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(6) N'avons-nous pas cent fois en faveur de la France, Comme lui dans nos Vers pris Memphis & Bizance. Le paffage du Fleuve eft bien décrit; les différens Généraux y font loués avec art: (7) il ne s'eft écarté que fur le fujet du Roi.

(8) LOUIS les animant du feu de fon courage, Se plaint de fa grandeur qui l'attache au rivage

La Grandeur du Roi, en pareille occafion, ne l'attache pas au rivage; elle le porte bien pluftôt à l'autre bord. Louis XIV. avoit beaucoup de valeur: mais fes Courtifans la rendoient inutile par le faux empreffement, qu'ils avoient à l'éloigner de l'Action. On ne voit que trop de ces flateurs zélés, plus occupés à répréfenter le danger à leurs Supérieurs, que portés à s'y expofer eux-même. (9) Defpréaux prend ici le change; un Homme d'efprit, comme lui, ne devoit pas s'y tromper.

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REMARQUES.

(6) N'avons-nous pas cent fois &c.] Epit. I. Vers 25. T. I. p. 268. (7) il ne s'est écarté que sur le sujet du Roi. ] Je ne faurois deviner ce que le Verbe: il s'eft écarté, peut fignifier ici.

(8) Louis les animant &c. 1 Epit. IV. Vers 113. Tome I. p. 315. (9) Defpréaux prend ici le change;] 1°, J'ai bien peur que ce ne foit le Cenfeur, qui prenne le change. Sa réflexion me paroît abfolument fauffe. Elle n'eft apparament fondée que fur la mauvaife interprétation, qu'il donne au mot Grandeur. Ce terme eft conftainent équivoque, & fa véritable acception eft toujours déterminée par la place, qu'il occupe. On ne fauroit douter qu'il ne fignifie ici, le rang, l'état du Roi. Le Cenfeur, par fa réflexion, paroît le prendre dans le fens de magnanimité, d'élévation de l'ame. C'eft l'élévation de l'ame, la magnanimité, qui dans une occafion pareille à celle du Paffage du Rhin n'attache pas un Prince aurivage: mais le porte bien plutôt à l'autre bord. C'eft cette même élévation de l'ame, cette même magnanimité, qui fait que LOUIS animant fes Troupes du feu de fon courage, fe plaint de la grandeur de fon rang qui l'attache au rivage, qui l'empêche de fe jetter dans le Fleuve, comme tant de braves gens, & de le traverser à la nage.

2°. Ce n'eft point la raifon, c'eft la malignité feule, qui met fur le comte de la Flaterie l'empreffement, que les Courtifans témoignent pour la confervation de la perfonne de leur Roi. Dans leur nombre il peut s'en trouver, qui ne foient que des Flateurs 1

Tome V.

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La VIII. Epître adreffée à Louis XIV. fait voir les véritables tranfports d'un Homme reconnoiffant, qui ramène pourtant la louange à des idées juftes. (10) Il auroit du éviter de parler au Roi de fes démêlés avec les autres Poëtes; il pouvoit l'entretenir de fujets plus relevés. Une matière triviale fent la converfation familière, (11) & s'éloigne de la bienféance & du génie de l'Epitre, qui doit être intéreffante pour celui à qui on l'adreffe.

REMARQUES.

mais il en peut être auffi, qui, dans un moment pareil à celui dont il s'agit, ne foient occupés que du befoin de l'Etat. S'il eft conftant par une infinité d'exemples funeftes ¿que la perte d'un Général, eft la plus grande qu'une Armée puifle faire, & qu'elle traîne à fa fuite une foule de malheurs; combien celle d'un Souverain peut-eile être d'une conféquence plus dangereufe? Voilà pourquoi les Peuples demandent que leurs Rois ne s'expofent point témérairement; & que fe contentant d'être l'ame_des entreprifes, ils n'en partagent les dangers que dans ces occations rares, où l'impreffion de leur exemple eft feule capable de rétablir des affaires défefpérées. Nôtre Nation en particulier, en rendant juftice à la valeur du Roi Jean & de François I. ne leur ajamais fu gré d'avoir êté plus Soldats que Capitaines. L'équité veut que l'on penfe que c'eft de ce vœu de la Nation, que naiffoit l'empreffement des Courtitans de Louis XIV. à veiller à fa confervation, à l'empêcher de fe précipiter, comme un fimple Fantaffin, au milieu du péril. La réflexion du Cenfeur eft auffi faufle qu'elle eft défobligeante pour des Coeurs François. Le Souverain doit fe rendre aux defirs de fes Peuples, pendant qu'au fond de l'ame fon courage le fait gémir de ce que fa Grandeur, de ce que fon rang, fon êtat de Souverain l'empêche de participer en perfonne à toutes les actions de courage, que fa préfence fait faire à ses Troupes. Les deux Vers de Defpréaux difent tout cela. La Penfée, prife dans fon vrai point de vue, en eft jufte; elle eft rendue avec exactitude; & le jugement, que le Cenfeur en porte, peut paffer pour un exemple remarquable de mauvaife Critique.

