Page images
PDF
EPUB

Caractère, qui mérite effectivement d'être dépeint. Sur ce piedlà, ce Poëme fera bien une Satire, & il faudra tomber d'accord que, généralement parlant, le Poëte a bien traité son sujet.

a

tés qu'on veuille vous paffer cè que vous allés dire. C'est d'envifager ce POEME comme une Pièce chagrine (Voilà ce qu'on á fait jufqu'à préfent), où le Poëte ramafjé les incidens, qui peu vent mettre de mauvaise humeur, non pas un Homme raisonnable: mais les incidens qui font cet effet fur un Homme bifarre, qui fe chagrine de tout ce qui n'eft pas à son gré. C'eft là apparament le dernier trait méprifant, que vous réferviés à Defpréaux; & vous ne décidés qu'ironiquement en fa fayeur. Changés quelques termes, & le jugement fera conforme à la vérité. La Satire en queftion est véritablement une Pièce chagrine, & le Poëte s'y donne un peu comme Misanthrope, ainfi que Le Philofophe de Juvenal. Mais le ridicule ne tombe qu’indirectement fur l'Auteur de la Pièce, & rend feulement fes plaintes plus agréables. C'eft ainfi que le Misanthrope de Molière donne du prix à des emportemens outrés contre le Genre humain, à des plaintes, qui, quoique fondées, n'auroient plus la même grace, ni la même force dans une autre bouche. Ainfi loin d'accabler Despréaux par ce dernier trait, vous le justifiés entièrement aux ïeux des Connoiffeurs.

Nous voïons à préfent pourquoi le P. Brumoy qui vouloit battre fon Adverfaire avec les propres armes, nous a dit, au fujet des deux premiers Vers: C'est le MISANTHROPE, qui entre fur la Scène; & par quelle raifon il a voulu que la VI. Satire fût comme une continuation de la I. & que ce fût le bourru Caffandre, qui parlât dans l'une & dans l'autre. J'ai réfuté cette prétention: & par une conféquence néceffaire du vrai Siftême de la Pièce, que j'ai développé fuffifamment, il fuit que cette dernière réponse de l'Apologifte n'eft bonne que visà-vis du Cenfeur; & qu'au fonds elle ne vaut rien, puifqu'elle porte fur une fauffe fuppofition. L'aveu de M. de Muralt, ironique ou non, ne laiffe pas d'être favorable à Defpréaux. Sa Defcription des Embaras de Paris eft une Pièce chagrine. Il importe peu que le chagrin du Poëte foit réel, ou qu'il foit affecté pour rendre fa Description plus plaifante. Il fufit qu'il y foutienne d'un bout à l'autre

fur

fur le même ton, & qu'il ait amusé fes Lecteurs pour que l'on doive avouer qu'il a bien traité fon fujet. Mais quel gré doit-on favoir au Cenfeur d'un aveu, que la force de la vérité fait fortir, malgré lui, de fa bouche, & qu'il tâche de rendre inutile par les fuppofitions,dont il l'entremêle ? Pourroit-on croire un moment qu'il fe fût démenti? Quoique le P. Brumoy termine ici fon Apologie, M. de Muralt n'a pas encore tout dit. Il en revient à s'entretenir avec la perfonne à laquelle il` adreffe la Lettre, qui contient la Critique ; & rentrant tout de fuite dans fon natutel, il ne fe contraint plus. Pour achever de purger fa bile, il porte les derniers coups à la VI. Satire ; &, s'engageant tout de fuite dans une digreffion morale, qui ne lui fait pourtant pas perdre de vue fon objet, qu'il croit traiter d'une manière badine; il furprend agréablement fes Lecteurs, en faifant tout-à-coup le petit.... ... Qu'on lui prête donc encore un mo

ment d'Audiance.

من

Voilà, Monfieur, fi j'ai bonne mémoire, dit-il, quelle fut la Critique, que nous fîmes de la Satire de M. D***. Pour en faire une meilleure, il auroit fallu une meilleure Pièce à critiquer; une Pièce, qui nous préfentât des Penfées, & non des Mots feulement: mais M. l'Abbé, qui nous préfenta celle-ci, crut apparament qu'il devoit nous en choisir une, qui ne traitât pas de chofes trop relevées, & que du moins nous puffions comprendre; & il est certain que telle qu'il l'a choifie, elle fournit mieux à une Critique dans la Converfation, qu'elle n'eft propre à bien remplir une Lettre. Elle fourniroit encore à des réflexions, (C'eft ici que le judicieux Cenfeur, ou bliant totalement fes promeffes, commence à ne vouloir plus être que Bel-Efprit :) mais ce feroit pour en revenir à ce que je vous ai déja dit ; à rire du Goût des Hommes, qui fe laiffent impofer par du RIEN reTome V.

