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dre le tonnerre. Mais l'Auteur fe fert improprement de murmure, pour exprimer un très-grand bruit. La fuite de fon difcours & le fonds de la chofe, ne permettent pas de douter que ce ne foit le fens,qu'il attache à ce mot. Cela pofé, rien n'eft plus miférable que l'objection du Cenfeur. Mais parce qu'elle eft apparament le fruit de fon ignorance, je ne lui reprocherai que la manière extravagante, dont il la propofe.

J'appelle un Chat un Chat, & Rollet un Fripon.

Il faut en cet endroit féliciter le Poëte d'avoir fu faire une heureufe application d'un Dictum familier au Peuple de Paris, qui, pour donner l'idée d'un grand Vacarme, a coutume de dire: qu'on n'eût pas oui Dieu tonner. Où ce Dictum pouvoit-il être jamais mieux placé que dans la Defcription des Embaras de Paris? Ce n'eft point l'envie de faire voir de l'Efprit & de s'éloigner du Simple, qui fournit à l'Auteur ce Vers fi ridiculement cenfuré. C'eft au contraire l'envie de fe rapprocher du Simple, qui lui fait emploïer une Expreffion populaire, qui n'eft point baffe; & que fa naïveté rend digne d'un Ouvrage de la nature de celui-ci.

XXI. Page 101.

Moi donc, qui dois fouvent en certain lieu me rendre,
Le jour déja baiffant, & qui fuis las d'attendre,
Ne fachant plus tantoft à quel Saint me voüer,
Je me mets au hazard de me faire rouer.

MUR. Puifque le Poëte parle de Dieu cavalièrement & fans respect, il ne faut pas attendre de lui qu'il refpecte les Saints; ainfi il ne lui faut pas relever cette manière de parler. Aurefte, on feroit tenté de dire, qu'il ne fait plus à quel Saint fe vouer, pour continuer fon Poëme, auffi

BRUM. Vous continués ici vôtre Philippique contre l'impiété prétendue du pauvre Des préaux. Paffons outre. Un refte de colère vous fait trouver peu de rapport entre la néceffité d'aller en certain lieu, & le jour qui baisse deja. Il y en a pourtant, ce me femble; car fi le

peu que pour continuer fon chemin; car il n'y a nul rapport entre le premier & le fecond de ces quatre Vers, entre la néceffité de fe rendre fouvent en certain lieu, & le jour qui baiffe déja.

jour baiffe l'heure marquée paffe; & il ne faut point do Saumaise pour développer cette penfée.

Ce Participe ifolé, le jour déja baiffant entre deux qui, liés par le fens, me fait un fcrupule mieux fondé, & je crois cela peu correct, quoique vous n'en difiés rien.

Pour le qui fuis las d'attendre, je ne fais, Monfieur, fi vous ne ferés pas le feul à le trouver froid. Vôtre raifon eft, qu'il eft à la fuite d'un tumulte effroïable, & que le hafard de fe faire roner doit avoir une caufe plus forte que l'ennui. Ce feroit une grande impoliteffe de donner à cette raifon l'Epithète, qu'il vous plaît d'attacher au Vers de Despréaux. Il suffit de dire, & on le voit affés, que le grand mal d'un Embaras pour les gens, qui vont à pied, c'eft après tout d'attendre & d'être arrêtés dans leurs affaires. Ce qui n'empêche pas que, poëtiquement parlant, on ne donne de la faillie à la peinture d'un Embaras, & qu'on ne dife très-bien même en Profe, que l'on s'eft mis au hafard de le faire rouer, pour se tirer de preffe, quand on n'a fait que s'efquiver fans autre danger. Tout le monde fait ce que valent ces façons de s'exprimer. On feroit réduit, un Poëte fur-tout, à être bien froid dans fon langage, fi le bon fens êtoit aufli rigide, que vous voulés le faire entendre.