(10) Il auroit du éviter de parler au Roi de fes démêlés avec les an. ares Poëtes; Pourquoi, fi le Roi s'en amufoit ? Despréaux ne l'eut pas rifqué, s'il eût craint d'ennuier.

(11) & s'éloigne de la bienséance & du génie de l'Epitre, &c.] Réflexion vague, & qui n'apprend rien. L'Epitre eft une Imitation de la Lettre, & celle ci l'eft de la Converfation. En partant de ce principe, on trouvera fans peine quel eft le Génie de l'Epitre, & quelle efpèce de bienséance elle doit obferver. Ces conféquences développees feront voir combien le Cenfeur raifonne faux en cet endroit. D'ailleurs, en lui paffant fes maximes pour vraies, on fera tou

(12) Le Difcours, qui eft à la tête de fes Satires, donne dans le même défaut. Il y fait l'Hiftoire des affaires du Parnasse, & montre plus de vivacité

REMARQUES.

jours en êtat de lui montrer, qu'il en fait une fauffe application à la VIII. Epitre de Defpréaux.

(12) Le Difcours, qui eft à la tête de fes Satires, donne dans le même défaut.] Le Cenfeur veut dire, que ce Difcours traite une matière, qu'il lui plaît d'appeller triviale, & que le Poëte devoit entretenir le Roi de fujets plus relevés. Je crois encore cette Critique fauffe. Le Difcours au Roi ne fut fait que pour mettre fous la protection du Prince les Satires, qui le fuivent. Il eft proprement lui-même une Satire, différant des autres feulement par le Stile en quelques endroits. C'eft une forte d'Ouvrage qui n'eft point aftreint à des règles, qui lui foient propres, & qui dépend entièrement du caprice de fon Auteur. Defpréaux mit ce Difcours à la tête de la première Edition de fes Satires en 1666. C'en eft comme la Préface, en ce qu'il fait connoître le caractère des Ouvrages, qui le fuivent, & qu'il en donne, pour ainsi dire, un avant-goût. L'Auteur y fait PHiftoire du Parnaffe puifqu'il plaît au Cenfeur de s'exprimer ain fi. Mais comment la fait-il? Il s'excufe de ce que trop jeune, & trop foible encore, il n'ofe entreprendre de louer le Roi, dans la crainte de n'y pas mieux réuffir que tant d'autres,

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Qui dans ce champ d'honneur, où le gain les ameine,
Ofent chanter Ton Nom fans force & fans haleine
Et qui vont tous les jours, d'une importune voix,
T'ennuyer du recit de Tes propres exploits,

dit-il au Roi. Quoi de plus ennuïeux, en effet, que celui qui re vêtant l'Eglogue d'un Stile pompeux, commence par s'étendre longuement fur fes rares vertus ;

Et mêle, en fe vantant foi-même à tout propos,
Les louanges d'un Fat à celles d'un Héros;

ou cet autre qui, fe fatiguant à polir fes Vers, & les retouchant fans ceffe, trouve, par le grand & nouvel effort d'un Efprit, qui n'a point de pareil, le moïen de finir un Sonnet en comparant le Monarque au Soleil? Tous ces Auteurs font méprifés fur le Par nafle, & fe croient pourtant les difpenfateurs de l'Immortalité pendant que leurs propres Noms refteroient inconnus fans l'éclat de celui qu'ils célèbrent. On ne doit pas cependant les blâmer du deffein, qu'ils ont de plaire au Roi. Mais peut-on fouffrir qu'en louant mal, ils croient avoir fait des Vers pour avoir rimé des Mots?

Pour chanter un Augufte, il faut être un Virgile. Voilà pourquoi, nouveau fevré fur le mont des neuf Sœurs, attendant que l'âge eût muri fa Mufe pour le Roi, nôtre POETE s'exerce & s'amufe fur de moindres fujets, & tandis que le Roi

que de jufteffe. Les deux premiers Vers ont été blamés & admirés de plufieurs perfonnes: Jeune & vaillant Heros, dont la haute sagesse N'eft point le fruit tardif d'une lente vieilleffe.

Il a voulu dire que la fageffe du Roi avoit devancé fon âge, & la pensée eft mal rendue. Il eft hors de doute, que la fagesse n'est point le fruit de la Vieilleffe dans un Jeune Homme. L'expreffion du Poëte n'a qu'un faux brillant.

La I. Epître au Roi eft la plus belle des trois : On ne peut louer un Prince par de plus beaux en

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Le POETE, la plume à la main, gourmande les vices ;

Et gardant pour lui-mesme une jufle rigueur

Il confie au papier les fecrets de fon cœur.

