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Et foulant le parfum de fes plantes fleuries,
Aller entretenir fes douces rêveries.

MUR. Fouler du parfum, eft une Expreffion hardie; la Pen fée l'est auffi. A Paris les Jardins ne préfentent point en hiver des Plantes fleuries à fouler.

BRUM. Fouler du Parfum, l'Expreffion & la Penfée vous paroiffent hardies, fur tout pour l'hiver, où il n'y a point de plantes fleuries à fouler. Je conviens que c'eft-là une Figure un peu forte mais elle peint bien le luxe des Riches; & il ne la faut regarder que comme une Métaphore, qui peut toutefois avoir quelque forte de réalité.

:

Je vais plus loin que l'Apologifte. On peut regarder la chofe comme réelle, parce qu'en effet, à moins que l'hiver ne foit très-rude, on cultive à Paris des Fleurs & des Arbuftes pendant cette Saifon. Mais il faut faire attention que le Poëte ne dit pas que le RICHE au milieu de l'Hiver recèle le Printems dans fon jardin tout peuplé d'arbres verds. Il dit feulement que c'eft ce que le Riche peut faire; c'est-à-dire que le Riche, graces à fes richeffes, en viendroit à bout s'il l'entreprenoit. Eh! qui peut en douter après les expériences, que l'on en a faites. Voilà la jufteffe des idées du Poëte fuffifamment juftifiée. Ajoutons que fon intention eft de donner un coup de dent aux Riches, qui, pour contenter leurs fantaifies, croient que l'ordre de la nature n'eft pas fait pour eux; & que les faifons font obligées d'obéir à leur argent.

Il me reste une petite difficulté fur ces Vers fi beaux. Ne font-ils pas hors du ton de la Pièce; & ne font-ils pas trop fleuris & trop ornés pour un genre d'écrire, dont la fimplicité fait le principal caractère, & qui ne devroit pas s'élever au deffus du Comique noble. Les Expreffions de ces Vers fentent la Poëfie Héroïque ; & certainement, fouler le parfum des plantes fleuries eft une Figure, qui par la raifon même qu'elle eft très - belle & très-poëtique, ne fauroit convenir à la Satire. C'est un petit écart,

qu'il me femble que l'on peut pardonner au Poëte, d'autant plus volontiers, qu'il s'y laiffe aller après une foule de petites chofes, que fa manière de les exprimer anoblit ; & qu'il étoit affés naturel qu'une petite vanité d'Auteur le portât à ne pas finir fa Pièce fans faire voir que, pour avoir êté forcé par fon fujet de se renfermer dans les bornes du Stile le plus fimple, il n'en êtoit pas moins capable d'atteindre au plus orné. Retournons à nôtre Cenfeur.

BRUM. Vous revenés à ce

Païs de Cocagne, qui vous paroît mal terminer un Poëme fur les Incommodités de Paris. Hé! quel contrafte plus naturel pouvoit imaginer le Poëte, que celui du Pauvre, pour qui Paris eft un Enfer, & du Riche, qui s'en fait un lieu de délices? Par où pouvoit-il mieux finir? C'est le dénoûment de la Satire ; & voilà proprement ce qui en fait le fel. Sans ce parallèle Juvénal auroit manqué fon coup, auffi-bien que Despréaux.

MUR. Mais, quand cela feroit (qu'à Paris les Jardins préfenteroient en hiver des plantes fleuries à fouler ); il n'y auroit pas là de quoi remplacer les incommodités, qu'il vient de décrire, & dont la pluspart regardent les Riches comme les Pauvres. Bien moins encore, y a-t-il là de quoi remplir l'idée d'un Païs de Cocagne; fi la Ville de Paris la donne, c'est par de tout autres endroits. Ce Païs de Cocagne, de quelque manière qu'on Pentende, eft une conclufion à laquelle on ne s'attend point dans un Poëine fur les Incommodités de Paris.

