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guidé par fon naturel avare. On ne peut foutenir qu'il ne le dife pas: mais ne le dit-il pas trop?

2o. Il s'agit dans le fecond Vers d'un Valet, que l'on chaffe de la Maifon; & je ne vois pas quel rapport de reflemblance ce Valet peut avoir avec un Corfaire, auquel on donne la chaile fur mer. La fimilitude de ce Corfaire n'est ici qu'un effet de la fatale néceffité de la Rime.

3°. A propros des huit autres Vers on a prétendu que ce n'étoit pas la peine que l'Auteur atteftât tout Paris, pour affurer un fait, que tout le monde favoit. S'il fe bornoit à réclamer crûment le témoi gnage de tout Paris, la Critique n'eût pas êté mauvaife mais il emploie adroitement cette petite Digreffion à faire naître de fon Récit la conclufion, qu'il en vouloit tirer, & qui par-là rendue, pour ainfi dire, dramatique en a bien plus de grace & de force.

4o. Si l'on vouloit reprendre quelque chofe dans ces huit Vers, il falloit s'attacher à ces mots du fixième: à tous mes Habitans. Ils paroiffent abfolument inutiles au fens, quoiqu'ils femblent en même tems le rendre plus fortement; & ne doivent, à la rigueur, paffer que pour une Tautologie très-fingulière. En effet tout Paris ne peut fignifier dans le fecond Vers, que tous les Habitans de Paris. En conféquence, le Poëte dit à la lettre : Tous les habitans de Paris te diront nous avons vu pendant vingt ans ce Couple montrer à tous nos Habitans &c.

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5. Ce qu'on a le plus critiqué de toute la X. Satire, c'eft l'Hiftoire du Lieutenant Criminel & de fa Femme; & ce qu'on en a dit de plus raifonnable fe peut réduire à trois chefs.

1. Cette Hiftoire eft trop longue. Dans les premières Editions elle êtoit plus courte de vingt Vers, qu'elle ne l'eft à préfent. Racine avoit exigé de fon Âmi, qu'il retranchât ce qui concerne l'habille

ment des deux Epoux, comme un détail trop bas. L'Auteur le rétablit dans l'Edition de 1701. Tout ce que je vais dire d'abord concerne le Récit tel qu'il fut imprimé la première fois. Je n'en fuis nullement admirateur: mais il ne faut écouter que l'équité. Si ce Récit contient quelques circonstances inutiles & qui ne fervent pas à faire voir quels inconvéniens peuvent réfulter pour un Mari de l'avarice outrée de fa Femme, il eft inconteftable que ce Récit eft trop long: mais je doute qu'on y trouve uue feule circonstance, qui ne tende au but, du moins indirectement.

II. Cette Hiftoire eft déplacée & ne prouve rien contre les FEMMES. Je conviens de la feconde partie de cette accufation: mais tous les autres Portraits contenus dans la X. Satire prouvent-ils d'avantage? L'Auteur a-t-il même eu le deffein de prouver quoi que ce foit; & fa Pièce, qu'eft-elle, finon un pur jeu d'efprit? N'a-t-il pas eu foin d'en avertir luimême par ces paroles, qu'il met dans la bouche d'Alcippe:

-tous ces difcours frivoles Ne font qu'un badinage, un fimple jeu d'efprit D'un Cenfeur, dans le fond, qui folaftre & qui rit?

Il fuffit que tous les traits, qui compofent les différentes Peintures de la X. Satire, conviennent à quelques Femmes en particulier, pour que le Poëte, dans un accès de Mifanthropie Satirique, ait pu les attribuer à tout le Sexe. Il eft certainement des Femmes, qui reffemblent, à bien des égards, à la Lieutenante Criminelle; & fon Hiftoire prouve tout ce qu'un Portrait général auroit pu prouver. En renverfant ainfi la feconde partie de l'accufation, j'ébranle la première, ou, pour mieux dire, je la renverfe aufli du même coup. En effet fi cette horrible Hiftoire prouve ce qu'un Portrait général eût

prouvé, comment établiroit-on qu'elle eft déplacée ?

Mais pourquoi ne s'être pas contenté de tracer un Caractère, au lieu de s'engager dans un Récit d'une telle longueur? Il falloit varier. La Monotonie eft prefque inféparable d'une fuite de Portraits liés ensemble, pour compofer un même Ouvrage. A cette raifon ajoutons-en une plus effentielle. L'Avarice n'eft pas un Caractère, qu'un amas de traits généraux puiffe peindre de manière à faire quelque impreffion. Ce n'est que par un détail de faits, qu'on peut parvenir à le rendre intéreffant.

