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vare de Molière à celui de Plaute, qui eft outré dans plufieurs endroits, & entre dans des détails bas & ridicules. Au contraire, celui du Comique moderne eft dans la nature, & une des meilleures Pièces de l'Auteur. C'eft ainfi qu'en jugeoit M. Defpréaux.

LXXXIII. Je vantois à M. Despréaux la Pièce de Britannicus, en préfence du fils de M. Racine. M. Defpréaux difoit que fon Ami n'avoit jamais fait de Vers plus fententieux; mais il n'êtoit pas content du dénoûment. Il difoit qu'il êtoit trop puéril: que Junie voïant fon Amant mort, fe fait tout d'un coup Religieufe, comme fi le Couvent des Veftales, êtoit un Couvent d'Urfulines; au lieu qu'il falloit des formalités infinies pour recevoir une Veftale. Il difoit encore que Britannicus eft trop petit devant Néron. Mais il m'apprit une circontance affés particulière fur cette Pièce, qui n'eut pas d'abord un fuccès proportionné à fon mérite. Le Rôle de Néron y êtoit joué par (136) Floridor, le

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REMARQUES.

(136) Floridor,] Voïés, Tome I. pag. 70. Sat. III. Vers 188 Rem. Outre ce que M. Broffette a dit dans la Remarque à laquelle je renvoie, je ne fais rien autre chofe de Fioridor, que ce que j'en trouve dans un Plaidoié Manufcrit de M. Maboul, Procureur Général des Requêtes de l'Hôtel. "Le Traitant de la Recherche des ,, faux Nobles de Paris, dit ce Magiftrat, aïant fait affigner le nommé Floridor, fameux Comédien, qui prenoit la qualité d'Ecuier ce Floridor répréfenta au Confeil dans une Requête, ,, qu'il étoit Cadet d'une Maifon Noble, dont les Aînés s'êtoient établis ,, en Allemagne & en Italie, & qu'ainfi il n'avoit pas tous les Ti, tres juftificatifs; & que comme il êtoit engagé au fervice de la Comédie dans la Troupe entretenue par le Roi, il ne pouvoit le quitter pour aller chercher lui-même fes Titres. Il demanda un délai de fix mois pour les produire. Ce qui lui fut accordé par ,, un Arrêt du Confeil, qui fait défenfe au Traitant de faire pendant ce tems aucune pourfuite contre lui, ni d'exercer aucune contrainte, ce qui préjuge par conféquent, qu'il n'avoit pas même dérogé à la Nobleffe par cette Profeffion,,. Ce Plaidoïé eft de l'an 1692. dans la Caufe de la Troupe des Comédiens, inftiués Légataires Univerfels par Judith de Nevers, dite La Guyot,

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meilleur Comédien de fon fiècle; mais comme c'êtoit un Acteur aimé du Public, tout le monde fouffroit de lui voir représenter Néron, & d'être obligé de lui vouloir du mal. Cela fut caufe que l'on donna le Rôle à un Acteur moins chéri, & la Pièce s'en trouva mieux.

LXXXIV. M. Defpréaux regardoit le dénoûment de Bajazet comme un des meilleurs de Racine, & le Caractère du Vizir Acomat comme un des plus beaux, qu'il ait mis fur la Scène: mais (137) il trouvoit les Vers de Bajazet trop négligés.

LXXXV. M. Racine, quelques années avant de mourir, avoit une forte d'indifférence pour fes Ouvrages. Il ne voulut jamais corriger les épreuves d'une nouvelle Edition, ni changer des endroits,qui méritoient d'être réformés. M. Defpréaux prit ce foin pour la gloire de fon Ami. Il nous difoit que M. Racine êtoit venu à la Vertu par la Religion, fon tempéramment le portant à être railleur, inquiet, jaloux & voluptueux.

LXXXVI. M. Defpréaux entroit dans une espèce d'enthousiasme lorfqu'il parloit de Louis XIV. « C'eft un Prince difoit-il, qui ne parle jamais fans » avoir pensé. (138) Il conftruit admirablement

tout ce qu'il dit; fes moindres reparties fentent » le Souverain ; & quand il eft dans fon domesti

REMARQUES.

leur ancienne Camarade, dans fon Teftament olographe du 26. Juillet 1691.

(137) il wouvoit les Vers de Bajazet trop négligés.] M. Defpréaux fe connoifloit fi bien en Vers, qu'on n'ofe pas être ouvertement d'un avis contraire au fien. Tout ce qu'on peut dire, c'eft que ce qu'il appelloit négligence dans les Vers de Bajazet, eft bien récompenfé par les beautés du Stile. Cette Tragédie me paroît la mieux écrite de toutes celles de Racine, comme Andromaque me paroît la mieux verfifiée.

(138) Il conftruit admirablement tout ce qu'il dit; ] PAVILLON donne à peu près la même louange au Roi, dans ces Vers,

» que, il femble recevoir la loi plutôt que la

→ donner ».

LXXXVII. La Comédie de (139) l'Andrienne, attribuée à Baron, aïant êté fort eftimée, quoique peu courue, M. Defpréaux difoit qu'il trouvoit Baron bien hardi de s'être expofé à montrer de la Raifon aux hommes, en leur traduifant Térence.

LXXXVIII. Sur l'objection, que je lui faifois que M. Vaugelas montroit affés peu d'estime pour les genres Satirique & Comique de fon tems, quoique d'ailleurs Regnier y eût déja affés bien réuffi; il me répondit que c'êtoit la faute de Regnier qui s'êtoit fouffert de trop grandes licences, & un Stile quelquefois trop bas & trop outré de plaisan

REMARQUES.

qui fe trouvent dans la dernière Edition de fes OEUVRES:
Il eft le feul fujet des plus belles Harangues,

Il remplit l'Univers & d'amour & d'effroi ;
Il protège toutes les Langues,

Et parle le François en Roi.

