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,, l'Opéra prêche toujours une Morale lubrique : vous " n'y entendez autre chose, finon,

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Il faut aimer,

Il faut s'enflammer;

,, La fagesse

,, De la jeuneffe,

,, C'eft de favoir jouir de fes appas.

, Ce n'eft pas là l'efprit des Chœurs de l'Antiqui ,, té, dans lefquels la Vertu êtoit toujours prêchée, ,, malgré les ténèbres du Paganifme. Voici (12) comme parle Horace à propos des Chaurs des Tra»gédies.

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Iile bonis faveatque & confilietur amicis,

Et

iratos, regat

& amet

peccare

timentes.

C'est un scandale public qu'il foit permis à des Chretiens de proftituer leur voix, pour perfuader aux Filles qu'il eft honteux de ne pas s'abandonner dans le bel âge; ce n'eft point là du tout le langage de la Paffion, c'eft proprement le langa"ge de la Débauche. Je n'ai vu, dit-il, que dans

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REMARQUES.

(12) comme parle Horace] DE ARTE POET. V. 195. & 196. Ce font les deux Vers cités ici. Le premier n'eft pas tout-à-fait de même. Pour faire voir, conformément à l'idée de M. Defpréaux, que les Cheurs de nos Opéra n'ont que très-peu de reflemblance avec ceux des Anciens, il eft bon de remonter dans Horace trois Vers plus haut, & de rapporter ici tout ce qu'il dit du Cheur de la TRAGE'DIE.

Actoris partes Chorus, officiumque virile

Defendat: neu quid medius intercinat aclus,
Quod non propofito conducat & hæreat apte.
Ille bonis faveatque & confilietur amicis :
Etregat iratos, & amet peccare timentes,
Ille dapes laudet menfa brevis, ille falubrem
Juftitiam, legefque, & apertis otia portis :
Ille tegat commiffa ; Deofque precetur, & oret,
Us redeat miferis, abeat fortuna fuperbis.

,, (13) Bellerophon, quelques traits, qui marquent ,, un peu de paffion.

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L'Amour trop heureux s'affoiblit,

Mais l'Amour malheureux s'augmente.

,, Encore, dit-il, (14) Corneille ne fe foutiént pas longtems fur ce ton-là; il feroit trop honteux de ,, tourner cafaque à Quinault.

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Non, non; l'Amour doit tout charmer. ,, Ne le voilà-t-il pas revenu au même langage? Tout ce qui s'eft trouvé de paffable dans Belléro,, phon, c'est à moi qu'on le doit. Lulli êtoit preffé ,, par le Roi de lui donner un fpectacle; Corneille ,, lui avoit fait, difoit-il, un Opéra où il ne comprenoit rien, il auroit mieux aimé mettre en Mufique ,, un Exploit. Il me pria de donner quelques avís à Corneille. Je lui dis avec ma cordialité ordinaire: Monfieur, que voulés-vous dire par ces Vers? Il m'expliqua fa penfée. Et que ne dites-vous cela, ,, lui dis-je? A quoi bon ces paroles,qui ne fignifient ,, rien? Ainfi l'Opéra fut réformé prefque d'un bout ,, à l'autre, & le Roi fe vit fervi à point nommé. Lulli cru m'avoir tant d'obligation, qu'il s'en

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REMARQUES.

(13) Bellerophon, ] Opéra, qui porte le nom de Thomas Corneille, & qui fut répréfenté la première fois en 1679.

, que

(14) Corneille ] THOMAS Corneille, malgré le peu de cas M. Defpréaux en faifoit, ainsi qu'on le verra plus bas, doit tenir un rang confidérable parmi nos Poëtes Tragiques. Peut-être même lui doit-on affigner la première place après fon Frère, M. Racine & M. de Crébillon. Ce qu'on ne fauroit contefter, c'eft qu'il eft fupérieur à tous les Auteurs Dramatiques dans la Conflitution de ba Fable.

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vint m'apporter la rétribution de Corneille; il voulut me comter trois cens Louis. Je lui dis: Monfieur, êtes-vous affés neuf dans le monde, pour ,, ignorer que je n'ai jamais rien pris de mes Ouvra,, ges? Comment donc voulés-vous que je tire tri,,but de ceux d'autrui ? Là-deffus il m'offrit pour moi & pour toute ma postérité une Loge annuelle & perpétuelle à l'Opéra; mais tout ce qu'il "put obtenir de moi, c'eft que je verrois fon Opéra (15) pour mon argent.

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رو

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VII.,, La Pièce de Bellerophon fut jouée quinze mois durant. (16) M. de Seignelai, qui n'aimoit ,, point Quinault, aiant fçû que j'avois quelque ,, part à la conduite de la Pièce, voulut m'entre,, prendre fur un endroit, où il prétendoit que la Vraifemblance êtoit choquée. Nous avions dîné chés lui avec MM. (17) les Ducs de Chevreufe

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(1) pour mon argent. ] L'Anecdote, que M. de Lofme vient de mettre dans la bouche de M. Defpréaux, au fujet de l'Opéra de Bellérophon, eft folemnellement démentie par M. de Fontenelle, dans une Lettre, qu'il écrivit à ce fujet aux Auteurs du Journal des Sçavans. Perfonne ne doit être mieux inftruit de ce qui concerne Bellerophon, que M. de Fontenelle. C'est pour cela que j'ai fuivi le confeil que l'on m'a donné de faire imprimer cette Lettre dans les Additions au Bolaana.

(16) M. de Seignelai, ] JEAN-BAPTISTE Colbert, Marquis de Seignelai, C'est à lui que M. De/préaux adrefle sa IX, Epitre. Voïés, Tome I. p. 381. Vers 2. Rem.

