
Que premier s'en repentira.

Où sont tant de promesses saintes,
Tant de pleurs versés en partant?
Est-il vrai que ces tristes plaintes
Sortissent d'un cœur inconstant ?
Dieux, que vous êtes mensongère !
Maudit soit qui plus vous croira!
Nous verrons, volage bergère,
Qui premier s'en repentira.

Celui qui a gagné ma place
Ne vous peut aimer tant que moi;
Et celle que j'aime vous passe
De beauté, d'amour et de foi.
Gardez bien votre amitié neuve:
La mienne plus ne variera;
Et puis nous verrons à l'épreuve
Qui premier s'en repentira.

Desportes. 15-?

XI

CHANSON

Qu'autres que vous soient désirées,
Qu'autres que vous soient adorées,
Çela se peut facilement ;

Mais qu'il soit des beautés pareilles
À vous, merveille des merveilles,
Cela ne se peut nullement.

Que chacun sous telle puissance
Captive son obéissance,

Cela se peut facilement ;

Mais qu'il soit une amour si forte
Que celle-là que je vous porte,
Cela ne se peut nullement.

Que le fâcheux nom de cruelles
Semble doux à beaucoup de belles,
Cela se peut facilement ;

Mais qu'en leur âme trouve place
Rien de si froid que votre glace,
Cela ne se peut nullement.

Qu'autres que moi soient misérables
Par vos rigueurs inexorables,
Cela se peut facilement;
Mais que la cause de leurs plaintes
Porte de si vives atteintes,

Cela ne se peut nullement.

Qu'on serve bien, lorsque l'on pense
En recevoir la récompense,
Cela se peut facilement;
Mais qu'une autre foi que la mienne
N'espère rien et se maintienne,

Cela ne se peut nullement.

Qu'à la fin la raison essaie
Quelque guérison à ma plaie,
Cela se peut facilement;
Mais que d'un si digne servage
La remontrance me dégage,
Cela ne se peut nullement.

Qu'en ma seule mort soient finies
Mes peines et vos tyrannies,
Cela se peut facilement;
Mais que jamais par le martyre

De vous servir je me retire,

Cela ne se peut nullement.

Malherbe. 1606

XII

CHANSON

Ils s'en vont, ces rois de ma vie,
Ces yeux, ces beaux yeux,
Dont l'éclat fait pâlir d'envie
Ceux même des cieux.
Dieux amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter

Les ennuis où cette absence
Me va précipiter?

Elle s'en va cette merveille,

Pour qui nuit et jour,

Quoi que la raison me conseille,

Je brûle d'amour.

Dieux amis, etc.

En quel effroi de solitude

Assez écarté,

Mettrai-je mon inquiétude

En sa liberté ?

Dieux amis, etc.

K

Les affligés ont en leurs peines

Recours à pleurer;

Mais quand mes yeux seroient fontaines Que puis-je espérer?

Dieux amis, etc.

Id. 1615

XIII

CHARMANTE GABRIELLE

Charmante Gabrielle,
Percé de mille dards,
Quand la gloire m'appelle
A la suite de Mars,
Cruelle départie!
Malheureux jour!
Que ne suis-je sans vie
Ou sans amour!

L'amour, sans nulle peine,
M'a, par vos doux regards,
Comme un grand capitaine
Mis sous ses étendards.
Cruelle départie!
Malheureux jour!
Que ne suis-je sans vie
Ou sans amour!

Si votre nom célèbre
Sur mes drapeaux brillait,
Jusqu'au delà de l'Èbre
L'Espagne me craindrait.

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