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Euft-on plus de trefors que n'en perdir Galet,

N'avoir en fa maison ni meubles ni valet.

Mais par l'ordre, que le Poëte donne aux Idées, il remédie à cet inconvénient; il fe ménage un paffage commode de fon premier objet au fecond. Et ce paffage eft d'autant plus adroit, qu'expédiant d'abord ce qui concerne l'âme, il réunit enfemble ce qui regarde le corps, foit dans l'acquifition, foit dans la jouiffance des biens; & que difant tout rapidement, & mettant en ordre de gradation ce qui fuit le quatrième Vers, il ne laiffe pas au Lecteur le tems de s'appercevoir que le troisième n'eft pas à sa véritable place.

Ce que je fais remarquer ici doit paffer pour un des plus grands fecrets de l'art d'écrire. Mais c'est un fecret, qui n'eft fu que de ceux qui fe font mis en êtat de connoître comment les Impreffions de détail fe doivent opérer. Outre l'impreffion totale, qui doit réfulter d'un Ouvrage entier, chaque trait y doit produire fon Impreffion particulière & conduire à l'Impreffion du trait, qui va fuivre. Voilà ce que l'Art de l'Eloquence a de plus difficile; & dans l'Eloquence, je comprens tous les genres d'écrire. C'eft une partie de cet Art, que Defpréaux poffédoit certainement; mais je ne voudrois pas affurer qu'il ne s'eft jamais écarté des Loix prefcrites par la néceffité de l'Impreffion. 11 me paroît même impoffible que l'on ne s'y méprenne pas quelquefois.

:

Faifons voir encore d'une autre manière que ce que Defpréaux a fait, êtoit ce qu'il avoit de mieux à faire. L'Avarice eft odieuse mais elle est encore plus ridicule; & le devoir d'un Satirique, qui connoît les Hommes, eft de ne jamais laiffer échaper l'occafion de jetter du ridicule fur leurs PafGons. L'Avarice devoit fournir à l'Auteur un trait

plaifant, fur l'inutilité des tréfors qu'elle entaffe. Il falloit que ce trait fuivît naturellement de l'ordre qu'il donneroit lui-même aux différentes idées qu'il avoit à préfenter. Il falloit de plus tirer ce même trait du motif même, qui porte l'Avarice à fe priver de l'ufage de ce qu'elle entaffe. Enfin pour amener ce trait, il falloit le faire précèder de quelque chofe, qui fût en même-tems odieux & ridicule. Il falloit donc que ce qui n'êtoit qu'odieux paffât le premier. C'eft la feconde raifon, qui détruit le fcrupule que j'avois d'abord; & je reconnois de plus en plus le grand Maître, qui, foutenant une Thèse outrée, n'a pu fe propofer pour but que d'en faire rire fes Lecteurs; qui, voulant prouver que de tous les Animaux l'Homme eft le plus fot, parce qu'il eft le feul qui foit raisonnable, doit moins infifter fur les crimes que fur les fotifes de l'Homme. C'est donc en conféquence d'une Règle de Bon-Sens, que je laiffe affés entrevoir, qu'après avoir dit que quand on a des biens en foule il en faut acquérir encore, & que,

-pout en amasser,

Il ne faut épargner ni crime ni parjure;

nôtre Philofophe Mifanthrope paffe tout-à-coup de ce que l'Avarice a d'horrible & d'odieux, à ce qui fait fa fotife & fon ridicule.

Il faut fouffrir la faim & coucher fur la dure:

Euft-on plus de trefors que n'en perdit Galet
N'avoir en fa maison ni meubles ni valet.

Cela n'eft que ridicule & fot. Ce qui fuit eft mêlé d'odieux & de ridicule, de manière pourtant que le dernier y domine:

Parmi les tas de bled vivre de feigle & d'orge.

Voici qui n'eft que ridicule :

De

De peur de perdre un Liard, fouffrir qu'on vous égorge. Il s'agit à présent de mettre la dernière couche de ridicule à ce Portrait dé l'Avarice, en faisant voir le comble de fa fotife.

Et pourquoi cette épargne enfin? L'ignore-tu ?
Afin qu'un Héritier bien nourri, bien vêtu,
Profitant d'un trèför en tes mains inutile,
De fon train quelque jour embaraffe la ville.
Déterminé par cette raifon effentielle, nôtre Hom
me s'embarque & va courir les mers.

Que faire ? il faut partir. Les Matelots font prests.
Les Poëfies de Despréaux abondent en femblables
morceaux, qui prouvent combien il connoiffoit
toutes les reffources de l'Art Oratoire; & dans lef
quels ceux qui favent voir, voïent infiniment de fens,
& même beaucoup plus d'efprit qu'on ne croit en
voir dans ces traits faillans, qu'on admire tant au-
jourd'hui, qui ne tenant à rien, n'allant à rien, &
ne produifant rien, ne peuvent devoir leur fuccès
qu'à l'inattention, qui caractérise ce fiècle.

