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que le Canal de Languedoc, eft outrée; c'eft faire frémir les Mers à trop peu de frais: mais, (40) lorfqu'on veut faire fentir quelque chofe de grand & d'exceffif, on ne peut emploïer de termes trop forts, tels que ceux-ci:

Lui font fcier des rocs, lui font fendre des chefnes.

REMARQUES.

deux Vers, qui, font très-beaux & très-poëtiques. Mais il faut avouer que l'Epitre par fa nature, n'eft pas un Ouvrage où l'on doive emploier toutes les richeffes de la Poefe; & ces deux Vers fi beaux & li poëtiques ne peuvent éviter de paffer pour outrés dans la place, qu'ils occupent. Ils feroient à l'abri de toute cenfure dans un Poeme Héroïque ou dans une Ode.

(40) lorsqu'on veut faire fentir quelque chofe de grand & d'excessif, on ne peut emploier de termes trop forts,] Cette maxime eft trèsvraie, mais je la crois ici mal appliquée. Dans les Remarques fur la XI. Epitre, j'ai fait voir (Tome I. page 423.) par une courte addition à la Note de Broffette fur le Vers 101. que je penfois, comme le Grand Magistrat, qui disoit à Despréaux lui-même, au fujet de ce Vers Lui font fcier des rocs, lui font fendre les chefnes.

que la Métaphore êtoit trop hardie & trop violente. Comme je ne me fouvins pas alors que ce Vers avoit des Approbateurs, je ne crus pas qu'il fût néceffaire d'entrer dans le détail de tout ce qu'il a de mauvais. Je me vois donc comme forcé d'en faire une difcuffion exacte, & de montrer que, de quelque manière que l'on envisage ce Vers, il est toujours également infoutenable, & que ce ne peut être que par un défaut d'attention, que nôtre Cenleur prononce, que rien n'est plus jufte que cette peinture. Je vais laifler à part ce qu'elle offre d'outré, pour ne l'examiner que du côté de son manque de juftefle.

L'oifiveté fait qu'on s'abandonne à

Tous les honteux plaisirs enfans de la Molesse:

& les fuites de ces honteux plaifirs fout

tous les fleaux du corps,

La Pierre, la Colique, & lec Goutes cruelles.

En conféquence de quoi

Guenaud, Rainffant, Brayer, prefqu'au tristes qu'elles,
Chez l'indigne Mortel courent tous s'affembler,
De travaux douloureux le viennent accabler 9
Sur le duvet d'un Liet, theatre de fes ge/nes,
Lui font fcier des rocs, lui font fendre des chefnes.

Le premier défaut de ce dernier Vers eft d'être équivoque. Les

се

ce qui frappe d'autant plus que celui qui fouffre, eft placé

Sur le duvet d'un Lict, theâtre de ses gefnes.

La X. Epitre à fes V'ers n'eft pas moins bonne dans fon genre. On y trouve un efprit d'ingénuité & de franchife, qui la rend fort agréable.

REMARQUES.

