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point; & qu'êtant le moins raisonné de fes Ouvrages, elle n'a précisément de mérite, que celui qui vient de la jufteffe & de la force de l'Expreffion & de la beauté des Vers. Mérite affés mince, quand il n'eft pas fondé fur la folidité des chofes même, dans un Ouvrage furtout, qui ne devroit rien offrir que de folide.

REMARQUES SUR LA V. SATIRE.

I. Page 87. Vers 4.

Suit, comme toi, la trace où marchoient fes ayeux.

On dit, marcher fur les traces, fuivre à la trace, fuivre les traces, & même, du moins en Vers, fuivre la trace: mais j'ignore fi l'on peut dire, marcher dans une trace: & fi cette Phrafe n'eft pas Françoife, cette autre: la trace où marchoient fes aïeux ne peut pas l'être. Je crois que l'Auteur auroit mieux fait de dire: la route où marchoient fes

aïeux.

II. Page 91. Vers 53.

Voyez de quel Guerrier il vous plaift de defcendre,
Choififfez de Cefar, d'Achille, ou d'Alexandre :
En vain un faux Cenfeur voudroit vous dementir:
Et fi vous n'en fortez, vous en devez fortir.

Que fait là cet Et? La Phrase n'a pas befoin de Conjonction. En la retranchant, il n'y manqueroit rien, III. Page 91. Vers 57.

-fuffiez-vous iffu d'Hercule en droite ligne,
Si vous ne faites voir qu'une bassesse indigne,
Ce long amas d'ayeux que vous diffamez tous,
Sont autant de témoins qui parlent contre vous;
Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie
Ne fert plus que de jour à vostre ignominie.

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En vain tout fier d'un fang que vous des-honnorez,
Vous dormez à l'abri de ces noms reverez.

En vain vous vous couvrez des vertus de vos Peres:
Ce ne font à mes yeux que de vaines chimeres.
Je ne vois rien en vous qu'un lâche, un impofteur,
Un traiftre, un fcelerat, un perfide, un menteur
Un fou, dont les accés vont jusqu'à la furie ;
Et d'un tronc fort illuftre une branche pourrie :

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Voilà de très-beaux Vers & des chofes bien dites: mais le raifonnement a-t-il affés de justeffe? Avant que de l'examiner, arrêtons-nous fur quelque chofe de moins important.

1o. L'Expreffion du neuvième Vers eft fort belle mais le Vers eft bien dur. On eft d'abord choqué de ces fons: vain vous vous cou, qui font mis de fuite. Ceux qui viennent enfuite ne choqueroient pas moins, s'ils n'êtoient pas féparés par la CE'SURE; vrez des ver. Il y a encore un vos dans ce Vers. Tant de Sillabes commençant par la même Confonne & placées dans l'efpace d'un feul Vers, dont elles font la moitié, ne peuvent pas manquer de déplaire à l'oreille.

2°. Que peut fignifier fort illuftre dans le derniers Vers? Tronc, branche & pourrie y font des Termes métaphoriques empruntés des Arbres, & qui font d'autant plus juftes que les deux premiers font en même-tems des Termes d'Art par l'ufage,que les Généalogiftes en font. Mais ce que l'on entend par illuftre peut-il être en général l'Attribut d'un Arbre; peut-il être en particulier celui de la partie de Arbre, qui porte le nom de Tronc? Il femble qu'il falloit ici que le mot Tronc fut accompagné d'un Adjectif, qui dans fon Propre pût fe joindre avec le mot Arbre, ainfi que le mot pourrie; & qui devenant métaphorique, comme les trois au

tres

tres Termes, auroit mis dans l'Expreffion entière toute la jufteffe, que les loix de la Métaphore demandent.

3. Venons à ce qui regarde le raifonnement: Si l'on n'exige pas à cet égard autant d'exactitude d'un Poëte, que d'un Logicien ou d'un Géomètre ; encore faut-il que le Poëte ne dife rien qui ne soit raifonnable, & qui ne fuive du principe, qu'il a pofé. De ce que le Dêcendant d'une fuite de Héros fait voir une baffeffe d'ame indigne de fon illuftre origine, a-t-on droit de conclure qu'il eft tout à la fois un Lâche, un Impofteur, un Traîtres un Scélérat, , un Menteur, un Fou furieux? Il est vrai que tous ces Attributs, à la réferve du dernier, peuvent fort bien convenir à quiconque a l'ame baffe; & qu'un Noble, que cette mauvaise qua⇒ lité fait dégénerer de la vertu de fes Ancêtres, a certainement quelques-uns des Vices, dont il plaît au Poëte d'accumuler les Noms, qu'il auroit du, pour le dire en paffant, s'efforcer de ranger en ordre de Gradation. Je crois que, pour trouver ici de l'exactitude dans le Raifonnement, il faut prendre cet amas d'Attributs dans un fens disjonctif, c'eftà-dire, comme fi le Poëte avoit mis, ou un Lâche, ou un Impofteur, ou un Traítre, &c. Peut-être n'at-il voulu dire autre chofe, finon que le Dêcendant des Héros, quand il a l'ame baile, eft capable de tous ces Vices ; &, pour donner plus de force à fon difcours, pour lui faire produire plus certainement fon impreffion, il dit ce qui peut être comme êtant réellement. Dans ce cas le Raifonnement eft jufte, & la conféquence fuit du principe pour tous les Attributs, excepté pour le dernier. On peut, fans avoir l'ame bafle, être un Fou, dont les ac cès aillent jufqu'à la furie. Une pareille espèce de folie peut être compagne de l'élévation de l'ame; & l'Hérome lui-même, quand il paffe certaines bor Tome V X