Je ne trouve rien dans la Critique de M. de Muralt à quoi cette dernière partie de la Réponse du P. Brumoy puiffe avoir rapport. Elle n'en cft pas moins bonne,& l'Expreffion fe faire rouer eft expliquée & défendue avec autant de jufteffe que d'efprit. Quant à l'objection qui concerne les deux premiers Vers, l'Apologifte y répond très-bien. Le rapport eft néceffaire entre le jour déja baiffant & la néceffité de fe rendre en certain lieu. Mais je ne vois pas qu'il faille avoir aucun fcrupule au fujet de ce Participe, qui fe trouve entre deux qui. La Phrafe eft claire; il ne faut que la bien conftruire. Le Poëte ne veut pas dire qu'il eft las d'attendre, parce que le jour baiffe: mais qu'il doit fouvent, lorfque le jour baiffe, Se rendre en certain lieu. C'eft le fens que préfente les mots qui fe trouvent ici dans leur ordre naturel; & je ne conçois pas que l'on ait pu s'y méprendre.

XXII. Page 101.

Je faute vingt ruiffeaux, j'efquive, je me pousse.
Guenaud fur fon cheval en paffant m'éclabouffe ;

MUR. Comme ce Poëte d'un

côté néglige de blamer ce qu'il y auroit à blâmer à Paris, de donner par là quelque prix à fon Poëme de l'autre il va chercher de petites circonstances, qui ne valoient pas la peine d'être relevées, & nomme les gens par leur nom 2 ce qui a toujours quelque chofe d'odieux. A la vérité, il ne fait pas grand mal à Guénaud, en difant qu'il en eft éclabouffé mais cela n'empêche pas qu'il n'ait tort de le nommer, efpèce de ridicule.

MUR. On pourroit dire que c'eft le Poëte, qui, en chemin faifant, fe plaît à mettre le pied dans la boue, & à éclabouffer les Paffans.

BRUM. Négligence de blâmer ce qui eft blâmable, & recherches curieufes de petites circonftances: voici vôtre objection éternelle. C'eft l'éloge du Poëte. Il devoit bien se garder de fortir de fon fujet. Il lui fuffiloit d'anoblir des riens, fans chercher à donner de la dignité à fon Poeme par des hors-d'œcuvre. Il fait bien ailleurs mettre

les grands traits à leur place.

pour lui donner mal-à-propos une

BRU M. Le petit mot fur Gue naud eft trop innocent, pour mériter cette cenfure férieuse. C'êtoit déja trop de l'avoir comparé à un Satire, qui heurte & qui rue. GUENAUD & fon cheval

paffoient alors en Proverbe ; & c'eft une petite Image, qui ne gâte rien, que ce Médecin & fon cheval.

Non feulement cette petite Image ne gâte rien; elle donne un agrément affés confidérable à cet endroit; & dans le tems les Lecteurs, accoutumés à dire Guenaud & fon cheval, ont tenu comte au Poëte de l'efpèce d'hommage, qu'il leur rendoit, en adoptant une Plaifanterie, qui leur appartenoit par l'ufage continuel, qu'ils en faifoient. Au refte M. de Muralt continuë de répandre l'efprit avec une profufion égale à fon économie par rapport au Bon-Sens.

XXIII. Page 101.
Et n'ofant plus paroistre en l'état où je suis ;

Sans fonger où je vais, je me

MUR. Deux Vers fimples qui viennent bien à la fuite des

fauve où je puis.

BRU M. Louange maligne, pour blâmer ce qui a précèdé.

là.

précèdens, & qui font bons par Mais cela ne prouve rien, & une malice n'est pas une raison. A quoi penfe l'Apologifte? S'il accufoit le Cenfeur de méchanceté; je n'aurois rien à dire. Mais lui reprocher de la Malice! Ce reproche ne feroit-il pas une Malice lui-même ? Et puis ajouter que cela ne prouve rien contre Defpréaux ! Comme fi le Cenfeur dans tout fon Livre prouvoit quoique ce foit contre aucun autre que contre lui-même. Il nous avoit fait entrevoir qu'il n'avoit aucune espèce de goût. Ne le prouve-t-il pas ici, quand il ne trouve ces deux Vers bons que parce qu'ils font fimples & qu'il n'eft point frappé de la jufteffe & de la naïveté de l'Image que renferme le dernier, qui par là, tout fimple qu'il eft pour l'expreffion, eft un des meilleurs Vers de l'Auteur.