·

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deux Infinitifs SCIER & FENDRE font fufceptibles ici d'un Sens actif &
d'un Sens paffif. En les prenant dans le Sens actif, le Vers entier
fignifie que les Médecins obligent leur Malade à fcier des rocs, à
fendre des chénes ; & par ces Métaphores le Poëte veut dire que les
Médecins, qui viennent accabler leur Malade de travaux douloureux
lui font fouffrir, dans la cure des Maladies qui lui rendent leur
fecours néceffaire, des fatigues audi rudes que le pourroit être
celle de fcier des rocs ou de fendre des chênes. Nôtre Cenfeur, qui-
trouve que rien n'eft fi jufte que cette peinture, paroît avoir pris ces
Métaphores dans ce Sens actif; & c'eft apparament ce qui lui fait
dire qu'on ne peut trop exagérer les douleurs cuifantes, dont il eft quef-
tion que le travail le plus rude ne donne qu'une idée imparfaite des
fouffrances d'un Homme exposé à ces maladies cruelles ; qu'il n'y a même
ici que l'Expreffion fingulière du POETE, qui faffe bien fentir le rapport ·
qui s'y trouve. Mais c'eft précisément le manque de ce rapport, que
j'attaque. En effet, quelle reflemblance peut-on imaginer entre
la fatigue, que l'on éprouve à fcier des rocs à fendre des arbres
& les douleurs , que caufent & des Maladies cruelles & les remè
des que l'on eft obligé de faire pour en guérir, ou du moins pour
fe procurer du foulagement. Dans l'un & dans l'autre le Corps
refte fatigué. Voilà toute la reflemblance. Une reffemblance fi
vague & produite par des caufes i différentes, fuffit-elle pour
donner de la juftefle aux Métaphores, qui n'en peuvent jamais
avoir à moins que l'Idée, dont on emprunte les termes pour ré-
préfenter une autre Idée, ne puiffe être répréfentée elle même par
les termes, qui font propres à cette autre Idée. Les Métaphores ne
font réellement juftes, que quand les Mots peuvent fe tranfpor
ter réciproquement d'une Idée à l'autre ; & c'eft de là qu'il arrive
que les Métaphores, qui ne font que des Comparaijons abregées, ont
le même défaut que les Comparaifons même, c'eft-à-dire, de n'être
prefque jamais juftes. Il faut donc, au défaut d'une reflemblance
réelle entre les deux Idées, fe contenter d'une reflemblance appa-
rente mais il faut du moins y trouver celle-ci. Peut-on dire que
le Vers de Defpréaux l'offre ; & feroit on entendu, i pour faire
comprendre quelle eft la fatigue de fcier un roc ou de fendre un ar-
bre, on difoit d'un Scieur de marbre ou d'un Fendeur de bois bien
fatigué, qu'il vient de prendre un remède, qui l'a furieuse-
ment abbatu ?

Voions préfentement i le Seus paffif nous préfentera quelque
Tome V.
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La VII. adreffée à Racine, contient des remarques fort judicieufes fur les vaines jaloufies des Auteurs, & fur le mépris, qu'on en doit faire. Il donne même la manière de les mettre à profit.

REMARQUES.

chofe de plus jufte. Dans ce fens le Vers, dont il s'agit, fignifie que les Médecins, qui viennent accabler leur Malade de travaux donloureux, font fcier des rocs & fendre des chênes EN LUI, dans fa perfoune, dans fon corps; c'eft-à-dire, qu'ils lui font fubir les Opérations les plus cruelles de la Chirurgie; & l'Auteur femble indiquer celles de la Pierre & de la Fiftule ou du Cancer. Ce fens paroît le plus naturel: mais on n'y voit encore que des Idées faufles. Ces Opérations terribles n'ont, dans la manière dont on les fait, aucun rapport de reflemblance avec l'action de fcier un roc ou de fendre un arbre. L'amas de fable & de matières vifqueufes, qui fe durcit dans la Veffie, n'a d'autre rapport avec ce qui porte le nom de Roc, que d'être une forte de Pétrification accidentelle. Ce rapport autorife-t-il à transporter à l'un le nom, qui convient à l'autre? A l'égard du mot Chênes pris ici métaphoriquement, fi l'on avoit fommé Despréaux lui même de dire quelle efpèce de reflemblance il imaginoit qu'un Cancer, ou qu'une Fistule pût avoir avec un Arbre, avec un Chêne; qu'eût-il répondu ? Son filence n'eût il pas êté fa condamnation ? Qu'on nous dise à préfent comment des Métaphores abfolument faufles, dans quelque Sens qu'on les prenne, peuvent faire une Peinture, dont la juttefle eft fi grande, que rien n'eft plus jufte. Il eft effentiellement vrai que, lorfqu'on veut faire fentir quelque chofe de grand & d'exceffif, on ne peut emploier de termes trop forts: mais il faut que ces termes forment une Expreffion jufte; il faut qu'ils tracent une Image vraie; & c'eft ce qui ne fe rencontre pas dans le Vers de Def préaux. Sans juftefle dans l'Expreffion, fans vérité dans l'Image, puifqu'il n'y a point de reflemblance entre les objets compares, fous quel point de vue ce Vers peut-il donc paroître admirable? En vain fait on valoir le contraste d'Images, qu'il fait avec celui qui le précède :

Sur le duvet d'an Lift, théâtre de fes gefnes.

Je ne vois-là que l'apparence d'un contrafte, qui n'eft point; puifqu'à la rigueur le fecond Vers ne fignifie abfolument rien ; & que la Critique la plus modérée, que l'on en puisse faire, est de dire qu'il eft inintelligible.