Je continue d'applaudir au Cenfeur. Il ne fe dément point. Mais je ne fuis pas tout-à-fait auffi content de l'Apologifte. Je laiffe toujours à quartier ce que Juvéñal a fait; & je n'envisage toujours que l'Ouvrage de Defpréaux. Je ne conçois pas comment ce qu'il dit du Riche eft le dénoûment de fa SATIRE. Je ne fais même ce que c'eft que le dénoûment d'un pareil Poëme. Je nie après cela que huit ou neuf Vers,dans lefquels le Poëte fait foupçonner les agrêmens, que Paris a pour les Riches, foient ce qui fait proprement le fel de fa Satire. Mais j'avoue que le Poëte ne pouvoit pas la finir fans tourner fon attention vers les Riches. Comme, dans le fait, toutes les Incommodités de Paris ne font pas pour tous ceux

qui l'habitent, le Poëte, en les faifant générales cût pêché contre la Vraisemblance & contre la Vérité. Voilà ce qui l'oblige non pas à faire un parallèle du Pauvre & du Riche, il feroit abfolument forti de fon fujet. Mais à remarquer fimplement que le Riche n'a point à fouffrir dans Paris tout ce qu'y fouffre celui qui n'a pas les mêmes moïens de fe garantir de la plus grande partie des Incommodités de cette Ville.

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A l'égard de ce Païs de Cocagne, qui choque fi prodigieufement nêtre redoutable Critique c'eft une Expreffion populaire, dont le Poëte fait ufage, parce que n'aïant point de baffeffe, & convenant fort au Stile de la Satire, elle dit fort bien que les Riches ont toutes leurs aifes à PARIS,

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Mais moi, grace au destin, qui n'ai ni feu, nì lieu, Je me loge où je puis, & comme il plaist à Dieu.

MUR. D'abord le Poëte a un chés foi au voisinage d'un Serrurier après cela il infinue qu'il a un appartement, quand il dit que pour dormir il en fandroit avoir un autre. Ici il n'a ni feu ni lieu; le tout en vingt-quatre beures de tems. Ne feroit ce point-là ce qu'il appelle, fur la Scène en un jour renfermer des années.

faire; & ce n'eft pas-là, sur la nées.

BRUM. Bévue étonnante de nôtre Poëte! Il avoit n'aguères un chés foi, un appartement. Ici il n'a ni feu ni lieu.... Pure chicanne que cela, Monfieur ! On eft censé n'avoir ni feu ni lieu, quand on prend, comme Defpréaux, le Perfonnage d'un Homme en bute à toutes les Incommodités de Paris. C'eft une façon de parler, qui n'exclut pas une retraite, un afile nécefScène en un jour renfermer des an

Jufques-là la Cenfure ne devoit être refutée que par le filence. C'eft en ne parlant point, que le mépris fe fait le mieux entendre. Voïons la fuite. Elle eft curieuse.

MUR. Mais ce qu'il importe d'avantage de lui relever, c'eft que, finiffant comme il a commencé, il fait intervenir Dieu mal-àpropos, Dieu le Deftin, & en parle d'une manière indigne. f'eft qu'un peu d'Efprit fort, qui met au-deffus des fentimens vuk

gaires, fait bien. Cela donne un air cavalier, qui impose & fait honneur dans le Monde.

Ceux qui font le plus verfés dans la lecture des Oeuvres de Defpréaux, qui font le plus au fait de fes mœurs publiques & particulières, de fes fentimens, de fes manières de penfer, n'auroient affurément jamais foupçonné qu'il fût un Efprit fort. Cette importante découverte êtoit refervée à la curieufe fagacité du Philofophe Suiffe. Pour dire ici mon avis, je n'aime point que le Deftin & Dieu le trouvent dans la même Phrase. Mais je ne ferai point le Procès au Poëte pour une inattention très-excufable. Lorfqu'il compofa fa Satire,les Prédicateurs même perfonifioient la Fortune dans leurs Sermons & la mettoient fouvent en oppofition avec la Providence. Le Deftin eft ici la même chofe que la Fortune; & Defpréaux peut être repris, mais non pas condamné, pour s'être fervi d'une Expreffion abufive, qu'un ufage général fit regarder comme innocente, jufqu'à ce que le P. Bouhours eût averti de fon indécence (a). Un Esprit auffi jufte,que celui de Defpréaux,auroit du s'en être apperçu le premier. Mais on ne réfléchit pas, & peut-être même n'eft-on pas obligé de réfléchir fur tout.