XXIV. Page 101.

Tandis que dans un coin en grondant je m'essuie,
Souvent, pour m'achever, il furvient une pluie.
On diroit que le Ciel qui fe fond tout en eau
Veuille inonder ces lieux d'un déluge nouveau.

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MUR. Ces Vers font bons Juppofé qu'à Paris il pleuve plus Jouvent qu'ailleurs, que les pluies y foient plus abondantes. Hors de là cette Pluie, quelque bien décrite qu'elle foit, pourroit bien être ici de trop. On diroit que D***. le fpirituel D * * ainfi que les Hommes du commun, fe trouve réduit à parler du Tems, des Vents de la Pluie, pour se tirer d'affaire.

BRUM. Cette Pluie vous choque encore: mais il n'est pas befoin pour la juftifier qu'il pleuve à PARIS plus fouvent & plus abondamment qu'ailleurs comme vous le voudriés. Il fau droit à ce comte d'autres objets à Paris qu'ailleurs, des Chats différens, une Pluie différente, une Pluie de Danaé. Car vôtre c'est tout comme ailleurs revient fans ceffe. Ne fuffit-il donc pas, Monfieur, que la vraisemblance foit gardée, & qu'il puiffe furvenir une Pluie fubire au milieu d'un Embaras. Rien n'eft plus ordinaire, & ce trait n'eft pas fi recherché que celui où vous dites ironiquement, qu'on croiroit que DESPRE AUX, le fpirituel DESPRE'AUX, ainfi que les Hommes du commun, fe trouve réduit à parler de Tems, des Vents & de la Pluie, pour fe tirer d'affaire.

C'est toujours de l'efprit, que le Cenfeur nous donne. A peine laiffe-t-il le tems de refpirer. XXV. Page 101.

Pour traverser la rue, au milieu de l'orage,
Un ais fur deux pavez forme un étroit passage :
Le plus hardi Laquais n'y marche qu'en tremblant.
Il faut pourtant paffer fur ce pont chancelant,

MUR. Nous comprenons ces Vers parmi les bons: ils décrivent un inconvénient de Paris, le décrivent bien. Mais que ne faute-t-il ce ruiffeau, comme il a fauté les vingt autres? En voici la raison, qui commence par un Et, & non par un Car, comme les raifons ordi

naires.

BRUM. Qu'auroit dit Def préaux de cette Ironie? Mais vous le difpenfés de fauter par la raifon qu'il va dire. Il vous fâche feulement qu'elle commence par un Et, & non par un Car.

XXVI. Page 102.

Et les nombreux torrens qui tombent des goutieres,
Groffiffant les ruiffeaux en ont fait des rivieres.

MUR. L'eau, qui tombe abondamment des goutières, pourroit bien dans la Poëfie former des Torrens, mais non pas des Torrens, qui groffiffent les Ruiffeaux en font des Rivières. Cette gradation eft contre l'ordre de la Nature. Les Ruiffeaux y groffiffent les Torrens,

les Torrens groffißent les Rivières. A cela près, ces Vers font beaux; & l'on ne fauroit mieux décrire ce qui fe paffe à Paris dans le tems des grandes Pluies.

BRUM. Vous avoués donc

qu'il n'y a pas d'inconvénient à mettre les grandes Pluies dans les Embaras de Paris après avoir fait difficulté là-dessus peu de Vers auparavant. Ce font (le dirai je en paffant?) de. petites contradictions affés fréquentes dans les LETTRES fur les Anglois & fur les François mais qu'on ne relève pas ici. Il el bien plus difficile de dévoiler l'énigme, que vous propo fés. Ceux qui n'aiment pas Def préaux, paffent cela légèrement, & condamnent ces Torrens furvôtre parole. Mais qu'entendent-ils par ces Torrens Poëtiques, qui feroient bons en foi : mais qui n'ont plus lieu à caufe de la gradation, qui répréfente l'ordre de la Nature? Pour moi, Monfieur, j'avoue franchement que je n'y conçois du tout rien. Eft-ce un reproche ? Eft-ce un éloge? En quoi confifte l'un & l'autre ? Je l'ignore. Cela veut-il dire que Defpréaux a mal fait d'imiter la Nature, & qu'à cela près, fa Peinture eft bonne? Non. Que la Figure

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