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qu'ils ne l'ont jamais êté. Que le Cenfeur, s'il existe encore, ou ceux qui s'intéreffent à fa mémoire, s'il n'eft plus, ne s'en prennent pas à moi d'une vivacité, que la Juftice autorife. Qu'il s'en prennent à la nouvelle Edition que l'on vient de faire d'un Livre, dont, à la honte de mon Jugement, j'ai dit trop de bien dans le Sommaire de la VI. Satire; d'un Livre que je n'avois pas deffein de tirer du profond oubli, dans lequel il paroifloit tombé depuis quelques années, & qui fans doute êtoit ce qui lui pouvoit arriver de mieux.

MUR. Mais quoi ? C'eft là une des Poëfies applaudies en France, une des dix ou douze Satires de leur fameux Poëte; & Paris ne fournit que cela à D* * * ? Cette Ville, dit-il, a toutes fortes d'incommodités. Il arrive que pendant la nuit on y entend du bruit, qui empêche de dormir: dès la pointe du jour les Ouvriers y recom mencent à travailler, & le bruit redouble: ily grêle, & il y vente: il y a de la preffe dans les rues, de l'embaras qui incommode les Paffans, & qui augmente quelquefois jusqu'à les arrêter, & les retarder dans leurs affaires: la Nuit expofe aux Voleurs les perfonqui s'écartent; & il eft inutile de fe coucher pour y trouver du repos; car il arrive que le feu prend à une Maifon, nous expose à de nouveaux embaras: il n'y a qu'un Homme riche à qui le Jéjour de Paris convienne, & le Poëte qui ne l'eft pas, n'y est guères agréa

nes,

blement.

Voilà à peu près ce qu'en beaux termes cette Pièce de Poëfie nous apprend, & qui ne méritoit pas de nous être appris.

Ici le P. Brumoy nous fauffe compagnie; & je me vois comme forcé de tenir fa place. J'adreffe donc la parole au Cenfeur & je lui dis: Oui, Monfieur, voilà à peu près ce que la VI. Satire contient en beaux termes; & vous en conclués que ce qu'elle nous apprend, ne mérite pas de nous être appris. Mais y penfés-vous bien quand vous faites à cette Pièce un reproche, qui fe peut rétorquer avec tant de juftice contre tout vôtre Livre? En effet que nous apprend-il, qui mérite de nous être appris? Que nous apprend-il autre chofe qu'à vous connoître; & cela méritoit-il de nous être appris? Vous n'avés donc écrit que pour amufer vos Lecteurs à vos dé

pens. Defpréaux n'a-t-il pas pu n'avoir en vue que d'amufer auffi fes Lecteurs, en leur présentant les plus petites chofes, qui fe puiffent, avec autant d'agrément, qu'il êtoit capable de leur en donner? Ce qu'il nous apprend fans doute ne mérite pas de nous être appris. Expliquons vos Termes,, Monfieur. Ils font équivoques. Ce n'êtoit pas la peine que Defpréaux nous apprît qu'il y a des Embaras à Paris. Nous le favions. Mais c'êtoit la peine qu'il nous apprit de quelle manière on peut en nôtre Langue traiter les fujets les plus petits & les plus voifins de la baffeffe, en ne ceffant point de parler le Langage de la Converfation noble des honnêtes gens. Telle eft la leçon, qu'il nous donne ici par fon exemple; leçon d'autant plus importante, qu'avant lui perfonne ne croïoit que nôtre Langue fût capable de fe foutenir avec dignité dans d'auffi petits détails. Voilà ce qui fait le mérite de cette Pièce, qui vous déplaît tant; qui, comme je l'ai dit, eft écrite dans le Stile Satirique pluftôt qu'elle n'eft une Satire; &, qui, confidérée dans son véritable point de vue, doit néceffairement tenir place parmi les meilleurs Ouvrages de l'Auteur. Eh bien! qu'en penfés-vous, Monfieur? Croïés-vous encore que la leçon que Defpréaux nous donne, ne foit pas préférable à celle que vous donnés à ceux qui voudroient vous imiter, de déraifonner fur toutes fortes de matières.