(17) les Dues de Cheureuse & de Beauvilliers. ]

1. CHARLES-HONORE' d' Albert, Duc de Luynes,de Chevreufe & de Chaulnes, Chevalier des Ordres du Roi, Capitaine-Lieutenant des Chevaux-Legers de la Garde, & Gouverneur de Guïenne, naquit le 7. Octobre 1646. & mourut le 7. Novembre 1712.

2°. PAUL de Beauvilliers, Duc de Saint-Aignan, appellé le Duc de Beauvilliers, Pair de France, Grand d'Espagne, Chevalier des Or. dres du Roi & de la Toifon d'Or, Premier Gentilhomme de la Chambre, Miniftre d'Etat, Chef du Confeil Roïal des Finances Grand-Maître de la Garderobe de Philippe V. Roi d'Espagne, dont il avoit êté le Gouverneur, ainfi que de fes deux Frères les Ducs de Bourgogne & de Berri, naquit en 1648. & mourut le 31. Août · 1714,

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» & de Beauvilliers. Après m'avoir harcelé par ,,plufieurs raifons qui n'êtoient pas trébuchantes, croïant m'avoir mis au pied du mur, il me dit ,, avec un fourire amer & dédaigneux: Répondés, répondés à cela. Comme je vis que la chofe étoit ,, pouffée avec une hauteur, qui ne me convenoit ,, pas, j'eus le courage de lui dire: Monfieur, j'ai ,, toujours fait ma principale étude de la Poëtique; tout le monde convient même que j'en ai écrit avec affés de fuccès; fi vous voulés que je vous réponde, il faut que vous confentiés que je vous inftruife au "moins trois jours de fuite. Après cela je lui décochai fix préceptes des plus importans d'Ariftote. Il fe fentit batu. Toute la Compagnie rioit dans l'âme; & M. Racine, en fortant, me dit : O le brave homme que vous êtes! Achille en perfonne n'au99 pas mieux combatu que vous 33°

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VIII. Le vieux (18) Duc de La Feuillade aïant rencontré M. Defpréaux dans la Galerie de Verfailles, lui récita un Sonnet de (19) Charleval adreffé à une Dame, & le Sonnet finiffoit par ces Vers: Ne regardez point mon vifage,

Regardez feulement à ma tendre amitié.

M. Defpréaux lui dit qu'il n'y avoit rien d'extraor

REMARQUES.

(18) Duc de la Feuillade] FRANÇOIS, Vicomte d'Aubuffon Duc de La Feuillade, Pair & Marêchal de France, Colonel des Gardes Françoifes, Chevalier des Ordres du Roi, Gouverneur de Dauphiné,mourut fubitement la nuit du 18, au 19.Septembre 1691. C'eft à lui, que Paris eft redevable de la Place des Victoires, dont il fit en partie la dépense.

(19) Charleval] CHARLES Faucon de Ris, Seigneur de Charleval, Neveu, Frère & Oncle de MM. Faucon de Ris, tous trois Premiers Préfidens du Parlement de Normandie; êtoit d'une complexion fi foible, qu'on ne croïoit pas qu'il dût vivre longtems. Il ne mourut pourtant que dans fa quatre-vingtième année; &, malgré la délicateffe de fon tempérament, il dut au Régime une affes bonne fanté. L'étude des Belles-Lettres fit toute fon oc

dinaire dans ce Sonnet; que d'ailleurs il ne donnoit pas une idée riante de fon Auteur, & que même à la rigueur la dernière pensée pourroit paffer pour un Jeu de mots. Là-deffus le Marêchal,aïant apperçu (20) Madame la Dauphine qui paffoit par la Galerie, s'élança vers la Princeffe, à laquelle il lut le Sonnet dans l'efpace de tems qu'elle mit à traverfer la Galerie. Voilà un beau Sonnet, M. le MARE CHAL, répondit Madame la Dauphine, qui ne l'avoit peut-être pas écouté. Le Maréchal accourut fur le champ pour rapporter à M. Defpréaux le jugement de la Princeffe, en lui difant d'un air moqueur, qu'il étoit bien délicat de ne pas approuver un Sonnet, que le Roi avoit trouvé bon, & dont la Princeffe avoit confirmé l'approbation par fon fuffrage." Je ne doute point, répliqua M. Def ,, préaux, que le Roi ne foit très-expert à prendre des Villes, & à gagner des Batailles. Je doute encore auffi peu que Madame la Dauphine ne foit ,, une Princeffe pleine d'efprit & de lumières. Mais, ,, avec vôtre permiffion, M. le Maréchal, je crois ,, me connoître en Vers auffi-bien qu'eux,,. Là-deffas le Maréchal accourt chés le Roi, & lui dit d'un

رو

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REMARQUES.

cupation mais il êtoit peu communicatif. L'agrêment de fa converfation le fit rechercher de tout le monde, & la plufpart des Ecrivains de fon tems ont loué la juftefle de fon ftile & la délicatefle de fon goût. Il portoit quelquefois cette dernière jufqu'au rafinement. Nous n'avons qu'un petit nombre de fes Ouvrages difperfés en différens Recueils. Après fa mort les Originaux de fes Lettres & de fes Poefies tombèrent entre les mains de fon Neveu le. Premier Préfident, qui moins communicatif encore que Charleval lui-même, refufa de les laiffer imprimer. On a toujours cru que c'êtoit une véritable perte pour le Public. Le peu qui nous refte de cet Ecrivain délicat, le fait juger digne d'une des premières places parmi nos Auteurs agréables.

(20) Madame la Dauphine, MARIE-ANNE-Chrifline-Victoire de Bavière, Aïeule du Roi Louis XV. avoit époufé Louis Dauphin, Fils de Louis XIV, le 7. Mars 1680, Elle mourut le 20. Avril 1699.

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