nes, qu'eft-il autre chofe qu'une Folie, qu'une Fureur? C'est même par une fuite de cette Vérité, que nôtre Auteur, dans la VIII. Satire, a pu traiter à bon droit Alexandre d'écervelé, de fougueux l'Angeli, d'enragé.

IV. Page 92. Vers 78.

Tous les livres font pleins des titres de vos Peres:
Leurs noms font échappez du naufrage des temps:
Mais qui m'affurera, qu'en ce long cercles d'ans,
A leurs fameux Epoux vos Ayeules fideles,
Aux douceurs des Galans furent toûjours rebelles?
Et comment fçavez-vous fi quelque audacieux
N'a point interrompu le cours de vos ayeux :
Et fi leur fang tout pur, ainfi que leur nobleffe,
Eft paffé jufqu'à vous de Lucrece en Lucrece.

Au fond qu'eft-ce que cela fait, que celui qui paffe pour décendre de plufieurs Héros, en foit phifiquement le Dêcendant, & qu'aucune de fes Aïeules n'ait fauffé la foi conjugale? Par rapport à la Société, la Décendance eft une affaire d'opinion. Le Fils d'une Femme eft préfumé l'être de fon Mari. C'eft une affaire de bonne foi par rapport à ce Fils, qui ne doit pas même foupçonner, qu'il puiffe avoir reçu le jour d'un autre, que du Mari de fa Mère; & qui tient de l'opinion publique & de fa bonne foi, le droit de jouir de toutes les prérogatives attachées au Nom, qu'il porte. A quoi tend la queftion, que le Poëte fait en cet endroit aux Nobles, qu'il apoftrophe? Quelle conféquence prétend-il tirer de l'ignorance, où ces Nobles peuvent être fur la chafteté de toutes leurs Aïeules? Ces deux Vers, qui suivent ceux que l'on vient de lire,

Que maudit foit le jour, où cette vanité Vint ici de nos mœurs fouiller la pureté ! femblent vouloir faire entendre que la pensée de l'Auteur eft qu'on a tort d'être vain de fa Naiffance, parce qu'en effet on ne peut jamais être fur fi réellement on dêcend de ceux de qui l'on croit être dêcendu. L'opinion du Public & la bonne foi des Intéreffés, font le titre de ces derniers. Que leurs Aïeules aient êté des Epoufes fidèles, ou qu'elles aient ête Mère par le crime, l'avantage de la Naiffance n'en eft ni plus réel ni plus vain. Il fuffit qu'on foit l'Héritier d'un Nom rendu fameux par des Héros, pour être obligé de foutenir l'éclat de ce Nom par les mêmes endroits, qui l'ont illuftré. C'eft la néceffité de cette obligation, que l'Auteur avoit commencé de prouver; & c'est à quoi la Queftion, qu'il fait aux Nobles, & la prétendue Conclufion, qu'il en tire, n'ont aucun rapport. Ainfi tout ce qu'il dit depuis le Vers 71. jufqu'aux deux derniers, que je viens de rap→ porter, eft abfolument hors de propos, & ne peut être excufé que par la liberté que l'on a dans la Satire de quitter & de réprendre fon fujet, quand & comme on le veut, pour profiter des occafions, qui fe préfentent, de faire quelque Critique particulière, ou d'égaïer fes raisonnemens par quelque plaifanterie. Despréaux en cet endroit n'a fongé qu'à réjouir fon Lecteur; & fon mérite eft d'avoir anobli par la beauté de ses Vers & par la no bleffe de fes Expreffions, ce qui n'eft en foi-même qu'une Bouffonerie triviale & baffe.

V. Page 92. Vers 87.

Que maudit foit le jour, où cette vanité
Vint ici de nos mœurs fouiller la pureté !

1°. Dans la Remarque précèdente j'ai cité ces deux Vers, comme étant une forte de conclufion de la

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