Encore un mot fur vôtre manque d'attention. Je ne veux pas emploïer une expreffion plus forte; & le Lecteur faura bien donner à la chofe le nom, qui lui convient. On peut bien, en faisant I'Analife d'un Ouvrage, prendre un certain tour, qui jette du ridicule fur l'Ouvrage même; & je n'ai rien à vous dire fur ce que vous effaïés d'en jetter fur la VI. Satire: mais la Bonne-foi ne permet pas d'attribuer à celui que l'on critique ce

qu'il n'a pas dit & ce qui ne fuit pas néceffairement de ce qu'il dit. Pourriés-vous nous montrer où Def préaux fait entendre qu'il eft inutile de fe coucher à PARIS, pour y trouver du repos, parce qu'il arrive que le feu prend à une maison? Continuons, je ne vous laifferai pas feul, jufqu'à ce qu'il plaife au P. Brumoy de revenir vous faire compagnie.

MUR. Elle (la VI. Satire) ne vaut ni par le Bon-Sens, ni par l'Esprit, mais par l'Expression seulement : c'est ce qu'elle a de poëti

que.

En vous accordant ce que vous dites, on auroit à répondre que vôtre Critique dans fon genre l'emporte de beaucoup fur fon objet, puifqu'elle ne vaut pas plus par l'Expreffion, qu'elle ne vaut par le Bon-Sens & par l'Efprit. Mais on auroit tort de vous faire une pareille réponse. Vôtre privilége, & vous favés à quel titre, eft de ne pas favoir parler François. Il me fâche seulement que le même titre ne puiffe pas vous excufer fur les deux autres articles. Vous avés beaucoup d'illuftres Compatriotes, qui font voir tous les jours que le Bon-Sens & l'Esprit ne font nullement étrangers à vôtre fage Nation; & je puis affurer que ceux que je vous cite,ne s'aviferoient pas de chercher dans une Satire ce que l'on appelle Poëtique en fait d'Expreffion. Cette forte de Poëtique n'eft pas moins incompatible avec la Satire qu'avec la Comédie, puifque l'une & l'autre font dans leur origine l'imitation de la Converfation familière. Il ne fe trouve dans la VI. Satire qu'un feul trait de ce Poëtique,dont vous parlés; & ce trait eft une faute. Nous l'avons reconnu plus haut, en nous efforçant de l'excufer.

MUR. On envisage un Vers Profaïque, ou qui s'explique en termes ordinaires, comme un grand défaut dans un Poëme; à plus forte raifon un Poëme Profaïque par fon contenu, un Ouvrage qui ne dit rien, doit-il être envisagé comme mauvais parmi les Ouvrages de Poëlie; on le Profaïque ne fe trouveroit-il que dans les Expref

fions? Si cela eft, fi l'Expreffion eft le feul avantage, que la Poële ait fur la Profe, c'est peu de chose que la Poëfie? Mais ce n'eft pas cela; ce Langage des Dieux, comme les Poëtes l'appellent, doit nous dire des chofes divines, auffi bien que nous les dire divinement. De-la vient que le Médiocre dans la Poefie, eft envisagé comme mauvais; ce qui apparament doit s'étendre fur le Sens, auffibien que fur l'Expreffion. Il eft certain, que d'habiller en belles Expreffions des Penfées ordinaires, c'eft nous donner des Apparences de la Poëfie, & non pas de la Poëfie même.

