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aft trop forte, & qu'elle a pourtant fon prix ? Encore moins. Quoi donc je les laiffe à devîner aux plus clairvoyans.

L'Apologifte s'embaraffe de peu de chofe. L'Enigme propofée par le Cenfeur fignifie qu'il eft en tout femblable à lui-même; & que fa connoiffance des gradations de la Nature eft au niveau de fon goût. Les Eaux, que les grandes Pluies ou la fonte des Neiges précipitent en abondance du haut des Montagnes, font véritablement des Torrens; & ces Eaux allant groffir les Ruiffeaux qui coulent dans les Plaines, en font de vraies Rivières. On voit à préfent combien les Métaphores de nôtre Poëte font juftes, & que j'ai donné le véritable mot de l'Enigme du Cenfeur.

MUR. Au reste, s'il eft permis de deviner, en paffant, pour quoi au dépens du Bon-Sens, le Car, par où ils (ces Vers) devoient commencer, fe trouve changé en un Et; c'eft, je pense, qu'un fecond Car le fuivoit de trop près, & que l'oreille délicate des François ne fauroit fupporter deux Car fi près l'un de l'au

BRUM. Cet Et eût êté bon

du tems que l'Académie vouloit, dit-on, abolir le Car, & vôtre Critique ne lui auroit pas plu. Sérieufement il n'y a pas là de quoi choquer l'oreille la plus délicate, & moins encore le Bon-fens d'un Philofophe. L'Et & le Car fignifient ici la même chose. C'est ainsi qu'on s'exprime tous les jours; & il n'y a nulle apparence que Despréaux eût mis un mot pour un autre exprès afin d'éviter la rencontre trop voifine du Car, qui doit fuivre bientôt. C'eft une découverte, dont vous pouvés vous applaudir fans conféquence pour nôtre Poëte.

tre.

Ne diroit-on pas que dans ce dernier Article l'Apologiste a voulu, pour fe divertir, faire le Rôle du Cenfeur Suiffe, qui de fon côté joue fort bien celui de l'Apologifte? L'Et du premier Vers ou n'a point de fens, ou veut dire Car. Ces deux Particules ne fe font jamais emploïées l'une pour l'autre, & l'on eût pu défier le P. Brumoy de prouver par des Exemples que c'est ainsi qu'on s'exprime tous les jours. Au refte j'ai fait remarquer plus d'une fois que l'Et eft une Particule, que nôtre Poëte ne met pas toujours à fa place.

XXVII. Page 102.

J'y paffe en trébuchant ; mais malgré l'embarras,

La frayeur de la nuit précipite mes pas.

MUR. Ces Vers font encore fort bons. Ils achèvent de peindre l'Incommodité des rues de Paris,

XXVIII. Page 102.

Car fi-toft que du foir les ombres pacifiques
D'un double cadenas font fermer les boutiques;
Que retiré chés lui, le paisible Marchand
Va revoir fes billets & compter fon argent;

Que dans le Marché-neuf tout eft calme & tranquille,
Les Voleurs à l'inftant s'emparent de la ville:

MUR. Cette Defcription encore eft belle , & l'on y recon

noît Paris,

BRUM. Vous convenés que cela eft beau. Les Romains l'avoient approuvé longtems avant vous dans Juvénal; & ils a

voient fait grace à bien des traits pareils, que vous n'approuvés pas, quoiqu'ils nous viennent du même Génie.

Le penultième Vers vous paroît petit, & son voisinage vous fait condamner le dernier, qui eft si beau.

Mantua, va mifera ! nimium vicina Cremona. MUR. Mais la petite circonftance de la tranquillité du Marché-neuf a a quelque chofe de petit, ne renchérit point fur les Boutiques fermées fur le Marchand retiré; & le dernier Vers, qui d'ailleurs feroit très bon, a le défaut de fe rapporter à cette circonftance. On diroit que la tranquillité du Marchéneuf eft le fignal, qui donne lieu anx Voleurs de s'emparer de la Ville. Il falloit rendre cette tranquillité plus générale, & telle qu'elle regardat tout Paris, puifque c'eft de tout Paris, que les Voleurs s'emparent.

