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mille bonnes raisons pour l'appuïer, qui ont échappé à ma mémoire.

LXXII. M. Defpréaux difoit que les Vers les plus fimples de fes Ouvrages êtoient ceux qui lui avoient le plus coûté; que ce n'eft qu'à force de travail qu'on parvient à paroître aifé à fes Lecteurs; qu'on leur ôte par là toute la peine, qu'on s'eft donnée. « Ce ne font pas continuoit-il, les grands » traits de pinceau, ni ces coups de Maître, qui > arrêtent un Ecrivain dans fon progrès; ce font

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REMARQUES.

,,tre la raifon qu'il y a entre une Ligne courbe & une Ligne droite, & par ce moïen qu'il eût connu parfaitement la Qua,, drature du Cercle, fe trouveroit-il dignement loué, fi celui qui porteroit la parole pour tout le corps des Mathématiciens lui difoit: Nous venons, Monfieur, vous rendre mille graces de ce que "9 vous avés êté plus loin qu'ARCHIMEDE, & de ce que vous nous avés fait connoître une vérité commune, fur laquelle on avoit toujours travaillé inutilement. Elle étoit commune cette vérité, mais vous seul avés en l'honneur de la pénètrer,& de commune qu'elle étoit, vous Pavés rendue PUBLIQUE. Je fuis fur, ajoute M. de Sevigné, que M. Dacier trouvera que celui qui lui parleroit ainsi, lai diroit ,, une fotife. Pourquoi la veut-il faire dire à Horace,,? Toutes les Réponses de M. le Marquis de Sevigné font à peu près du même goût. Il badine avec légèreté; il raifonne avec efprit. Pour M. Dacier, il fe défend en Savant, c'eft tout dire. Des Expreffions mauffades & injurieufes font les ornemens de fon Erudition. Au lieu de preuves réelles & de raifonnemens décififs, il cite tous les Philofophes & tous les Jurifconfultes, les uns après les autres. Hippocrate même eft amené fur la Scène. "Si la difpute eût duré plus longtems, dit M. de Sevigné, il y a apparence qu'il y auroit fait venir auffi les Apoticaires & qu'il auroit prouvé for ,, tement, qu'avec le fecours des fimples bien préparées, communia, ignota, indicta inexperta, font termes finonimes, & ,, qu'on peut s'en fervir indifféremment toutes les fois qu'il en ,, prend envie,,. On ignore quelle fût la décifion de M. de Harlat, ou s'il voulut en donner une; mais il eft certain que le fentiment de M. de Sevigné paroît le plus vrai, & le plus conforme au but d'Horace. M. Brueys dans fa Paraphrafe de l'Art Poetique l'avoit déja fuivi. Le Père Tarteron Jéfuite s'eft auffi éloigné de l'opinion de M. Dacier; & dans le tems de la difpute, M. de Sevigné affure luimême, qu'il avoit pour partifans un grand nombre de Beaux-Efprits. Voici ce que M. de Valincour lui écrivit le . de Janvier 1698. "Vous perdés bien de ne pas favoir le Grec. On a trouvé un paf

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quelquefois des niaiferies, qui coûtent le plus à » exprimer ». Il en donnoit pour exemple ces quatre Vers de la Satire de l'Homme, qui ne renferment rien d'extraordinaire, & dont pourtant il n'eft venu à bout que très-difficilement:

(122) Lui feul vivant, dit-on, dans l'enceinte des villes,
Fait voir d'honnêtes mœurs, des coûtumes civiles,
Se fait des Gouverneurs, des Magistrats, des Rois,
Obferve une Police, obéit à des Loix.

LXXIII. Bien des gens ont crû que Chapelle, Auteur du Voïage de (123) Bachaumont, avoit beaucoup aidé Molière dans fes Comédies. Ils étoient certainement fort amis; mais je tiens de M. Defpréaux, qui le favoit de Molière, que jamais il ne s'eft fervi d'aucune Scène, qu'il eût empruntée de Chapelle. Il est bien vrai que dans la Comédie des Fâcheux MOLIERE êtant preffé par le Roi, eut recours à Chapelle pour lui faire la Scène de Caritidès, que

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REMARQUES.