Ainfi donc, Monfieur, felon vous, une Fête de Village répréfentée avec le coloris du Titien ou de Rubens n'eft qu'une apparence de la Peinture & non pas de la Peinture. C'est toute la réponse que vous aurés à vôtre dernier raifonnement; & vous devés vous en contenter. La jufteffe eft égale des deux parts. Croïés-vous donc qu'il ne vous faille que faire ufage de vos talens, & ne ceffer jamais de raisonner faux, pour vous donner le plaifir d'obliger ceux qui voudront vous réfuter, à compofer des Differtations en forme fur chacun des mots que vous dites. Il faudroit un Livre plus gros que le vôtre, pour vous apprendre ce que c'eft que Pofie. Encore ne donneriés-vous pas aux gens la confolation de leur avouer qu'ils ont redreffé vos idées. Un nouveau raifonnement, tout auffi faux que les autres, viendroit bientôt à leur fecours; & l'attrait féduifant, qu'il auroit pour vôtre imagination, rendroit abfolument inutiles les leçons, qu'on auroit bien voulu vous donner. Il ne tiendroit qu'à vous d'y mêler par exemple un petit mot de Poëme Profaique pour dérouter l'intelligence de vos Adverfaires; & pendant qu'ils s'abifmeroient dans des réfléxions inutiles, pour percer la très-profonde nuit de vos Oracles, vous jouiriés du plaifir malin de dire en vous-même, en les montrant du doigt, & fecouant en même-tems la tête & clignant un œil:

Quinauds feront, car ils n'y verront goute.

C'est un paffe-tems, dont il faudra, s'il vous plaît,'

Monfieur, vous fevrer avec moi. Je regarde le tems comme une chose précieuse, & vous pouvés ailleurs chercher vos dupes.

MUR. Mais peut-être que tout Poëte fameux jusqu'à un cer tain point, peut faire valoir une Pièce, en lui faifant prendre rang parmi fes autres productions, comme les Princes peuvent anoblir ceux de leurs Sujets qu'il leur plaît, on légitimer leurs Enfans naturels. Si cela étoit, notre Critique iroit plus loin qu'elle ne doit aller, nous aurions tort de condamner ce Poëme autrement que fur le pied d'une Satire, dont elle porte le nom, fans en avoir le caractère.

Me voici pour le préfent au bout de la tâche,que je m'êtois impofée. Je fuis d'accord avec vous que la VI. Satire n'est pas proprement une Satire; & fur ce pied vous avés eu tort de la critiquer comme fi c'en êtoit une. Mais, que la Pièce foit tout ce que l'on voudra, vous ne fauriés nier qu'elle ne foit une description très-agréable de ce que nous appellons les Embaras de Paris. C'eft un fujet mince pour une Pièce de Poëfie. J'en fuis convenu: mais c'eft ce qui fait honneur au Poëte. Il a fallu pofféder au fuprême degré le Génie des détails, pour se tirer auffi bien d'une matière, qui paroiffoit fi peu fufceptible d'un enjoûment noble ; &, loin d'avoir diminué le mérite réel de'cette Pièce,vous n'avés fait jufqu'ici des efforts que contre vous-même. Mais le P.Brumoy revient.Voïons ce qui lui refte à vous dire.

MUR. Que fi l'on s'obtine à en vouloir faire une bonne Pièce Satirique, il reste un endroit par où elle pourra le devenir. Je ne Jais fi on voudra nous le paffer. C'eft de l'envisager comme une Pièce chagrine, où le Poëte aramaffé les incidens, qui peuvent mettre de mauvaise humeur, non pas un Homme raisonnable, ce qui fait le fujet des Satires ordi naires; mais les incidens, qui font cet effet fur un Homme bifarre, qui fe chagrine de tout ce qui n'eft pas à fon gré. C'est un

BRUM. Je me borne donc à la conclufion de vôtre Lettre, qui n'eft pas peu furprenante. Elle rassemble deux décisions si oppofées, qu'il eft difficile de les allier. La Satire en question est un méchant Ouvrage. Il n'y a pas le fens commun. Première décision.

Si pourtant on s'obftine à en vouloir faire une bonne Pièce Satirique, il refte un endroit par où elle le pourra devenir. Je m'étonne que la Métamorphofe vous femble fi facile. Mais vous dou

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