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BRU M. Mais pourquoi blâmer ce penultième Vers c'eft que la tranquillité du Marché neuf ne renchérit point fur le refte. On diroit qu'elle eft le signal, qui donne lieu aux Voleurs de s'emparer de la Ville. Quel inconvénient y auroit-il à cela, fur tout fi le Marché-neuf eft le dernier endroit de la Ville, où le mouvement ceffe? Il falloit dites vous, rendre cette tranquillité plus générale, & telle qu'elle regardât tout Paris, puifque c'eft de tout Paris que les Voleurs s'emparent, Voici certes de la PHILOSOPHIE la plus déliée! C'est dommage qu'elle foit trop fubtile pour la plufpart de ceux qui fe mélent de penfer. Ne falloit-il pas que Defpréaux prît foin d'avertir ses Lecteurs, que

tous les Bals font ceffés, toutes les parties de Jeu finies, & tous les Caroffes retirés, afin de rendre la tranquillité plus générale, & d'enhardir de plus en plus les Voleurs à s'emparer de la Ville.

Qu'il en coute à réfuter une mauvaise Critique! Le Pénultième Vers ne renferme point une Circonftance trop petite: & de plus il renchérit fur ce qui précède. Le Poëte veut dire que les Voleurs fe répandent dans la Ville dès que les ruës ne font plus remplies de cette foule d'allans & venans que l'on y voit pendant le jour. Cette foule commence à diminuer, lorfque l'on ferme les Boutiques; ce qui continuë pendant que le Marchand s'occupe à fe rendre comte de fa journée: mais la tranquillité n'est parfaite que lorfque les lieux publics font abandonnés. par ceux qui les occupent ; & comme des lieux publics les Marchés font ceux que l'on déferte les derniers, ce n'eft qu'après qu'il ne s'y trouve plus d'Acheteurs ni de Vendeurs que les Voleurs peuvent s'emparer des quartiers,qui les environnent. Il y faut regarder de près, quand on veut furprendre un Defpréaux dans un manque de jufteffe. Mais pourquoi nomme-t-il le Marché neuf? Parce que tel eft fon plaifir, & qu'il êtoit maître de nommer celui des Marchés qu'il voudroit. C'eft la Figure, fi commune chés les Orateurs & chés les Poëtes, de la Partie pour le Tout; FIGURE, dont nous ne faifons pas autant d'ufage que les Anciens, & qui n'eft nulle part mieux emploïée qu'ici.

MUR. Ici le Poëte perd une belle occafion de blâmer en paffant, comme en paffant il fait jetter du ridicule fur les gens. Ce n'est guères pour fubfifter que l'on vole à Paris, ou du moins ce n'eft pas ce qui y rend le nombre des Voleurs fi grand. On y vole, pour avoir de quoi fournir au train de vie diffolu qui y eft ordinaire.

roit pu comprendre trois cens

BRUM. Sans examiner le fonds de cette Penfée, je regrette feulement que Despréaux n'ait pas fuivi tous les avis, qu'on lui donne 2 & qu'il ait perdu, comme vous le dites tant d'occafions de blâmer. II auroit fait une Satire univerfelle, la Satire des Satires, à propos de chaque Embaras de Paris, Le feul Article des Voleurs auVers au moins, au lieu de 126.

que cet Ouvrage contient. Il auroit fait paffer devant fon Tribunal, comme un Minos, non feulement les Voleurs, qu'on pend & qui volent pour fubfifter: mais le grand nombre, qui volent, dites-vous, pour fournir à fon luxe, apparament les Ujuriers, les Joueurs c. Malheureufement la Broderie auroit couvert l'E. toffe, & adieu les Embaras de Paris. A vôtre avis, la perte n'eût pas êté grande; mais peut-être Defpréaux penferoit-il aujourd'hui que celle qu'on lui reproche d'avoir faite, l'eft beaucoup moins. Peut-être auroit-il recours à fon Horace pour se défendre.