J'ajoute quelque chofe par rapport au mot gênes du premier Vers. Je n'infifte point fur ce qu'il n'eft communément d'ufage, qu'au fingulier. On dit: Je fuis à la gêne, & non pas: Je fuis dans les gênes. On dit: C'est une gêne infupportable; & non : Ce font des genes infupportables. Je ne m'arrête qu'à la fignification du terme. Il rend la même idée que le mot contrainte: mais il la rend un peu

(41) Profite de leur haine & de leur mauvais sens,
Ris du bruit paffager de leurs cris impuiffans.
(42) Et plus haut:

Leur venin qui fur moi brûle de s'épancher

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Tous les jours en marchant m'empefche de broncher. Je fonge à chaque trait que ma plume hazarde, Que d'un œil dangereux leur troupe me regarde. Je fais fur leurs avis corriger mes erreurs Et je mets à profit leurs malignes fureurs. Si-tost que sur un vice ils pensent me confondre, C'eft en me guériffant que je fçais leur répondre. Si tous les Auteurs fuivoient cet exemple, ils feroient moins fujets à prendre feu fur les Critiques, que l'on fait de leurs Ouvrages. Ils mettroient les bonnes à profit, & fe riroient des mauvaises.

La VI. Epitre peut paffer pour la plus diverfifiée & la plus régulière de toutes. Les agrêmens de la Vie Champêtre y font décrits avec beaucoup de douceur; le tumulte & l'embaras des Villes y eft bien repréfenté; la Louange & la Critique y font maniées tour à tour d'une manière judicieufe; l'Enjoué & le Sérieux y font liés avec tant d'art qu'on paffe de l'un à l'autre par des Tranfitions impercep

REMARQUES.

plus fortement. Il eft ici dans le fens de douleurs cruelles, de tourmens horribles, de fupplices affreux; & ce font toutes acceptions dont, par l'Ufage, ce mot n'eft pas fufceptible. Il ne prépare donc en aucune forte aux prétendues Expreilions fortes du Vers, qui fuit; & d'ailleurs il dit infiniment moins que travaux douloureux du Vers précèdent; ce qui n'eft pas une légère faute dans cet endroit, qui néceflairement exigeoit une gradation d'Idées & d'Expreffions.

(41) Profite de leur haine &c. ] Epitre VIII. Vers 73. Tome I. page 364.

(42) Et plus haut: ] Ibid. page 263. Vers 61. L'Auteur de ces Réflexions n'avoit rapporté que les deux premiers & les deux derniers des huit Vers, qu'on lit ici.

tibles. Cette Pièce mérite d'être mife en parallèle avec la IX. Satire pour la légèreté du Stile & pour la facilité des Vers. On peut appliquer à l'un & à l'autre de ces Ouvrages (43) ces Vers de la Poëtique:

Heureux qui dans fes Vers fçait d'une voix legere
Paffer du grave au doux, du plaifant au fevere !

La douceur du Stile (Amanitas) eft toujours la marque d'un beau naturel. Elle fuppofe un efprit tranquille & des fentimens reglés. Un Homme dérangé ou agité par les Paffions peut bien avec du Génie produire de belles chofes : mais il fortira toujours de la fimple Nature d'un côté ou de l'autre; fon Stile deviendra rude ou efféminé. Parmi les Poëtes Latins, OVIDE donne dans ce dernier dé

faut; VIRGILE eft fort au-deffus de lui par les agrêmens naturels ; & parmi nos Poëtes François, DESPRE AUX n'eft pas le feul qui poffède cette qualité: mais il eft le plus remarquable.

REMARQUES SUR LA I. EPISTRE.

I. Page 268. Vers 24.

Quoi ? ce Critique affreux n'en fçait pas plus que nous ? Il n'eft pas trop fur qu'affreux fignifie quelque chofe dans ce Vers.

III. Page 274. Vers 121. Toi-même te borner au fort de Ta victoire,

Il y a une faute de Langage dans ces mots : au fort de ta Victoire. Cet Adverbe, AU FORT, ne peut s'unir qu'à des Subftantifs, dont l'idée permette qu'ils fe puiffent allier avec des Adjectifs réprésen

(43) ces Vers de la Poëtique : ] Chant I. Vers 75. Tome II. page 16.

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