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XVIII

ROMANCE CHEVALERESQUE

Partant pour la Syrie,
Le jeune et beau Dunois
Venait prier Marie
De bénir ses exploits.
Faites, reine immortelle,
Lui dit-il en partant,
Que j'aime la plus belle,
Et sois le plus vaillant.

Il trace sur la pierre
Le serment de l'honneur,
Et va suivre à la guerre
Le comte son seigneur.
Au noble vœu fidèle,
Il dit, en combattant :
Amour à la plus belle!
Honneur au plus vaillant !

"Je te dois la victoire,
Dunois," dit le seigneur.
"Puisque tu fais ma gloire,
Je ferai ton bonheur.
De ma fille Isabelle
Sois l'époux à l'instant,
Car elle est la plus belle,
Et toi le plus vaillant.”

À l'autel de Marie,

Ils contractent tous deux

Cette union chérie,

Qui seule rend heureux.

Chacun dans la chapelle
Disait, en les voyant :
Amour à la plus belle !

Honneur au plus vaillant !

La Reine Hortense

XIX

SOUVENIRS D'UN VIEUX MILITAIRE

Te souviens-tu, disait un capitaine
Au vétéran qui mendiait son pain,
Te souviens-tu qu'autrefois dans la plaine
Tu détournas un sabre de mon sein?
Sous les drapeaux d'un mère chérie,
Tous deux jadis nous avons combattu ;
Je m'en souviens, car je te dois la vie :
Mais, toi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu?

Te souviens-tu de ces jours trop rapides,
Où le Français acquit tant de renom?
Te souviens-tu que sur les Pyramides,
Chacun de nous osa graver son nom?
Malgré les vents, malgré la terre et l'onde,
On vit flotter, après l'avoir vaincu,

Notre étendard sur le berceau du monde :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?

Te souviens-tu que les preux d'Italie
Ont vainement combattu contre nous ?
Te souviens-tu que les preux d'Ibérie
Devant nos chefs ont plié les genoux ?

Te souviens-tu qu'aux champs de l'Allemagne
Nos bataillons, arrivant impromptu,

En quatre jours ont fait une campagne :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu?

Te souviens-tu de ces plaines glacées
Où le Français, abordant en vainqueur,
Vit sur son front les neiges amassées
Glacer son corps sans refroidir son cœur ?
Souvent alors au milieu des alarmes,
Nos pleurs coulaient, mais notre œil abattu
Brillait encor lorsqu'on volait aux armes :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?

Te souviens-tu qu'un jour notre patrie
Vivante encor descendit au cercueil,
Et que l'on vit, dans Lutèce flétrie
Des étrangers marcher avec orgueil ?
Grave en ton cœur ce jour pour le maudire,
Et quand Bellone enfin aura paru,
Qu'un chef jamais n'ait besoin de te dire :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?

Te souviens-tu... Mais ici ma voix tremble,
Car je n'ai plus de noble souvenir ;
Viens-t'en l'ami, nous pleurerons ensemble
En attendant un meilleur avenir.

Mais si la mort, planant sur ma chaumière,
Me rappelait au repos qui m'est dû,
Tu fermeras doucement ma paupière,
En me disant: Soldat, t'en souviens-tu ?

Émile Debraux. 1819

XX

FANFAN LA TULIPE

Comme l'mari d'notre mère
Doit toujours s'app'ler papa,
Je vous dirai que mon père

Un certain jour me happa;

Puis, me m'nant jusqu'au bas de la rampe

M'dit ces mots qui m'mir'nt tout sans d'ssus d'ssous : J'te dirai ma foi

Qui gnia plus pour toi

Rien chez nous ;

V'là cinq sous,
Et décampe.

En avant,

Fanfan la Tulipe,

Oui mill' nom d'un' pipe

En avant.

Puisqu'il est d'fait qu'un jeune homme
Quand il a cinq sous vaillant,

Peut aller d'Paris à Rome,

Je partis en sautillant.

L'premier jour je trottais comme un ange,
Mais l'lend'main

Je mourais quasi d'faim.

Un r'cruteur passa

Qui me proposa.

Pas d'orgueil,

J'm'en bats l'œil,

....

Faut que j'mange!

En avant, etc.

Quand j'entendis la mitraille,
Comm' je r'grettais mes foyers!
Mais quand j'vis à la bataille
Marcher nos vieux grenadiers;

Un instant, nous somm's toujours ensemble,
Ventrebleu, me dis-je alors tout bas!
Allons, mon enfant,

Mon petit Fanfan,
Vite au pas,
Qu'on n'dis'pas
Que tu trembles.
En avant, etc.

En vrai soldat de la garde,
Quand les feux étaient cessés,
Sans r'garder à la cocarde
J'tendais la main aux blessés.
D'insulter des homm's vivant encore

Quand j'voyais des lâch's se faire un jeu,
Quoi! mill' ventrebleu !

Devant moi, morbleu !.
J'souffrirais

Qu'un Français
S'deshonore !

En avant, etc.

Vingt ans soldat vaill’que vaille,
Quoiqu'au d'voir toujours soumis,
Un' fois hors du champ d'bataille
J'nai jamais connu d'enn'mis.
Des vaincus la touchante prière
M'fit toujours

Voler à leur secours.

P't'et c'que j'fais pour eux,

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