Voilà tout le fujet & tout le fonds du Difcours au Roi. Voit-on là fur quel fondement le Cenfeur a pu dire, que l'Auteur y montre plus de vivacité que de jufteffe? S'il y a quelque léger défaut de jufteffe dans le détail, il ne faut pas en accufer le plan jufte en luimême, fe foutenant par-tout & ne fe démentant nulle part. Ce Difcours eft une des Pièces les mieux faites & des plus ingénieufes de l'Auteur. Ses Digreffions naiffent du fonds même de la chofe ; & dans le deffein d'affurer à fes Satires la protection du Monarque, il s'accufe lui même de ce qu'il nomme tout par fon nom: mais c'est pour couvrir de confufion ceux qui l'en accufoient férieufement, par la comparaifon adroite, qu'il en fait avec ces faux Devots, qui traitoient le Tartufe de Moliére d'Ouvrage contraire à la Religion. Le Tartuffe êtoit fous la protection du Roi, c'êtoit en conféquence de fes Ordres, que l'on jouoit publiquement cette Pièce; & l'Auteur, en infinuant au Roi, qu'il êtoit dans le même cas que Molière, s'acquèroit infailliblement la même protec tion. Je ne dis plus qu'un mot en faveur de ce Difcours, au mérite duquel on ne fait pas ordinairement aflés d'attention. Le Poëte en s'excufant de louer le Roi, fait naître à tout propos l'occafion de le louer d'une manière auffi neuve que pleine de jufteffe, d'une manière toujours ingénieufe, & fouvent fine & délicate. Au refte en réfutant le mauvais jugement du Cenfeur, je ne prétens pas juftifier les deux premiers Vers de cette Pièce. Leur harmonie féduifante les a fait admirer des uns, pendant que les autres en out, avec raison, condamné le manque de juftelle dans l'expreffion.

droits, & avec plus d'élégance. (13) Le Dialogue de Pirrhus & de Cinéas, bien loin de délaffer l'efprit, comme quelques-uns le prétendent, fait un contrafte défagréable. Il eft d'un Comique froid; &

REMARQUE S.

(13) Le Dialogue de Pirrhus & de Cinéas, &c.] Autre Critique peu jakte, & qui n'a de fondement que l'inattention du Cenfeur au deflein, que l'Auteur fe propofe dans fa 1. Epître. Ce deffein eft de faire penfer au Roi qu'il doit préfèrer la paix à la guerre. Qu'est-ce qu'un Poëte, en comparaifon d'un grand Roi, pour fe charger de lui donner des confeils, qui s'accordent mal avec fes inclinations? C'eft ce que Defpréaux ofe faire, quoique d'une ma nière indirecte, en Homme, qui fent toute la témérité de fon entreprise. 11 commence fon Epitre fur un ton à peu près pareil à celui de la Satire ; &, mêlant le plaifant au férieux, il cherche à réjouir le Roi, pour s'en faire écouter plus favorablement. Enfuite, voulant en venir à fon but, il s'étaie de l'exemple d'un grand Perfonnage de l'Antiquité, qui donnoit à fon Maître un confeil pareil à celui que le Poëte veut donner. Ce n'eft point pour délaffer le Lecteur, que Defpréaux a préfèré le tour du Dialogue à celui du Récit, qu'il êtoit maître de prendre, & qui pouvoit être plus vif que n'eft le Dialogue. Mais le Récit, pour être bien fait devoit être court & rapide, & l'exemple rifquoit de glifler fans faire fon impreffion; au lieu qu'il faut qu'il la fafle néceflairement par le renouvellement d'attention, qu'exige ce que dit chaque Interlocuteur. Tout ce Dialogue eft férieux d'un Stile fimple, & feulement un peu plus foutenu dans un endroit. La fin feule en eft égaïée par la naïveté du Stile, & par là l'Auteur remplit de plus en plus le deflein, qu'il a de mettre le Roi de bonne humeur, pour s'infinuer dans fon efprit & s'aflurer de fa bienveillance, qui peut feule excufer la hardiefle, que prend un Homme, tel que lui, de mettre fous les ïeux d'un jeune Conquérant les avantages de la Paix au-deffus de la gloire, que la Guerre fait acquérir. Tout ce commencement de la I. Epitre de Defpréaux eft extrêmement adroit, & fait voir combien il connoiffoit les reflources de l'Art Oratoire. Le Cenfeur a donc tort de blâmer ce Dialogue ; & c'eft, par une inattention, qu'on pardonne mal-aifément à quiconque fe mêle de critiquer, qu'il dit que ce Dialogue fait un contrafle désagréable. Ce Dialogue tout térieux & terminé feulement par un trait de plaifanterie naïve, contraftet-il avec le début de l'Epitre, qui n'eft qu'un mêlange de plaifant & de férieux ? C'eft avec auffi peu de raifon qu'il accufe ce même Dialogue d'être d'un Comique froid. Cette Cenfure ne peut tomber que fur les dernières paroles de Cinéas. Mais une plaifanterie naïve ne peut être traitée de froide, que quand elle eft déplacée, & tout ce que je viens de dire du deffein de l'Auteur, met cette plaifanterie à l'abri de ce reproche.

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