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dans le même cas, qui ne fouhaite au moins une fois le jour de fe voir hors de cette Ville?

(20) Il y a une grande conformité pour le Stile & le Tour des Penfées entre la II. & la VII. Satire. Encore que le Sujet de celle-ci foit imité d'Horace. elle est traitée d'une manière fi différente & fi nouvelle, qu'elle ne perd rien pour cela de fon mérite, Deux Auteurs, qui écrivent dans le même genre, peuvent fe rencontrer fouvent; alors ce n'eft pas au plus ancien qu'il faut donner la pré¬ férence; mais à celui qui met la chofe dans un plus beau jour, & qui la fait mieux fentir.

Defpréaux dans fa jeuneffe avoit l'idée remplie de la lecture d'Horace & de Juvénal. Son talent, qui le portoit au même genre d'écrire, fit apparament qu'il s'appliqua à les fuivre fcrupuleufement, jufqu'à ce que reconnoiffant fes propres forces, il fe livra à fon génie, qu'il fuivit avec tant de fuccès. C'eft ainfi qu'un jeune Peintre, qui fe fent de la difpofition, s'attache aux Ouvrages des grands Maîtres, dont il n'ofe encore s'écarter; il en tire fes Attitudes & fes Ordonnances; jufqu'à ce que s'êtant formé le goût par l'expérience & par l'exercice, il prend la Nature pour modèle & pour guide. Il atteint par là fes Maîtres, & quelquefois même les furpaffe.

Dans quelques-unes des Satires de Despréaux telles que la I. & la V. il y a des traits entièrement imités. Ce font de belles copies, qui le laiffoient fort au deffous de fes modèles. Dans les autres il

REMARQUES.

(20) Il y a une grande conformité pour le Stile &c.] 11 eft vrai que la II. & la VII. Satires font écrites à peu près du même Stile mais elles n'ont d'ailleurs aucune conformité. La VII. reffemble beaucoup, pour le fonds du Sujet, à la IX. & de plus une grande partie de cette dernière eft conforme, & pour le Stile & pour le Tour des Peufées à la VII, entière.

fuit feulement leur manière par de nouveaux Tours & de nouvelles Penfées. Alors il marche à peu près leur égal. Mais lorsqu'il prend entièrement l'effor, & qu'il les quitte pour la Nature, (21) on eft tenté de lui donner la préférence. Sa VIII. & fa IX. Satires le disputent à tout ce que les Anciens ont compofé dans ce genre. Ce font, pour ainfi dire, des Chefs-d'œuvre complets, foutenus d'un bout à l'autre par la jufteffe du Raifonnement, par la pureté & par l'élégance du Stile, par la force, & par la délicateffe des Penfées, & enfin par l'harmonie des Vers, auffi frapés qu'il s'en fera jamais en nôtre Langue.

Je trouve cependant une chofe à dire dans ces quatre Vers de la VIII.

(22) Qu'est-ce que la Sageffe? Une égalité d'ame
Que rien ne peut troubler, qu'aucun defir n'enflamme;
Qui marche en fes confeils à pas plus mefurés
Qu'un Doyen au Palais ne monte les degrés.

Les deux premiers Vers donnent une belle idée de la Sageffe: mais les deux autres la rendent burlefque, en comparant la Prudence à la démarche compaffée d'un Homme ridiculement grave. (23) L'Auteur auroit du corriger ce défaut, qui me paroît confidérable.

REMARQUES.

(21) on eft tenté de lui donner la préférence. ] Pourquoi ne la lui pas donner ouvertement, s'il la mérite? Non feulement la VIII. & la IX. Satires font fupérieures à toutes celles qui nous reftent des Anciens; mais même je doute qu'il nous foir rien venu d'eux, que l'on puifle comparer à la II. plus parfaite en fon genre que la VIII. dans le fien; & qui,traitant une matière absolument neuve, n'eft pas moins un chef-d'œuvre que la IX.

(22) Qu'est-ce que la Sageffe? &c.] Sat. VIII, Vets 19. Tome

I. page 118.

(23) L'Auteur auroit du corriger ce défaut.] Le Critique a raifon; le défaut eft eflentiel. Les deux derniers des quatre Vers,

Si l'on compare ces deux Satires au deux der nières fur l'Honneur & fur l'Equivoque, on trouvera une différence extrême entre la compofition de Defpréaux à l'âge de trente ans, ou à l'âge de foixante. Pour en donner une idée, je m'arrête à un feul trait; qui eft répèté dans la VIII. & dans la XII. au fujet des fauffes Divinités des Egiptiens. Voici comme il s'exprime dans la première : (24) Non:Maiscent fois la Befte a vû l'Homme hypocondre Adorer le métal que lui-même fit fondre :

A vû dans un Pays les timides Mortels
Trembler aux pieds d'un finge affis fur leurs Autels,
Et fur les bords du Nil les Peuples imbeciles
L'Encenfoir à la main chercher les Crocodiles,

REMARQUES.

qu'il vient de rapporter, font une Plaifanterie déplacée, & font du tout une véritable Turlupinade. Mais le Critique n'a pas tout vu. Dans le fecond des deux premiers Vers il y a du faux, au moins dans l'Expreffion. Le defir du bien enflame la Sagesse. Ajoutons, que les quatre Vers font fuivis de deux autres, qui paroiflent d'abord répréhensibles:

Or cette égalité, dont fe forme le Sage,

Qui jamais moins que l'Homme en a connu l'nsage?

