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dire que le même fentiment, la même mauvaise honte, qui nous empêche de faire le bien, de peur d'en être raillé, nous empêche auffi de convenir que nous fommes pauvres, dans la crainte d'être des objets de mépris. Mais on ne peut pas dire que l'Avare comte la pauvreté pour tout honte; puifqu'au contraire l'Avare, en entaffant des richeffes aquifes par des voies infâmes, ne craint rien tant que de paffer pour riche; & qu'il appréhende fi peu le mépris, qui fuit la pauvreté, qu'il ne s'applique qu'à paroître pauvre; & qu'il fouffriroit fans peine tous les affronts, auxquels la Pauvreté peut expofer. Le Poëte confond ici l'Amateur des richeffes avec l'Avare. Ce font deux caractères abfolument diffé

rens.

VI. Page 294. Vers 81.

L'Honneur & la Vertu n'oferent plus paroiftre,
La P'iété chercha les deferts & le Cloiftre.

Mauvaise Rime, dont on n'oferoit pas fe fervir aujourd'hui.

VII. Page 294. Vers 93.

Car fi, comme aujourd'hui, quelque rayon de zele
Allume dans mon cœur une clarté nouvelle.

Il falloit dire: Allume dans mon Ame. L'Expreffion eut êté jufte. L'Ame renferme le Cœur & Ï'Esprit: mais la Clarté ne convient qu'à l'Esprit.

VIII.

Le fujet de cette Pièce eft beau: mais il eft plus propre pour une Satire, que pour une Epitre. Si la mauvaife Honte peut être regardée comme la fource de quelques Vices, elle eft bien plus certainement encore la fource d'une infinité de Ridicules. Envifagée de ce côté, combien ne fourniroit-elle pas à la Verve d'un Satirique. Les Vices pourroient, dans un plan bien pris, marcher à côté dans des Ridicules; & rien n'empêcheroit qu'avec cet art,

que perfonne n'a fi bien pratiqué que Despréaux, on n'unît les traits plaifans aux fortes invectives. Ce même fujet n'offre pas à l'Epitre un champ auffi vafte, & n'eft plus auffi favorable à la Poëfie. L'Epitre Morale eft proprement un Ouvrage didactique, qu'il faut orner & qu'on peut égaïer: mais dont le fonds doit être néceffairement un affemblage de raisonnemens Philofophiques fuffifamment pouffés. C'est ce que l'on cherche en vain ici. Quoique l'Auteur n'y parle d'un bout à l'autre que de fon Sujet, il y raifonne pourtant fi peu, que ce Sujet eft à peine effleuré. Dans la crainte d'être trop férieux & trop fec, il porte fes regards jufques fur la naiffance du Monde pour y trouver quelque chofe, dont il puiffe faire le principal agrêment de fa Pièce : mais, comme dans un fi grand éloignement fa vue mal affurée difcerne mal les objets, il y voit la mauvaise Honte agir avant qu'elle pût être née : &, fans cette méprife cependant, nous n'aurions pas eu la double peinture des deux Etats de la Nature, avant & depuis le péché du premier Homme; ce qui certainement eft ce qu'il y a de mieux dans toute la Pièce. Après ces deux Morceaux, je n'y vois d'intéreffant que la manière,dont le Poëte répréfente dans les treize derniers Vers, ce que la mauvaise Honte fait en luimême. Vers le commencement le Craïon du Libertin, qui n'ofe avouer qu'il croit en Dieu, fait une Epigramme fatirique très-bonne & très-bien pla

cée.

Au refte cette Pièce, l'un des moindres Ouvrages de l'Auteur pour le fonds des chofes, eft très-bien écrite & très-bien verfifiée. Ce qui s'y trouve de Poëfie eft de toute beauté, fans fortir des bornes de la fimplicité noble, qui convient à cette forte d'Ouvrage. Prefque tous les détails, pris féparément, font très-bons. Quelques Images font ex

cellentes & fupérieures même à ce que les autres Poëfies de l'Auteur ont de mieux en ce genre ; & je ne puis me laffer d'admirer l'adreffe, avec laquelle il a fi bien fu cacher la défectuofité de fon Plan, fous l'extrême bonté des details, qu'une Pièce, qui n'eft que belle, paroît bonne aux Lecteurs, qui n'approfondiffent point.

REMARQUES SUR LA IV. EPISTRE.

I. Page 309. Vers 47.

Qui toutes accourant vers leur humide Koy,

Cet humide Roy feroit fort bon en Latin. Il nous faut d'autres Epithètes en François, où celle-ci, quoiqu'attribuée au Dieu d'un Fleuve, ne laiffe d'être ridicule.

