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& il fe reffentit toute fa vie de cette opération. Aïant perdu fa Mère de bonne heure, & fon Père êtant tout occupé de ses affaires, l'éducation de ce grand Poéte fut abandonnée à une vieille Servante, qui le traitoit avec empire; & il avoit encore une autre domination à effuïer, c'êtoit celle de Gilles Boileau fon Frère aîné, grand Ami de Cotin & de Chapelain, & de plus très-jaloux du mérite naillant de fon Cadet,qui paffa fes premières années dans une Guérite au deflus du Grenier de la Maison, où il fut, pour ainfi dire, relégué jufqu'à quinze ans. Il pous difoit fouvent que fi on lui offroit de renaître aux conditions onéreufes de fa première Jeuneffe, il aimeroit mieux renoncer à la vie. Cependant l'excellence de fon naturel furmonta toutes les difgraces de fon éducation. Il n'êtoit encore qu'en Quatrième qu'il fe fentit du talent pour la Poéfie ; & dès-lors,déja tout plein de la lecture des anciens Romans, il entreprit de faire une Comédie. "Je faifois, difoit-il, paroître fur la Scène trois Géans prêts à fe battre pour la conquête d'une commune Maîtreffe, lorfqu'un quatrième Géant les féparoit » par ces Vers:

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,, Géans, arrêtés-vous;

Gardés pour l'ennemi la fureur de vos coups,,. Il défioit (104) Boyer de lui montrer un feul Vers de cette force dans les cent mille qu'il a faits. Au refte, à propos de la jaloufie de fon Frère aîné, il me citoit (105) l'Epigramme de Linière, dans la

REMARQUES.

(104) Boyer] Voïés la Remarque fur le Vers 34. du IV. Chant de l'Art Poët. Tom. II. pag. 145.

(105) l'Epigramme de Linière,] Voïés au fujet de cette Epigramme, Tome I. pp. 34. & 35. Rem, fur le Vers 94. de la I. Sat. Au fujet de Linière lui-même, voïés, Tome II. P. 373. Epigr. VI. Vers 6. Rem.

quelle

quelle tous ceux qui en ont parlé ont fupprimé un Vers effentiel, à l'exemple de (106) Richelet; & c'eft ce quatrième Vers qui la rend plus vive & plus foutenue:

Veut-on favoir pour quelle affaire
Boileau le rentier aujourd'hui
En veut à Defpréaux fon Frère ?
Qu'est-ce que Despréaux a fait pour lui déplaire ?
Il a fait des vers mieux que lui.

LX. M. Defpréaux ne feignoit point de dire que c'êtoit un Poëte inconnu, qui lui avoit fourni l'i→ dée de (107) ces deux Vers de fa I. Satire:

Et que

d'un bonnet verd le falutaire affront

Flétriffe les lauriers qui lui couvrent le front.

LXI. C'est la fatale néceffité de la Rime qui a attiré à l'Abbé Cotin tous les brocards répandus contre lui dans les Satires de M. Defpréaux. (108) Ce Poéte récitoit à Furetière la Satire du Repas, & fe

REMARQUES.

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(106) Richelet;] CE'SAR PIERRE Richelet, Avocat au Parlement, êtoit de Cheminon en Champagne. Il eft Auteur d'un Dictionnaire de Rimes & d'un Dictionnaire François, eftimés l'un & l'autre. On a réimprimé le fecond plufieurs fois avec des augmentations de différentes perfonnes. La première Edition, laquelle eft de 1680. in-4°. & celle de Lion 1719. in-folio, que l'on doit au P. Fabre de l'Oratoire, font recherchées: mais la meilleure de toutes eft celle de Lion 1728. in-folio, confidérablement augmentée par M. Aubert, Avocat. Il y a beaucoup d'autres Ouvrages de Richelet. Les plus utiles font: La Connoiffance des Genres François, tirée de l'Ufage & des meilleurs Auteurs ; & le Commencement de la Langue Françoife, ou GRAMMAIRE tirée de l'Ufage des meilleurs Auteurs. Il mourut à Paris le 29. Novembre 1698. âgé de 67. ans. Tous les Ouvrages font remplis de traits fatiriques.

(107) ces deux Vers de fa I. Satire: ] Voïés-y la Rem. fur le Vers 15. Tome I. p. 27.

(108) Ce Poéte récitoit à Furetière] Voïés la Rem, fur le Vers 60. de la III, Sat. Tome I. pag. 55.

Tome V.

E

trouvoit arrêté par un Hémistiche, qui lui manquoit :

Si l'on n'eft plus à l'aise affis en un festin,

Qu'aux Sermons de Caffagne...

"Vous voilà bien embarraffé, lui dit Furetière ; & ,, que ne placés-vous-là l'Abbé Cotin,,? Il ne fallut pas le dire deux fois; ce qui juftifia la verité (109) des deux Vers fuivans:

Et malheur à tout nom qui propre à la cenfure,
Pût entrer dans un Vers fans rompre la mesure.

LXII. M. Bayle agite une affés plaifante question dans fes Lettres, ou Questions au Provincial. Il fuppofe que M. Defpréaux eût êté choisi pour remplir la place de Cotin à l'Académie, & paroît en peine de quelle manière le Succeffeur fe feroit tiré de l'éloge de fondation du à fon Prédéceffeur, fuivant les Statuts Académiques. Je rapportai la chofe à M. Defpréaux, qui me dit qu'à la vérité il auroit fallu marcher un peu fur la cendre chaude; mais qu'à la faveur des défilés de l'Art Oratoire, il fe feroit échapé d'un pas fi délicat. "Il n'y a rien, ,, difoit-il, dont la Rhétorique ne vienne à bout.

