Page images
PDF
EPUB
[ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

» Cela eft clair, cela eft bien rimé, cela dit ce que » cela veut dire; cela ne laiffe pas d'être le plus » plat du monde ».

ככ

XCV. Un des plus grands admirateurs de Corneille, c'êtoit certainement M. Despréaux; mais il ne l'admiroit pas fans restriction. Il l'eût regardé comme le premier Poëte de fon fiècle, & peut-être de tous les fiècles, fi le jugement eût un peu plus règlé fon efprit & fa prodigieufe fécondité. « Son "génie, difoit-il, fembloit incliner d'abord vers »le Tendre, le Touchant & le Paffionné, du moins fi l'on en juge par le Cid, & par quelques Vers de l'Illufion Comique: mais fa vocation naturelle » l'entraînoit du côté du Grand & du Merveil leux; & l'Amour, qu'il regardoit comme une "paffion frivole, n'entroit guères que par furprise » dans la plupart de fes Tragédies. Il fembloit dédaigner la Tendreffe, de peur qu'elle n'avilît fon » ftile accoutumé au plus éclatant Sublime. De-là » vient qu'il femble chauffer le Cothurne dans les reproches, que le Père du MENTEUR Dorante, fait à fon Fils; refte à favoir s'il n'abuse pas de » la permiffion qu'Horace donne à la Comédie, d'é» lever quelquefois fa voix ».

ככ

ככ

Du reite, il paroît que Corneille faifoit des Vers moins par goût que par inspiration : il en a fouvent retranché d'excellens, & manqué à corriger de trèsmédiocres. Cela paroîtra par ces deux Vers fupprimés dans Théodore. On vient menacer la Sainte de la prostitution, en lui difant:

Comme dans les tourmens vous trouvés des délices, On veut dans les plaifirs vous trouver des fupplices. A quelques Actes de -là, cette même menace eft

réïtérée, jufqu'à donner à entendre que l'exécution en fera très-prochaine; à propos de quoi, Théodore répond que fi elle êtoit pouffée à cette extrêmité,

On la verroit offrir d'une ame réfolue

A l'Epoux fans macule une Epouse impollue. M. de Fontenelle à qui je récitai ces Vers, fans lui dire ni le nom de la Pièce, ni celui de l'Auteur, fe récria: « Qui eft donc le Ronfard, qui a pû écrire "ainfi ? Ceft, lui repliquai-je, votre cher Oncle, le GRAND CORNEILLE.

ככ

XCVI. M. Defpréaux difoit affés volontiers dans la Conversation: « C'eft un tel Ouvrage, ou un »tel Auteur que j'ai eu en vue en faifant mes » Vers »; cependant il ne nous a jamais dit qu'il eût eu deffein d'attaquer Corneille dans fa I. Epitre au Roi, auquel il dit:

(144) Ce n'eft pas qu'aifément, comme un autre,à ton char Je ne puffe attacher Alexandre & Céfar.

Corneille avoit pourtant donné une belle prife au Satirique, par cette façon triviale de louer le Roi, que le même Corneille emploïa dans un Remerciment, qu'il fit à ce Prince en 1663. fur une Penfion, qu'il en avoit obtenuë. C'eft ainfi que ce grand Poëte s'exprime, en parlant au Roi de fon Génie & de fes Vers:

Par eux de l'Andromède il fut ouvrir la Scène,
On y vit le Soleil inftruire Melpomène,

Et lui dire qu'un jour Aléxandre & Céfar,
Seroient comme vaincus attachés à ton char.

REMARQUES.

(144) Ce n'est pas &c.] Voïés, Epît, I. Vers 7. Rem. T. I, p. 266.

XCVII. M. Defpréaux difoit ordinairement que pour être un bon Louangeur, il falloit être un bon Satirique. Sa raifon êtoit qu'il n'y a que la bonne Critique, qui puiffe faire diftinguer ce qui eft véritablement louable ou blâmable. « Qu'est-ce qu'on rifque, difoit-il, à critiquer, même un peu trop légèrement? On rifque tout au plus à passer pour trop difficile: mais dès qu'on louë de travers ou mal-à-propos, il n'y a pas de milieu, on passe infailliblement pour un Sot ».

[ocr errors]

כל

[ocr errors]

XCVIII. Selon M. Defpréaux, l'Ode êtoit l'Ouvrage de notre Langue, qui demandoit les plus beaux mots; on y pardonneroit plutôt un mauvais fens qu'un mot bas. « C'eft, difoit-il, ce que n'en»tend point M. de La Motte, qui nous vient faire des Satires en Odes, & qui y emploie les mots de Quatrain & de Strophe. J'avois un beau champ » à mettre ces mots dans ma Poëtique,qui eft un Ouvrage de Préceptes; je les ai pourtant évités, quoiqu'à la rigueur on ne dût pas m'en faire un crime ». La Motte emploie encore des Rimes de Bout-rimés, comme celles de Sirinx, & de Sphinx; d'ailleurs il affecte fouvent de parler à la manière des Oracles, pour ne point fe rendre trop commun par un langage clair & intelligible.