II. Page 311. Vers 61. Le feu fort à travers fes humides prunelles.

Cela feroit fort bon en parlant d'une perfonne, qui feroit enflamée de colère, & pénètrée de douleur jufqu'à verfer des larmes. Mais les prunelles du Dieu du Rhin ne font qualifiées d'humides, que parce que ce Dieu regne fur un Fleuve; & l'Epithète n'est pas meilleure dans ce Vers que dans le quarantefeptième.

III. Page 312. Vers 85.

Du moins en vous montrant fur la rive opposée,
N'oferiez-vous faifir une victoire aisée.

Il faut éviter de rapprocher ces Vers de ces deux
autres (a), qui finiffent le Discours du Rhin:
Ou gardant les feuls bords qui vous peuvent couvrir,
Avec moi de ce pas, venez vaincre ou mourir.

S'il s'agit dans le Combat, qu'il leur propofe, de vaincre ou de mourir, ce qui ne 'fe peut dire que

(a) Vers 91. Tome I. page 313.

d'un Combat, qui doit être opiniâtré des deux parts; le Dieu ne devoit pas les querèler auparavant de ce qu'ils n'ofoient, en fe montrant fur la rive oppofée, fe faifir d'une victoire aifée. Ces deux idées fe contrarient.

IV. Page 315. Vers 119.

Le plomb vole à l'inftant,
Et pleut de toutes parts fur l'efcadron flotant.
Du falpestre en fureur l'air s'échauffe & s'allume
Et des coups redoublez tout le rivage fume.

Déja du plomb mortel plus d'un brave est atteint :
Sous les fougueux Courfiers l'onde écume & se plaint.
De tant de coups affreux la tempefte orageuse
Tient un temps fur les eaux la fortune douteufe.

C'eft dommage qu'un fi beau morceau foit un peu défiguré par quelques taches légères.

1°. Le cinquième & le fixième Vers ne difent rien qui ne fût bon à dire ; & cependant ils font poftiches en cet endroit, parce qu'ils interrompent Ía fuite naturelle des Idées. Après avoir dit : redoublez tout le rivage coups il falloit ajouter de suite, De tant de coups affreux &c.

Et des

fume ;

Les objets répréfentés dans le cinquième & le fixième Vers, font perdre de vue ceux qui les précèdent; & quand on vient au feptième, il faut chercher à quoi fe rapporte ce qu'il dit. C'est une faute contre l'ordre de la Nature, qui veut que l'on place de fuite les Idées, qui dépendent l'une de l'autre.

2o. Le cinquième Vers m'arrête encore. L'onde, qui fe plaint, me paroît à peu près femblable au flot épouvanté du Récit de Théramène ; & je ne vois pas pourquoi le Poëte l'anime jufqu'à lui prêter le Sentiment, qui produit les plaintes. Cette forte

de Perfonification eft ici d'autant plus déplacée, que le Dieu du Rhin, qui, dans le fiftême fabuleux, doit être regardé comme étant véritablement l'ame de cette Onde combat fur le rivage. Le Verbe SE PLAINT pourroit bien n'être ici que pour achever le Vers & rimer.

REMARQUES SUR LA V. EPISTRE.

1. Page 322. Vers 14.

J'aime mieux mon repos qu'un embarras illustre. Le Poëte veut dire qu'il préfère la douceur du repos de l'efprit à ce qu'il l'avoit rendu célèbre, en lui caufant beaucoup d'embaras. C'est ce qu'il rend par une Expreffion très-hardie. Eft-elle heureufe? Je m'en rapporte à ceux qui font en droit d'en décider.

I I.

Cette Epitre pêche en ce que le Sujet eft ce que l'Auteur y traite le moins. Il établit en affés peu de mots que c'eft dans le Repos de l'Efprit, fruit de la Connoiffance de foi-même, que le véritable Bonheur confifte, & fe permet enfuite toutes les Digreffions, qui fe préfentent à fon Imagination, & qu'il fait faire naître ou du fonds même de fon Sujet, ou les unes des autres, d'une manière affés naturelle. Les Portraits moraux & fatiriques, que ces Digreffions renferment, font très-bien faits; & c'eft avec beaucoup d'adreffe qu'en nous faifant fa propre Hiftoire, l'Auteur trouve moïen de témoigner fa reconnoiffance au Roi, qui l'avoit comblé de bienfaits. En un mot, l'Art du Poëte eft ici très-fingulier. Il compofe fon Epitre de morceaux détachés, & qui naturellement ne se tiennent point: mais il les a fi bien liés, qu'ils paroiffent à ceux qui n'y regardent pas avec affés d'attention, former un tout, fimplex duntaxat & unum. Le Plan de cette

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