Un bon Orateur eft une espèce de Charlatan: qui ,, fait mettre à propos du baume dans les plaies,,.. C'eft, lui répliquai-je, ce que vous avés bien prouvé par votre Lettre de raccommodement à M. PER

RAULT.

LXIII. M. Defpréaux, (110) en diftinguant la belle Comédie des Farces, qui font fouvent plus rire

REMARQUES.

(109) des deux vers fuivans: ] ART POET. Chant II. 153. & 154 Tome II. page 56.

(110) en diftinguant la belle Comédie des Farces,] Voïés à propos de cette diftinction, Art Poit, Chant III. Rem. fur les Vers 393400. Tome II. pag. 135.

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que la Pièce la mieux conduite, & la plus remplie de Caractères naturels, me difoit qu'il y avoit deux fortes de Rire; l'un qui vient de furprife, & l'autre qui réjouit l'âme intérieurement, & fait rire plus efficacement, parce qu'il eft fondé fur la Railon. “Car, ditoit-il, l'effet naturel de la Raifon c'est ,, de plaire; & quand vous voïés fur le Théâtre ,, une Action, qui fe fuit, & des Caractères heureusement représentés, vous ne fauriés vous défendre d'applaudir, fi ce n'eft par des éclats de rire violens, au moins par une fatisfaction que ,, vous fentés au dedans de vous-même. Or les ,, Bouffonneries, qui excitent la rifée, ont véritable,, ment quelque mérite; mais quand on les oppofe ,, au plaifir, que produit un Caractère naturel & bien ,, touché, c'eft un Bâtard auprès d'un Enfant légi,, time. Il n'y a que la belle Nature & le véritable ,, Comique, aufquels il appartienne de renvoïer l'Efprit légitimement fatisfait, & plein d'une dé,,lectation fans reproche. Voilà, difoit-il, le feul attrait, que les honnêtes gens demandent à la Comédie; & c'eft auffi le feul, qui peut attirer de la réputation à un Auteur,,.

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LXIV. Ce fut moi, qui raccommodai (111) REGNARD, Poëte Comique, avec M. Despréaux. Ils êtoient prêts d'écrire l'un contre l'autre,& (112) Regnard êtoit l'agreffeur. Je lui fis entendre qu'il ne lui convenoit pas de fe jouer à fon Maître; & depuis fa réconciliation il lui dédia fes Ménechmes.

REMARQUES.

(111) Regnard,] Voïés, Rem. fur le Vers 34. de la X. Epit. Tome I. Pag. 406.

(112) Regnard étoit l'agreffeur. ] Il avoit fait la Satire des Maris pour oppofer à la Satire des Femmes, & n'avoit pas trop ménagé M. Defpréaux. Comme celui-ci s'en plaignoit, il fit une autre Sasire intitulée: Le Tombeau de DESPRE AUX. Elles fe trouvent l'une & l'autre dans la dernière Edition des Oewures de Regnard,

M. Defpréaux difoit de Regnard, qu'il n'êtoit pas médiocrement plaifant.

LXV. La Judith de Boyer fut représentée à Paris dans le Carême en 1695. elle eut un très-grand fuccès, grace à (113) la Champmeflé qui la fit valoir plus par le mérite de fon jeu, que par la bonté de la Pièce. M. Effain Frère de Madame de La Sablière, en fit de grands récits à M. Despréaux, qui lui répondoit toujours: Je l'attens fur le papier. Enfin la Pièce fut jouée à la Cour, où elle perdit toute fa réputation, & perfonne ne la voulut plus revoir après Pafques. A quelque tems de-là M. Defpréaux rencontrant à Verfailles M. Effain lui cria de loin: "M. Effain, n'avés-vous point là vôtre Boyer fur vous ? comme s'il eût voulu dire, n'avés-vous point fur vous vôtre Corneille ou vôtre Racine? C'est à propos de cette Judith, que M. Racine difoit qu'il ne falloit pas s'étonner qu'elle n'eût point êté fifflée à Paris; "c'eft, difoit-il, ,, que tous les Siffleurs êtoient à la Cour aux Ser ,, mons de (114) l'Abbé Boileau.

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REMARQUES.

(113) la Champmeflé ] Voïés, Tome I. page 358. Epit. VII. Vers 6. Rem.

RACINE fut longtems l'Amant de la Champmeflé, qui le quitta pour le Comte de Tonnerre. C'eft ce qui donna naiffance à la Turlupinade comprise dans cette Epigramme, faite dans le tems.

A la plus rendre Amour elle fut definée,
Qui prit affés longtems racine dans fon cœur :
Mais par un infigne malheur

Un tonnerre est venu qui l'a déracinée.

(113) l'Abbé Boileau. ] CHARLES Boileau, natif de Beauvais Prêtre Curé de Vitri en 1682. depuis Abbé de Beaulieu, & Prieur de Faye, l'un des Quarante de l'Académie Françoise, mourut le 4. Mai 1704. Il n'y a qu'une partie de fes Sermons qui foit im primés. Voiés, Rem. fur le Vers 120. de la IV. Sat. Tome I. p. 85. L'Abbé Boileau s'êtoit fait un grand nom dans Paris par fes Prédications. Nous apprenons ici, qu'il ne réuffit point à la Cour. II eut pour fucceffeur à l'Académie Françoife l'Abbé Abeille, fon Ami particulier, qui parle ainsi de lui dans lo Difcours de la Rés

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