MUR. En cela le Poëte n'i- BRUM. Vôtre courroux fe mite pas fon modèle. Horace ranime pieufement fur le comme non feulement prononce avec ref il plaît à Dieu. Vous allégués pect les noms de Jupiter d'A- même après des reproches trèspollon, mais il pare même plu- vifs, Horace & Virgile pour la feurs de fes Poefies de fentimens première fois. Ils prononcent, religieux, il fe fait gloire de les dites-vous, avec respect le nom avoir, & il veut que les Re- de leurs Dieux. Aufli valoientmains les aient de même ; qu'ils ils par le Cœur autant que par refpectent les Dieux. Pour Vir- l'Elprit. Ils ne fe règloient pas gile, qui eft un Poëte fans dé- fur le goût du Peuple: mais en faut, outre qu'il fait de la Reli Génies fupérieurs, ils en règloient gion le grand mérite de fon Hé- le goût. Je n'ofe en répèter d'aros, du pieux Enée, les plus vantage, & je fouhaiterois qu'on

(a) Voïés Obfervations sur les Vices opposés au Sublime, N. XIV. P. 182. & Remarque 121. p. 185.

vous gardât le secret fur cette longue & véhèmente Peroraison. Il y auroit trop de chofes à dire.

beaux endroits de fon Poëme, tirent leur beauté des fentimens religieux, , que l'on y remarque. Mais Virgile & Horace valoient par le Caur autant que par l'Esprit ils ne fe règloient pas fur le goût du Peuple; mais, en Génies fupérieurs, ils en règloient le goût.

La plupart de ceux qui prennent aujourd'hui le nom de Poëte, pourroient bien n'être que des Génies fubalternes, des Imitateurs des Poëtes. Soit qu'ils ne fentent pas les grandes folies,les folies en vogue; foit qu'ils n'ofent pas les attaquer, ils font comme inutiles aux Hom ils n'ont rien de grand à leur dire. Ou ils n'ont pas les fentimens de Religion, qui font le mérite de l'Homme, & qui produi fent le Grand; ou ils n'ofent pas faire paroître ces fentimens. Tout comme le Peuple, ils manquent de ce qui fait l'effentiel de l'Humanité; ils font Peuple eux-même.

mes,

Comme il eft vifible que Defpréaux ne peut pas être l'objet de cette violente invective, dont il eft très-innocemment l'occafion; c'eft à ces Génies Subalternes, à ces gens, qui ne valent pas autant par le cœur que par l'Efprit, à ces Auteurs, qui, comme le Peuple, manquent de ce qui fait l'effentiel de l'Humanité, qui font Peuple eux même; en un mot à ceux à qui le Cenfeur en a pu vouloir, à répondre. Je ne me fuis chargé que de mettre Defpréaux à couvert de l'impreffion, que les travers du plus déraifonnable de tous les Critiques pourroient faire fur des Efprits inattentifs. C'est pour cette raison que j'en ferai plus que l'Apologiste, dont la retenue me paroît peu fage. La maxime, intereft Reipublica cognofci malos, n'eft pas moins effentielle pour la République des Lettres que pour les Sociétés Politiques. L'intérêt du Bon-fens, & du Bon-Goût, doit armer ceux qui font profeffion de les aimer contte ceux qui, voués au Mauvais-Sens, au FauxGoût, ne travaillent qu'à rétablir les Autels de leurs Idoles; & qui,pour en étendre le culte pernicieux, fe mafquant d'une apparence de Philofophie,ne font que trop capables d'en impofer aux Sots, & d'entraîner même dans leur parti ces gens, qui n'ont que de l'efprit, & qui font aujourd'hui plus communs

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