N'est-ce pas

IV. Page 128. Vers 165. l'Homme enfin, dont l'art audacieux Dans le tour d'un compas a mefuré les Cieux ? Dont la vaste Science, embrassant toutes choses, A fouillé la nature, en a percé les causes.

Voilà fans doute quelque chofe de fort beau: C'eft le Docteur, qui parle ; & qui, s'exprimant avec autant de dignité que de férieux, veut montrer les avantages, que l'Homme a fur les Bêtes. Ce qui précède eft du même ton: mais l'on ne s'attend point du tout à ce qui fuit.

Les animaux ont-ils des Univerfitez ?
Voit-on fleurir chez eux des

Tome V.

quatre Facultez ?

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Y voit-on des Sçavans en Droit, en Medecine,
Endoffer l'ecarlate & fe fourrer d'Hermine.

Ce n'eft plus le Docteur de Sorbonne, qui parle; c'eft le Docteur de la Comédie Italienne. Je fais bien que l'Auteur vouloit amener cette réponse comique, qu'il prête à son Philofophe:

Non fans doute, & jamais chez eux un Medecin
N'empoifonna les bois de fon art affaffin:
Jamais Docteur armé d'un Argument frivole,

Ne s'enroua chez eux fur les bancs d'une Ecole.
Ce trait de Plaifanterie eft affés bon: mais en vé-
rité valoit-il la peine que, pour l'amener, il fît
tomber fon Docteur du Sérieux le plus noble dans
le Burlefque le plus puéril. Je ne puis ranger les
quatre derniers Vers, qu'il lui fait dire dans une autre
claffe. Ils font auffi défectueux que les deux, qui
terminent la définition de la Sageffe, & que l'on
a vus ci devant juftement cenfurés dans les Ré-
fléxions fur les _Satires. Au refte, les quatre der-
niers Vers du Docteur ne font répréhenfibles que
dans fa bouche; & l'Auteur pouvoit aifément les
mettre dans celle de fon Philofophe, dont la bile s'é-
gaïe volontiers. Il n'en eût coûté que la façon d'un
tour de Phrafe différent. Par-là le Poëte auroit con-
fervé les quatre Vers fuivans; & fe feroit mis à cou-
vert du jufte reproche, qu'on lui peut faire d'avoir
un peu manqué de jugement dans cet endroit.
V. Page 129. Vers 200.
De tes titres pompeux enfler leurs dedicaces,
Te prouver à tôi-mefme en Grec, Hebreu, Latin,

1o. Selon la Sintaxe il auroit fallu dire; en Grec, en Hébreux, en Latin: mais la Mefure du Vers ne le permettoit pas. Quoique la faute foit affés légère, on ne la pafferoit pas aujourd'hui, fans la cenfurer fortement.

2°. Au deffous du Texte de cette Satire, on lit deux Notes concernant le premier des Vers, que je rapporte ici. La feconde eft de l'Editeur de 1740. J'ai manqué d'en avertir.

VI. Page 132. Vers 237.

Si fur la foi des vents tout prest à s'embarquer,

Il ne voit point d'écueil qu'il ne l'aille choquer ! Voilà deux mauvais Vers, quoique fort bien faits.

1°. Quiconque eft prêt à s'embarquer fur la foi des vents eft encore à terre, & tant qu'il eft à terre il ne va choquer aucun écueil. Nôtre Auteur fit, deux ans après la compofition de cette Satire, une pareille faute dans fa Ï. Epître. Il y difoit: Où vas-tu t'embarquer? Regagne les rivages, Cette mer où tu cours eft celebre en naufrages. Desmarets fit une très-bonne critique de ces deux Vers (a), que l'Auteur changea dans la fuite.

2°. Choquer me paroît impropre. On dit heurter un écueil & non pas choquer un écueil. Il faut toujours refpecter les Locutions confacrées.

VII. Page 132. Vers 239.

Et que fert à Cotin la raifon qui lui crie,
N'écry plus, guéry-toi d'une vaine furie ;
Si tous ces vains confeils, loin de la reprimer,
Ne font qu'accroiftre en lui la fureur de rimer.

Le la du troifième Vers fe rapporte à fureur du quatrième. On prétend que les Pronoms Relatifs ou Poffeffifs placés de cette manière font une faute contre la Sintaxe ; & j'ai vu fur ce fujet dans quelque Feuille de l'Abbé Desfontaines des raifonnemens de fa façon. C'est tout dire. Sans me donner le tourment d'aller rechercher l'endroit, ni me charger du foin de réfuter un Auteur de fi grand poids, (a) Voïés, Epitre Í. Vers §. Rem. Tome I. p. 265.

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