1o. Après avoir dit que la Sageffe eft une égalité d'ame, il paroît inutile de dire enfuite, que cette égalité forme le Sage. Mais ce n'eftlà qu'une pure chicanne.

2°. Ces deux Vers renferment une contradiction. Les Sages, que cette égalité d'ame forme, ne peuvent être que des Hommes; & pour qu'il y ait des Sages, il faut qu'il y ait des Hommes, qui connoiffent l'ufage de cette égalité. L'Auteur feroit-il convenu qu'il parloit de ce qu'il ne connoiffoit pas ? Ma Critique eft jufte; mais elle n'eft pas équitable. La VIII. Satire, ainfi que l'Auteur le dit lui-même, et tout-à-fait dans le goût de PERSE, & marque un PHILOSOPHE chagrin & qui ne peut fouffrir les vices des Hommes. C'eft, dans le fonds, un Milanthrope outré, qu'elle nous préfente; & ce Mifanthrope, pour refter dans le Vrai, doit néceffairement avoir un pied dans le Faux. Voïés ce que j'en ai dit dans les Additions à la Préface de la Traduction de Longin, Tome IV. page 206.

(24) Non: Mais çent fois &c.] Sat. VIII. Vers 267. Tome I, page 134:

Et dans la douzième:

(25) L'Art fe tailla des Dieux d'or, d'argent & de cuivre,
Et l'Artisan lui-mefme humblement prosterné
Aux pieds d'un vain Métal par fa main façonné,
Lui demanda les biens, la fanté, la fageffe.
Le Monde fut rempli de Dieux de toute espèce.
On vit le Peuple fou, qui du Nil boit les eaux,
Adorer les Serpens, les Poiffons, les Oiseaux ;

Aux Chiens, aux Chats, aux Boucs, offrir des facrifices;
Conjurer l'ail, l'oignon d'être à fes vœux propices,
Et croire follement maiftres de fes deftins

Ces Dieux nés du fumier porté dans ses jardins.
(26) Defpréaux, felon fon Commentateur, s'ap-
plaudiffoit d'avoir dit deux fois la même chofe,
fans s'être copié: mais la manière, dont il s'expri-
me la dernière fois, (27) eft fi foible, qu'elle ne
peut être comparée à la première, qui eft auffi
vive & auffi noble qu'elle puiffe être. C'est ainfi

REMARQUES.

(25) L'Art fe tailla des Dieux &c.] Sat. XII. Vers 90. Tome I. page 243.

(26) Defpréaux, felon fon Commentateur Voïés, ibid. Rem. fur le Vers 97.

s'applaudifoit &c.]

(27) eft fi foible, &c.] Je ne puis être ici de l'avis du Critique. 1° La feconde manière n'eft pas plus foible, mais plus étendue que la première, comme elle le devoit être ; parce que dans la XII. Satire, il étoit queftion de montrer combien les Hommes s'étoient ridiculement équivoqués par l'Idolatrie; & c'eft ce qui ne fe pouvoit faire que par un détail. Dans la VIII. Satire, l'Auteur n'aïant rien à dire autre chofe, finon que les Bêtes plus fenfées que les Hommes ne les avoient jamais adorés ; au lieu que les Hommes avoient adoré les Bêtes : il n'a parlé de l'Idolatrie qu'en parlant.

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2. La feconde manière n'eft pas tout-à-fait auffi noble que la première. J'en conviens: mais c'eft la faute du détail, & non du Poëte; & ce détail êtant néceffaire, il a du fuffire à l'Auteur de l'avoir revêtu de toute la nobleflc, dont il êtoit fufceptible,

que l'âge qui fait baiffer l'efprit, affoiblit auffi le jugement.

Les Ennemis & les Envieux de Defpréaux ont mis tout en œuvre pour décrier fes Ouvrages, fans pouvoir en venir à bout; parce que les bonnes chofes fe foutiennent d'elles-même, & ne font pas fujètes au caprice ni à la malice des Hommes: Ils ont blâmé fes mœurs & fa conduite avec auffi peu de fuccès; parce qu'il donnoit auffi peu de prife d'un côté que d'autre. C'eft le parti des Efprits malfaits d'attaquer la réputation de ceux qui leur font ombrage, lorfqu'ils ne peuvent décrier leurs Ecrits. Ils fe flatent au moins de leur nuire du côté des Mœurs, parce qu'il eft plus difficile à un Homme de juftifier fa conduite, qui ne peut être connue que d'un petit nombre de perfonnes, que de juftifier fes Ouvrages, que tout le monde peut voir. Si Defpréaux eut êté moins célèbre, fa réputation feroit peut-être restée douteuse par le grand nombre d'accufations, que les mal-intentionnés ont faites de tout tems contre lui; quoique fes Ouvrages fuffifent aux Connoiffeurs pour avoir une idée jufte de fon caractère.

Un Homme, qui compofe pour le Public, fe dépeint lui-même, malgré qu'il en ait. Ses panchans, fes inclinations, fes fentimens, fes paffions; tout perce le voile & fe découvre; & c'eft un grand avantage pour Defpréaux. Ses Ouvrages nous font voir un Homme vrai, fimple & naturel, habile Critique, fans fiel & fans reffentiment, auffi honnête Homme que grand Poëte.

Il n'eft pas donné à tout le monde de connoître le caractère d'un Auteur par la feule lecture de ses Ouvrages. Il faut pour cela favoir démêler les détours & les fubtilités, dont quelques-uns font capables. Il n'y a que des gens éclairés, qui puiffent en venir á bout. Un Homme, qui ne fait pas

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