Bb

vêtu, & en font cas, jufques-là que leurs famens Poëtes, tous comme les autres, les en régalent. A la faveur d'un Titre, qui promet quelque Vérité, ou fous l'habit de la Poëfie, qui doit parer la Vérité, ils débitent courageufement, finon du RIEN, du moins ce qui ne mène à RIEN. Il eft affés plaisant que l'on foit réduit à dire férieufement aux Hommes, que ce qui ne les mène à RIEN, n'eft RIEN; que celui qui donne fon attention à ce qu'on lui préfente pour quelque chofe, & qui enfuite se trouve n'être que du RIEN, eft trompé, qu'il a perdu fon tems & Sa peine; que l'attention de l'Homme, qu'il estime un RIEN, eft quelque chofe de très-réel; que c'est de l'argent qu'il perd, lorfqu'il l'emploie pour acquérir ce qui eft de nul prix. Qui feroit l'Homme affés hardi, pour leur dire que l'Argent, dont ils font tant de cas n'eft que la Figure de celui-ci, qu'ils ménagent fi peu; que leur attention, fi elle ne fait pas leur richeffe, eft du moins le moien d'en amaffer? Celui qui leur diroit ces fortes de chofes, feroit fans doute le Difeur de RIEN felon eux, ou du moins le Philofophe, l'Homme qui ne mérite pas leur attention. Il faut donc, en riant, les laiffer faire, & fe contenter de les avertir que ce n'eft pas en Philofophe qu'on leur dit du mal du RIEN, mais en Homme feulement, & par confidération pour l'Humanité, qui après tout eft affés noble pour avoir des Jeux, qui le foient auffi, pluftót que des Jeux de nulle valeur. Parmi les RIENS, parmi les chofes où il ne faut pas s'arrêter, comtons la réputation d'un Auteur, que l'on voudroit faire valoir pour nous impofer, & nous donner fes RIENS pour quelque chofe; & ne recevons non plus une Pièce d'Eftrit d'un Homme, fur ce qu'il a un Nom dans le monde, fans voir fi elle contient quelque Vérité, que nous recevrions de l'Or ou de l'Argent d'un Homme, qui pafferoit pour riche, fans voir fi c'est bien de l'or ou de l'Argent, qu'il nous donne. Mais fur

tout ne foïons pas nous-même des Difeurs de RIEN, lorfque quelque cas extraordinaire nous expofe à ce danger; ou fi c'est un peu le fort de l'Homme, devenu prefque un RIEN lui-même, de débiter du RIEN, tâ chons du moins d'avoir le Vrai, le Réèl en vue, & que ce ne foit que le manque de fuccès pour y arriver, qui faffe nos RIENS, nos RIENS entremêlés à ce qui a de la réalité. Confolons-nous en ce cas-là, &les mauvais fuccès auffi comtons-les pour des RIENS. Ce fera mon Apologie par rapport à la Critique, que vous venés de lire, fi vous trouvés qu'elle ne conclut pas affés contre les Productions frivoles, contre ce qui n'a point de but, & qu'un Auteur, qui a de la réputation pourroit autorifer.

En achevant d'écrire cet ingénieux morceau, nôtre fubtil & délicat Imitateur d'un délicat & fubtil Original, n'a-t-il pas du s'écrier:

Peste 1 où va mon efprit prendre ces gentillesses?

REMARQUES SUR LA VII. SATIRE.

[ocr errors]

Quoique l'idée de la VII. Satire foit prife de la I. du II. Livre d'Horace, DESPRE AUX a fu fe la rendre propre par un Plan tout différent & par une exécution entièrement à lui. Cette Pièce eft écrite du même ton que la II. Satire, & paroît devoir être mife à côté pour la beauté des Vers & l'exactitude du Langage. Le Plan en eft régulier & bien fuivi. Le Poëte veut fe prouver à lui-même qu'il doit continuer de compofer des Satires; & ne dit pas un mot, dont il n'ait droit de conclure que le mieux qu'il puiffe faire eft de fuivre fon génie. Je ne fais remarquer cette régularité de Plan que pour montrer que Despréaux êtoit capable de l'obferver quand il le falloit, c'est-à-dire, quand

[ocr errors]

fon Sujet fourniffoit affés de lui-même à la Satire, & qu'il n'avoit pas befoin d'ufer d'adresse pour y trouver place à des traits étrangers.

4

II. Page 108. Vers 13.

Mais un Auteur malin, qui rit, & qui fait rire,
Qu'on blâme, en le lifant, & pourtant qu'on veut lire;
Dans fes plaifans accés qui fe croit tout permis,

De fes propres Rieurs fe fait des ennemis.

1o. Voilà cinq Relatifs appartenans au même Nominatif. On pourroit chicanner le quatrième ; & pourtant qu'on veut lire. Il femble que dans la Règle il auroit fallu dire: & qu'on veut pourtant lire ; mais le Vers auroit êté trop dur. On eût dit fort bien en Profe: & que pourtant on veut lire. On peut répondre à cette objection, que la Tranfpofition de pourtant fait beauté dans cet endroit, parce qu'elle lui donne plus de force. D'ailleurs ce quatrième Relatif QUE ne fe lie pas néceffairement avec le Nominatif. Il fait partie d'un Membre de Phrafe, qui s'unit au Nominatif par un autre que.

Qu'on blâme, en le lifant, & pourtant qu'on veut lire. Il fe pourroit fort bien que le fecond que, placé comme il eft, n'eût rien de contraire à la grande Règle des Relatifs. Enfin on peut dire que dans les Membres de Phrafe, qui commencent par &, ces mots cependant & pourtant ne peuvent guères être placés avec grace qu'après l' même. Je vous avois prié de me venir voir, & cependant vous ne m'avés pas fait cet honneur. La Phrase feroit moins coulante & moins agréable, fi l'on difoit: & vous ne m'avés cependant pas fait, ou vous ne m'avés pas cependant fait cet honneur. Je crois que toutes ces raifons réunies mettent le Vers de Defpréaux à la l'abri de la Critique.

2. Mais, en juftifiant le quatrième Relatif, je ne fuis pas obligé d'approuver le cinquième. It

« PreviousContinue »