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,, fage dans Hermogène, qui décide fi nettement à vôtre égard la queftion de communia, qu'il n'y a pas de replique. Voïés quello gloire ce feroit pour vous de défaire M. Dacier avec un paffage Grec! Je vous l'envoirai en Latin, fi vous voulés,,... M. Dacier ne fe retracta pas.... Toujours ataché à son interprétation, & à l'apologie, qu'il en avoit faite, il en prit la défenfe jufqu'à la fin. Dans la troisième Edition de la Traduction d'Horace donnée en 1709. il ofe même dire que ceux qui ont foutenu un fentiment contraire au fien, fe font trompés & jettent Horace dans une contradiction manifefte. Aporte-t-il de nouvelles raifons? Non. Cète matière, felon lui, êtoit fufifament éclaircie. Le fentiment de fon Adverfaire, à qui il ne fait pas feulement l'honeur de le nommer, eft abfurde: il l'avoit démontré, il continue au moins à le dire, & l'on continuera à n'en rien croire. C'est ainfi que M. l'Abbé Goujet rend comte de la Querèle Litteraire de M. Dacier avec le Marquis de Sevigné, Biblioth. Franç. Tome III. pp. 71.-78.

(122) Lui feul &c.] Sat, VIII., Vers 119. Voïés-y la Remarque, Tome I. p. 124.

(123) Bachaumont, ] FRANÇOIS Le Coigneux de Bachaumont, mort agé de 78, ans en 1702. feize ans après fon Ami Chapelle.

Molière trouva fi froide qu'il n'en conferva pas un feul mot; & donna de fon chef cette belle Scène, que nous admirons dans les Fâcheux. Et fur ce que Chapelle tiroit vanité du bruit, qui courut dans le monde, qu'il travailloit avec Molière, ce fameux Auteur lui fit dire par M. Defpréaux qu'il ne favorisât pas ces bruits-là; qu'autrement il l'obligeroit à montrer fa miférable Scène de Caritidès où il n'avoit pas trouvé la moindre lueur de plaifanterie. (124) M. Defpréaux difoit de ce Chapelle, qu'il avoit certainement beaucoup de feu, & bien du goût, tant pour écrire que pour juger; mais qu'à fon Voiage près, qu'il eftimoit une Pièce excellente, rien de Chapelle n'avoit frappé les véritables Connoiffeurs; toutes fes autres petites Piéces de Poëfie êtant informes & négligées, & tombant fouvent dans le bas, témoin fes Vers fur l'Eclipfe, où il finit par ce quolibet, Gare le pot au noir, & fait venir, comme par machines, Jufte Lipfe, afin de trouver une Rime à Eclipfe.

REMARQUES.

(124) M. Despréaux difoit de ce Chapelle, qu'il &c.] CLAUDE EMMANUEL Luillier, & non pas Loullier, fut furnommé Chapelle du lieu de fa naiflance, petit Village entre Paris & Saint-Denis. Il êtoit Fils naturel de François Luillier, Maître des Comtes à Paris, & Confeiller au Parlement de Mets, & de Marie Chanut. Son Père le fit légitimer en 1642. Il avoit une très grande connoiflance de toutes les matières philofophiques; & fon efprit le rendoit trèscapable de tous les Emplois, qu'il cût voulu remplir: mais content de 8000. livres de rentes viagères, qu'il tenoit de fon Père, il ne voulut prendre aucune forte d'engagement, & fe livra tout entier au goût, qu'il avoit pour les plaifirs. Il mourut au mois de Septembre 1686. Le jugement, que M. Despréaux porte ici des Ecrits de cet ingénieux Libertin, eft très-jufte. Qu'on mète à part ce Foïage fameux, qui comme dit le plus célèbre de nos Poètes vivans, eft

Du plus charmant badinage
La plus charmante leçon.

CHAPELLE a fait d'ailleurs très-peu de chofe, qui foit véritablement eftimable.

(125) Cependant c'êtoit ce même Chapelle, qui donnoit le ton à tous les Beaux Efprits, comme à tous les Ivrognes du Marais. On prenoit fon attache pour débiter dans le beau monde des Vers prétendus ANACRE'ONTIQUES, où régnoient, difoit-on, le plus beau naturel & les plus heureuses négligen

ces.