III. Enfin cette longue narration eft écrite trop baffement. L'Hiftoire, dont il s'agit, entre dans la compofition d'une Satire en forme de Dialogue ; & c'eft de tout l'Ouvrage le morceau dans lequel le Stile de la Conversation eft le plus exactement imité. Mon deffein, en parlant ainfi, n'eft pas de condamner, comme des difparates, ce qui fe peut trouver ailleurs dans le même Ouvrage d'Expreffions élevées ou de Vers aïant quelque pompe. Le Stile de la Converfation eft modifié par la nature des Idées; & jamais une Penfée noble ne fortira baffement exprimée de la bouche de quiconque joint le talent de la Parole à l'élévation de l'Efprit.

IV. Venons à préfent aux vingt Vers, où la parure des deux Epoux eft décrite avec tant de foin. Le jugement, que Racine en portoit, n'eft que trop capable de prévenir contre eux. Les Ouvrages du meilleur Ecrivain, qui foit parmi les Poëtes, font voir que fon goût êtoit auffi fur que délicat. Mais ici ne feroit-il pas poffible que fon habitude à parler le Langage noble de la Tragédie, eût ufurpé l'office du goût? La defcription de Habillement du Couple avare n'eft baffe que par

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le fonds des chofes; & n'eft pas plus au-deffous de la Satire, qu'elle ne feroit au-deffous de la Comédie, qui ne feroit pas difficulté de la mettre dans la bouche même d'un Perfonnage poli. D'ailleurs tous les traits de ce menu détail tendent au but commun du Récit entier, c'eft-à-dire, à faire voir dequoi l'Avarice eft capable; & ce petit morceau, que je ne ferois nulle difficulté de condamner, fi la Pièce n'êtoit pas un Dialogue, fe trouve encore juftifié par la nature même de l'Ouvrage.

V. Mais fi, confidéré fous ce point de vue, il eft irrépréhenfible dans fa totalité, ce n'eft plus la même chofe, dès qu'on le regarde fous une autre face; & ces fix Vers, qui le terminent, (a) font très-dignes d'être cenfurés.

Peindrai-je fon jupon bigarré de Latin,

Qu'ensemble compofoient trois Théfes de fatin;
Préfent qu'en un Procez fur certain Privilége
Firent à fon Mari les Régens d'un College;
Et qui fur cette jupe à maint Rieur encor
Derriere Elle faifoit dire, Argumentabor.

Le but du Récit en lui-même eft de faire voir, ainfi que je l'ai dit, dequoi l'Avarice eft capable. Le but de ce même Récit par rapport à celui de l'Ouvrage, dont il fait partie, eft d'infpirer l'horreur de l'Avarice & la crainte d'avoir une Femme, qui ne fe conduife qu'au gré de cet infâme Vice. Eft-ce une impreffion, qui puiffe être le fruit d'une Turlupinade? Car les deux derniers Vers ne font pas autre chofe. Etoit-ce ici qu'il falloit egaïer le Lecteur? Tout ce qui précède ces fix Vers concourt à l'impreffion, que le Récit entier devoit opérer.. Ce qui les fuit, eft fait pour contribuer à la même impreffion mais il n'eft plus tems; le Rire l'a (a) Vers 323. page 186.

détruite. Les fix Vers, dont il s'agit, font de trop, parce qu'ils occafionnent une duplicité d'impreffion qui fait que le Récit entier n'en produit aucune. Une Impreffion commencée eft anéantie par une Impreffion contraire, qui la croife; & l'on s'efforce en vain de la faire revivre.

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X. Page 187. Vers 341.

Ce récit paffe un peu l'ordinaire mesure ;
Mais un exemple enfin fi digne de cenfure
Peut-il dans la Satire occuper moins de mots!
Chacun fait fon métier : fuivons nôtre propos.

Ne voilà-t-il pas encore que l'Auteur ne fe fouvient plus qu'il rend comte d'une Conversation; & qu'au fujet d'un Récit, qu'il craint que l'on ne trouve un peu long, il s'excufe de la manière qu'il fe feroit excufé dans une Satire ordinaire. Mais ce n'eft pas tout; il fe juftifie tout de fuite de ce qu'il remplit fon Ouvrage de Portraits; & fe fert de cette juftification comme d'une Tranfition pour amener un nouveau Portrait.

Nouveau Predicateur aujourd'hui, je l'avoue,
Je me plais à remplir mes Sermons de portraits.
En voilà déja trois peints d'affés heureux traits,
La Femme fans honneur, la Coquette & l'Avare,
Il y faut joindre encor la Revesche bizarre, &c.

Cette fin fent la Differtation méthodique. La rapidité d'une Conversation animée, telle que doit être celle d'Alcippe & du Poëte, eft incompatible avec la forte de réflexion, qui fait réfumer tout ce que l'on a dit, pour s'en faire un paffage à ce que l'on va dire.

XI. Page 189. Vers 367. Combien n'a-t-on point veu de Belles aux doux yeux, Avant le mariage Anges fi gracieux.

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