XCXIX. M. (145) le Maréchal de Vivonne êtoit un Homme de beaucoup d'efprit fans Belles-Lettres. Il aimoit paffionnément M. Defpréaux, dont les Ouvrages ne lui plaifoient pas moins qu'à Mefdames de Montefpan & de Thiange, Soeurs du Marêchal. C'étoit un Seigneur, qui faifoit des Vers, & qui, mê

REMARQUES.

( 145 ), le Marichal de Vivonne ] Voïés, Tome I. page_262. Rem, fecond Alinea, & p. 314. Epit. IV. Vers 107. Rem. Tome III. pag. 1. & 163. les deux Lettres à M. DE VIVONNE, Rem, 1. 9. & 13. de la 1. & Rem. 1. 2. 3. & 4. de la II,

me

me au jugement du Satirique, en eût pû faire d'excellens, s'il s'en fût donné la peine. (146) Le Marquis de Bellefonds fut choifi pour porter la queue du Roi dans une fameufe cérémonie ; & M. Defpréaux nous citoit les Vers, que fit ce Marêchal à cette occafion, & les trouvoit admirables:

Bellefonds, Porte-queue à cafaque traînante,

Du plus grand des Mortels fuivoit la marche lente, Et montrant au Public ce qu'il a de menton, Faifoit dire aux paffans: Pourquoi le choifit-on? C'êtoit encore un Seigneur fertile en bon mots: Au paffage du Rhin, il montoit un Cheval blanc: fon Cheval paffa des premiers; & comme le Fleu ve êtoit un peu rapide, le Marêchal adreffa ces paroles à fon cheval, qu'il appelloit Jean: JEAN-LEBLANC, difoit-il, ne fouffre pas qu'un Général des Galères foit noïé dans l'eau douce.

C. A Meffine où commandoit ce Marechal, un Officier vint le réveiller, pour lui dire quelque chofe; & commença fon compliment par: « Mon» feigneur, je vous demande pardon fi je vous » viens réveiller ». Et moi, je vous demande pardon fi je me rendors, repartit le Marêchal en fe retournant du côté de la ruelle.

CI. Ce qui attachoit encore le plus M. Defpréaux au Marêchal, c'eft qu'aux endroits qui le frappoient dans les Satires, lui & Mefdames fes Soeurs jet

REMARQUES.

(146) Le Marquis de Bellefonds ] BERNARDIN Gigault, Marquis de Bellefonds; Seigneur de 1Ifle Marie &c. Maître d'Hôtel du Roi, & depuis Premier Ecufer de Madame la Dauphine; Gouverneur de Vincennes; Chevalier des Ordres du Roi, fut fait Maxéchal de France en 1668. Il avoit êté Ambaffadeur en Espagne en 1665. & en Angleterre en 1670. Il mourut le . Decembre 1694. agé de 64. ans, & fut enterré dant le Chœur de la Saints Chapelle de Vincennes, où l'on voit fon Epitaphe. G

Tome V.

toient de groffes larmes, pour marquer l'excès de leur joie. M. Defpréaux n'aimoit point à lire à des Buftes; il êtoit attentif aux ïeux de fes auditeurs, où il croïoit découvrir ce que l'on penfoit de fes Ouvrages. Un jour à Bâville, M. le Premier Préfident le pria de lire la Satire à fon Efprit à un grand Seigneur très-cauftique. Ce Seigneur,après l'avoir écoutée fans donner aucun figne de vie, lui dit pour tout remerciment, & encore très-féchement: Voilà de beaux Vers. C'eft de ce Mifantrope dont M. Defpréaux a dit dans fa Satire à M. de Valincourt:

(147) Le Ris fur fon vifage eft en mauvaise humeur.

CII. M. Defpréaux n'êtoit pas infenfible aux loüanges; mais il ne vouloit être loué que par occafion. Quand on chargeoit trop l'encenfoir, il avoit coutume de dire: Vous ne me rendrés pas impertinent. Son autre refrain êtoit celui-ci: Faime qu'on me life, & non pas qu'on me loue. Il avoit la converfation traînante, & l'avoit euë de même dès fa première jeuneffe. Il gagnoit à être vu & pratiqué; fon entretien êtoit doux, & n'avoit ni ongles ni griffes, comme il le difoit lui-même. Il n'êtoit point avare de louanges avec ceux qui les méri– toient: mais les Efprits faux & les Ignorans préfomptueux n'avoient pas beau jeu avec lui. Ç'a toujours êté l'équité, qui a dicté les jugemens, qu'il a portés; & fon véritable caractère est exprimé dans ces deux Vers de l'Art Poëtique:

& non pas de médire,

(148) L'ardeur de se montrer,
Arma la vérité du vers de la Satire.

REMARQUES.

(147) Le Ris fur fon vifage &c. ] Sat. XI. Vers 39. Rem. Tome 1. pag. 215.

(148) L'ardeur de fe montrer, &c.] Art Poët, Chant H. Vers 145. Rem. Tome II. pag. 14.

« PreviousContinue »