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Puis pauvre prisonnier, qu'on raille et qu'on tourmente,

Croisant ses bras oisifs sur son sein qui fermente,
En proie aux geôliers vils comme un vil criminel,
Vaincu, chauve, courbant son front noir de nuages,
Promenant sur un roc où passent les orages,
Sa pensée, orage éternel.

Qu'il est grand, là surtout! quand, puissance brisée,

Des porte-clefs anglais misérable risée,

Au sacre du malheur il retrempe ses droits,

Tient au bruit de ses pas deux mondes en haleine, Et mourant dans l'exil, gêné dans Sainte-Hélène, Manque d'air dans la cage où l'exilent les rois !

Qu'il est grand à cette heure où, prêt à voir Dieu même,

Son œil qui s'éteint roule une larme suprême !
Il évoque à sa mort sa vieille armée en deuil,
Se plaint à ses guerriers d'expirer solitaire,
Et, prenant pour linceul son manteau militaire,
Du lit de camp passe au cercueil !

2

A Rome où du sénat hérite le conclave,

À l'Elbe, aux monts blanchis de neige ou noirs de

lave,

Au menaçant Kremlin, à l'Alhambra riant,
Il est partout !-Au Nil je le retrouve encore,
L'Égypte resplendit des feux de son aurore ;
Son astre impérial se lève à l'orient.

Vainqueur, enthousiaste, éclatant de prestiges,
Prodige, il étonna la terre des prodiges.

Les vieux scheiks admiraient l'émir jeune et prudent;
Le peuple redoutait ses armes inouïes:
Sublime, il apparut aux tribus éblouies
Comme un Mahomet d'occident.

Leur féerie a déjà réclamé son histoire.
La tente de l'Arabe est pleine de sa gloire.
Tout Bédouin libre était son hardi compagnon;
Les petits enfants, l'œil tourné vers nos rivages,
Sur un tambour français règlent leurs pas sauvages,
Et les ardents chevaux hennissent à son nom.

Parfois il vient, porté sur l'ouragan numide,
Prenant pour piédestal la grande pyramide,
Contempler les déserts, sablonneux océans;
Là, son ombre éveillant le sépulcre sonore,
Comme pour la bataille y ressuscite encore
Les quarante siècles géants.

Il dit debout! soudain chaque siècle se lève,
Ceux-ci portant le sceptre et ceux-là ceints du glaive ;
Satrapes, Pharaons, Mages, peuple glacé.

Immobiles, poudreux, muets, sa voix les compte ;
Tous semblent, adorant son front qui les surmonte,
Faire à ce roi des temps une cour du passé.

Ainsi tout, sous les pas de l'homme ineffaçable,
Tout devient monument; il passe sur le sable?
Mais qu'importe qu'Assur de ses flots soit couvert,
Que l'Aquilon sans cesse y fatigue son aile?
Son pied colossal laisse une trace éternelle
Sur le front mouvant du désert.

3

Histoire, poésie, il joint du pied vos cimes.
Éperdu, je ne puis dans ces mondes sublimes
Remuer rien de grand sans toucher à son nom.
Oui, quand tu m'apparais, pour le culte ou le blâme,
Les chants volent pressés sur mes lèvres de flamme,
Napoléon! soleil dont je suis le Memnon!

Tu domines notre âge; ange ou démon, qu'importe ! Ton aigle dans son vol, haletant, nous emporte. L'œil même qui te fuit te retrouve partout.

Toujours dans nos tableaux tu jettes ta grande ombre.

Toujours Napoléon, éblouissant ou sombre,

Sur le seuil du siècle est debout.

Ainsi, quand du Vésuve explorant le domaine,
De Naple à Portici l'étranger se promène,
Lorsqu'il trouble, rêveur, de ses pas importuns,
Ischia, de ses fleurs embaumant l'onde heureuse,
Dont le bruit, comme un chant de sultane

amoureuse,

Semble une voix qui vole au milieu des parfums;

Qu'il hante de Pæstum l'auguste colonnade;
Qu'il écoute à Pouzzol la vive sérénade
Chantant la tarentelle au pied d'un mur toscan;
Qu'il éveille en passant cette cité momie,
Pompéï, corps gisant d'une ville endormie
Saisie un jour par le volcan;

Qu'il erre au Pausilippe avec la barque agile
D'où le brun marinier chante Tasse et Virgile;
Toujours, sous l'arbre vert, sur les lits de gazon,
Toujours il voit, du sein des mers ou des prairies,
Du haut des caps, du bord des presqu'îles fleuries,
Toujours le noir géant qui fume à l'horizon.

Victor Hugo

III

BACCHANALIAN SONGS-LOVE SONGS

Γ

CHANSON

Une chançon encor voil
Faire, pour moi conforter,
Pour celi dont je me doil*
Voeil mont chant renoveler:
Por ce ai talent de chanter;
Car quant je ne chant, mi oil
Tornent sovent en plorer.
Simple et france† sans orgoil
Quidait ma dame trover:
Molt me fut de bel acoil,
Mès ce fut pour moi grever,
Si sont à li mi penser,
Ke la nuit, quant je somoil,
Va mes cuer merci crier.

Thibault, Comte de Champagne. 124— ?

* Désole.

+ Franche.

Je pensai.

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