(139) Andrienne, attribuée à Baron, ] On prétend que cette Comé die eft du célèbre Jéfuite Charles de La Rue. Les autres Pièces imprimées fous le nom de Baron, font, à ce que l'on dit, de diffe rens Auteurs. Baron êtoit cependant lui-même fort capable de produire quelque chofe de bon; & l'on ne peut guères s'empêcher de croire, qu'il eft Auteur, du moins en partie, des Pièces, qu'il avoic adoptées. Il s'appelloit Michel Boyron. Son Père, Marchand Mercier d'Ifloudun en Berri, quitta fa Profeffion pour fe faire Comédien, changea fon nom en celui de Baron, & fe fit eftimer, comme l'un des meilleurs A&teurs de fon tems pour le Tragique. Le Fils excella dans tous les genres, auxquels il voulut s'appliquer. Sa rentrée au Théatre François en 1720. ramena dans la Tragédie le naturel que Ponteuil & Beaubourg en avoient exilé depuis fi longtems, & qui depuis fa mort & celle de la célèbre Le Couvreur femble l'avoir quittée pour n'y plus reparoître. Du moins voïonsnous aujourd'hui qu'un Acteur, plein d'efprit & de goût, y rend prefque en vain le Sentiment dans toute fa précision. Notre Jeuneffe femble difpofée à n'applaudir qu'à des cris, qui, pour trop exprimer, n'expriment rien. Baron naquit à Paris fur la Paroiffe S. Sauveur en 1652. & mourut dans cette Ville le 22. Decembre 1729. âgé de 77. ans, n'êtant retiré du Théâtre que du mois de Septembre précèdent.

terie; comme ce Vers par exemple, pour exprimer un Bossu :

Les Alpes en jurant lui grimpoient au collet.

Au refte, ce fut moi, qui lui appris que Regnier avoit une Penfion du Roi de 2000 livres fur un Bénéfice; ce que je lui fis voir dans une Satire du même Auteur, qui commence par ce Vers:

(140) Perclus d'une jambe, & d'un bras.

LXXXIX. M. Defpréaux foutenoit que les Monologues êtoient d'une très-grande reffource dans les Comédies, fur-tout depuis que les Chœurs en avoient êté bannis, contre l'opinion de ceux qui trouvent que rien n'eft plus ennuïeux que de voir des gens

REMARQUES.

(140) Perclus &c.] C'eft au commencement de fa XIX. Satire, que Regnier parle de la Penfion.

Perclus d'une jambe & des bras,
Tout de mon long entre deux dras,
Il ne me refle que la langue
Pour vous faire cette barangue.
Vous fçavez que j'ay penfion,
Et que l'on a pretention,
Soit par fotife, ou par malice,
Embaraffant le Benefice,

Me rendre, en me torchant le bec,
Le ventre creux comme un rebec.
On m'en baille en difcours de belles
Mais de l'argent point de nouvelles ;
Encore au lieu de payement,
On parle d'un retranchement
Me faifant au nez grife mine,
Que l'Abbaye eft en ruine,

Et ne vaut pas, beaucoup s'en faut,
Les deux mille francs qu'il me faut;
Si bien que je juge, à fon dire,
Malgré le feu Roy noftre Sire,
Qu'il defirercit volontiers

Lachement me reduire au tiers.

On apprend par ces derniers Vers, que c'eft d'Henri III,

que

Regnier tenoit fa Penfion.

qui parlent tout feuls fur le Théâtre. Dans le Monologue, difoit-il, on ne parle point tout feul, » mais on pense tout feul. Il y a mille chofes que

les Hommes les plus épanchés ne difent point » à leurs Confidens, parce que cela découvriroit » trop le fecret de leur cœur. Phocas, par exemple, » dans Héraclius, fait un aveu des plus indifcrets » à Crifpe fon Confident, en lui rappellant la baf»feffe de fon origine, & lui avouant qu'il ne doit » la Couronne qu'à fes crimes, qui l'ont fait Em» pereur, de miférable Soldat qu'il êtoit. Cela auroit »êté fupportable dans un Monologue: mais il n'eft » pas naturel qu'un Prince, quoique Homme de fortune, aille fe déclarer pour un Coquin devant » un de fes Sujets, que l'exemple pourroit encoura»ger au même crime. Augufte n'eft point blâmable » de s'être adreffé ces Vers à lui-même dans un Mo»nologue du Cinna:

,, Rentre en toi-même, Octave, & ceffe de te plaindre. ,, Quoi! tu veux qu'on t'épargne, & n'as rien épargné? ,, Songe aux Fleuves de fang où ton bras s'eft baigné. » Mais fa bonne foi deviendroit outrée, fi cela fe >>paffoit autrement qu'entre fon cœur & lui ».

XC. M. Defpréaux trouvoit une autre petiteffe dans la même Tragédie d'Heraclius, où Pulchérie croit intimider l'Empereur en le tutoïant, & lui faifant mille bravades. « Il falloit, difoit-il, que » cet Homme fi noir, que ce Tiran fi déclaré, fut » devenu un Homme bien commode, pour écouter » de fens froid toutes les vaines menaces d'une » Folle ». Caractére tout des plus faux, & vraiment digne d'une Pièce que M. Defpréaux appelloit une espèce de Logogriphe,

Il difoit encore que Cornélie dans Pompée, êtoit une fauffe Romaine, puifqu'aïant tant de fujets d'être animée contre Céfar, elle vient lui décou

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