- Jam nunc dicat jam nunc debentia dici,

Pleraque differat, & præfens in tempus omittat. (a)

Je ne puis être ici du fentiment de l'Apologifte; & je regrète férieufement, non que nôtre Poëte n'ait pas fait tout ce que le Cenfeur fouhaite (le plaifant Génie que Defpréaux pour un fi bel Ouvrage !); mais que le Cenfeur lui-même n'ait pas rempli le Plan qu'il propose. Ce Plan,

Rare & fublime effort d'une Imaginative,

Qui ne le cède en rien à perfonne qui vive;

ne devoit être qu'une bagatelle pour celui qui l'avoit enfanté. Je conçois ailément que,fi M. de Muralt avoit voulu joindre à toutes les autres qualités celle de Poëte Suiffe, il nous eût, en badinant, donné, non feulement un cours complet de Morale Satiri que, mais encore par occafion, une Hiftoire Univer◄ Jelle, & même, comme tout fe tient dans la Nature, une Enciclopédie entière ; &, que les Miliards de Vers s'accumulant fous fa main, il eût rempli fans peine vingt ou trente Volumes infolio d'une feule SATIRE fur les Incommodités de la Ville de Paris. XXIX. Page 102.

Le Bois le plus funeste & le moins fréquenté,
Eft, au prix de Paris, un lieu de fureté. ·
Malheur donc à celui qu'une affaire imprévue
Engage un peu trop tard au détour d'une rue.

(a) Art Poëtique.

Bien-toft quatre Bandits lui ferrant les coftez,
La bourse: il faut fe rendre, ou bien non, résistez,
Afin que vôtre mort de tragique mémoire,
Des maffacres fameux aille groffir l'Hiftoire.

MUR. Ce morceau, qui nous répréfente ce qui fe paffe à Paris, &qui s'y paffe affes fouvent pour

mériter d'entrer dans une Satire

BRUM. Enfin voilà un trait de Maître. Cet aveu, que vous faites eft pourtant fuivi d'un correctif, qui gâte tout.

,

peut, je crois, paffer pour ce qu'il ya de meilleur. C'eft un trait de Peinture naturel & hardi, qui frape comme venant de main de Maître.

MUR. En effet, on diroit qu'un Maître n'a touché à cette Pièce que par-ci par-là, comme il eft ordinaire aux Peintres fameux de relever de quelques traits les Onvrages de leurs Apprentis, & de les faire enfuite paffer fous leur

nom.

BRUM. Cela veut dire que la plufpart des autres morceaux ne fentent qu'une main d'Elève, & rien plus, parce que les chofes en foi ne méritent pas d'entrer dans une Satire. C'est là toujours vôtre principe. J'ai tâché d'en faire voir la foibleffe. Mais, après avoir montré que les Embaras allégués peuvent être matière de Satire, je conviens à mon tour que la petiteffe des Objets moins intéreflans, eft en partie caufe que cette Pièce eft moins belle que beaucoup d'autres où l'inté rêt eft plus réel. Je dis moins belle par comparaison, fans pour cela qu'elle foit indigne du Maître, qui l'a produite, ni affés méprifable pour être jugée un coup d'effai d'Apprenti. Il faut des Ombres dans le coloris ; &, fi tous les traits êtoient également forts, le tout en plairoit beaucoup moins. C'eft affés que pas un ne foit foible quant à la Verfification & au Bon Sens, ce qui ne feroit pas fi vôtre Critique avoit lieu.

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Le Cenfeur raisonne faux fur un Principe vrai; l'Apologifte raisonne jufte fur un principe faux. Les Embaras de Paris peuvent bien être la matière d'un Poëme Satirique, mais la fimple Description de ces Embaras, ne peut jamais faire feule une Satire. Je l'ai prouvé plus haut; & fans m'étendre d'avantage fur tout ce que le P. Brumoy dit ici, je me borne à reprocher au Cenfeur fon ingratitude envers Defpréaux. Sa dernière Critique eft une imi tation de cet endroit célèbre de la IX. Satire:

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