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LXXIV. M. Defpréaux difoit de (126) La Bruïère, que c'êtoit un Homme, qui avoit beaucoup d'efprit & d'érudition; mais que fon ftile êtoit prophétique, qu'il falloit fouvent le deviner; qu'un Ouvrage comme le fien ne demandoit que de l'ELprit, puifqu'il délivroit de la fervitude des Tranfitions, « qui eft, difoit-il, la pierre d'achopement de prefque tous les Ecrivains. J'ai eu, continuoit-il, le courage de lui foutenir que fon Dif» cours à l'Académie êtoit mauvais, quoique d'ail» leurs très-ingénieux & parfaitement écrit; mais » que l'Eloquence ne confifte pas à dire fimplement » de belles chofes, qu'elle tend à perfuader & que » pour cela il faut dire des chofes convenables aux »tems, aux lieux, & aux perfonnes. Il n'y a pour>> fuivoit-il, que deux fortes d'Eloquence, celle de » Démosthène, ou l'Eloquence du Pont-neuf. Des » Bateliers veulent noïer Démosthène; il les atten» drit par fes Figures: un Charlätan veut vendre fes » Savonètes; il les vend au bout de fa Harangue. >> Un Orateur fait toujours bien quand il perfuade". LXXV. (127) Chapelle avoit manqué à fe

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REMARQUES.

(125) Cependant c'étoit ce même Chapelle, &c.] Voïés, Tome II. pag. 418. EPIGR. LII. Rem.

(126) La Bruière,] Voïés, Rem. fur l'Epigr. XII. Tome II. pag. 391.

(127) Chapelle avoit manqué à se noïer, ] Ce fait, que M. de Lofme le contente d'indiquer, eft rapporté très en détail dans la Vie de Molière par Grimarês, que l'on a foupçonné d'infidélité sur

noïer, & à s'égorger au fortir d'une grande débauche. A quelques jours de là M. Defpréaux l'aïant rencontré : « Vous voïés, lui dit Chapelle, un

Homme tout-à-fait converti fur la paffion du >> Vin. Trouvés bon que j'en faffe mon abjuration » entre vos mains ». Le Satirique l'embraffe pour lui en marquer fa joie, & lui dit mille chofes touchantes à ce sujet. Chapelle fait mine d'être attendri par fon difcours jufqu'à l'entrée d'un certain Cabaret, où il le fait entrer de force, non pas pour boire, difoit-il, mais pour mieux profiter de fon Sermon.

LXXVI. M. Defpréaux foutenoit que (128) l'Eglogue êtoit un genre de Poëfie, où nôtre langue ne pouvoit réuffir qu'à demi; que prefque tous nos Auteurs y avoient échoué, & n'avoient pas feulement frappé à la porte de l'Eglogue; qu'on êtoit fort heureux quand on pouvoit attraper quelque chofe de ce Stile, comme ont fait (129) Racan &(130) Segrais. Il donnoit pour exemple les Vers de ce dernier :

Ce Berger accablé de fon mortel ennui

Ne fe plaifoit qu'aux lieux auffi triftes que lui. Et Racan dans l'imitation d'une Eglogue de Virgile:

REMARQUES.

ce fujet. Le témoignage de M. Defpréaux (car c'eft d'après lui que M. de Lofme parle ) juftifie l'Hiflorien de Molière. Voiés, pour plus grand éclairciffement, ce qui fe trouve à ce fujet dans le Pour & Contre, Tome XVII. N. CCXLVIII. pag. 257. & fuiv.

(128) l'Eglogue &c. ] Voïés la Rem, fur le Vers 11. du II. Chant de l'Art Poetique, Tome II. pag. 37.

(129) Racan] HONORAT de Beuil, Chevalier Seigneur de Racan, l'un des premiers Membres de l'Académie Françoife. Voïés, Tome I. Sat. IX. Vers 44. pag. 142. & Tome II. Art Poet, Chant I. Vers 18. pag. 11.

(130) Segrais.] JEAN-RENAUD de Segrais, de l'Académie Francoife. Voiés, Art Peët. Chant IV. Vers 201. Rem. Tome II. pp. 165.16%

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