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Nous y trouvons en même tems la cause de nâtre gout, la preuve de nos opinions, & la décifion de nos doutes.

Les bonnes Critiques font très-rares, quelquesunes font foibles ou triviales, elles ne décident rien, (1) ou ne roulent que fur des matières peu importantes; d'autres font dépourvuës de cette jufteffe, qui doit en faire tout le mérite; & la plufpart reffemblent à des déclamations, ou à des libelles; l'oftentation y décide tout, ou la paffion y offufque le bon fens. On n'a aucune obligation à un Homme, qui s'attache plus à briller qu'à inftruire; ou qui ne fait fentir que les défauts d'un Ouvrage, fans fe mettre en peine d'en découvrir les beautés. Lorfque tout y eft mauvais, la critique eft infructueufe. Les chofes médiocres ne méritent pas même nôtre attention, il n'y a que les excellentes qui doivent nous occuper, parce qu'il n'y a pas jufqu'à leurs défauts qu'on ne puiffe mettre à profit.

C'est dans cette vuë que (2) j'ai fait plufieurs remarques fur les meilleurs Ouvrages de nos Auteurs contemporains. Je commence par les Satires de Defpréaux; fi mes obfervations plaisent au Public, je parlerai auffi de fes autres Ouvrages, & je viendrai enfuite à quelques Auteurs plus modernes.

REMARQUES.

(1) ou ne roulent que fur des matières peu importantes ;] En général ce n'eft point aux minuties, que la Critique doit s'arrêter Cette regle pourtant eft fufceptible d'exception, Le deffein que je me fuis propofé dans les Notes Critiques, que j'ai jointes aux Remarques de Broffetre, m'engage à faire attention à de très-petites chofes &, li je m'en difpenfois, je ne remplirois pas mon plan. (2) j'ai fait plusieurs remarques fur les meilleurs Ouvrages &c.] Cet Auteur n'a mis dans fon Livre, dont j'ai parlé, que ce qui concerne Despréaux. J'ignore s'il a fait imprimer ailleurs fes Remar ques fur nos autres Ecrivains.

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Je regarde Defpréaux comme (3) le premier de nos Poëtes, pour la beauté de la Verfification. Rien de plus fini, & en même tems de plus aifé que fes Vers. Perfonne n'a êté plus loin que lui pour la jufteffe des penfées & (4) pour la délicateffe des Expreffions. Je fuis perfuadé que peu de Poëtes l'égaleront dans la fuite; & je doute qu'aucun le furpaffe jamais. Ses Ouvrages ne font pourtant pas tous de même force; des douze Satires, qu'il a compofées, (5) les deux dernières fe fentent de la pefanteur de l'âge où il les a faites; le tour & les figures en font forcées, & le ftile languiffant. (6) Dans la XI. ( qui eft fur l'honneur ) il s'écarte de fon fujet pour répèter d'une manière foible ce qu'il avoit dit du Vrai dans fa IX. Epitre

REMARQUES.

(3) le premier de nos Poëtes, pour la beauté de la Verfification. ] RACINE, & peut-être D'Hefnault, peuvent difputer ce titre à Def préaux.

(4) pour la délicateffe des Expreffions. ] Il y a, fans contredit, des Expreffions très-délicates en quelques endroits des Poefies de Def préaux. Mais ce n'eft pas la Delicateffe, qui le caractérise principalement à l'égard de l'Expreffion; c'est la force, la vérité, la just sse. Ses Expreffions font ordinairement de même nature que fes Penfées. () les deux dernières fe fentent de la pelanteur de l'age &c.] Ce Jugement est très exact à l'égard de la XII. Satire, où l'on trouve cependant des traits de force dignes de ce que Defpréaux êtoit dans fa jeunefle. Pour la XI. elle eft, fans contredit, plus faible que la II. & la IX. mais elle n'est point inférieure à la I. à la IV. & à lav. Elle frappe moins, parce que le fujet, extrêmement férieux & moins propre à traiter dans une Satire que dans une Epitre, n'a pas permis à l'Auteur de s'égaïer autant qu'il l'avoit fait dans fes autres Satires. Mais cela n'empêche pas, qu'en général, la Pièce ne foit penfée avec juftefle, écrite avec force, & verifiée avec feu. Quelques défauts, en petit nombre, ne doivent pas la faire mettre au-deffous de quelques autres, auxquelles elle elt certainement fupérieure.

(6) Dans la XI.... il s'écarte de fon fuiet pour répèter d'une manière foible ce qu'il avoit dit du Vrai dans la IX. Fpitre &c.] 1°. J'ai déja dit quelque part, & je le répèterai fans doute encore plus d'une fois, qu'on a tort d'accufer un Poëte Satirique de s'écarter de fon fujet. C'eft ignorer ce que c'eft que la Satire ; c'eft ne point connoître Horace, Juvenal, Perse ni Regnier. Ce qui paroît être

avec tant d'énergie; il emploie des Comparaifons ufées, telles que celles-ci :

Le Monde,à mon avis, eft comme un grand Théâtre,&c. Car d'un Devot fouvent au Chretien veritable,

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chés eux le fujet d'une Satire, n'en eft que l'occafion, ou le pré. texte, fije puis m'exprimer ainfi. Leur but unique eft de fatirifer. Ils ne choififfent un fujet, que pour donner à leurs idées une forte de liaifon. L'accefloire eft ce qui les occupe. Pour le principal du fujet, ils ne le traitent que quand & comme il leur plaît; & pourvu qu'ils fachent, de quelque manière que ce foit, y faire tenir ce qu'ils difent, on n'a là deffus aucun reproche à leur faire. Dans ce genre d'Ouvrage, l'Ecrivain eft maître de fa matière; dans les autres genres, c'eft la matière qui maîtrife l'Ecrivain.

2o. Dans la IX. Epitre il eft queftion du Vrai, comme unique fource de ce qui peut plaire. Dans la XI. Satire, il s'agit de la Vérité, comme ne différant point de la Juice, dans laquelle le vrai Honneur confifte. Ces deux idées générales ne fe reffemblent point, & l'on ne peut pas dire que Defpréaux fe foit répèté. Deux endroits feulement ont quelque reflemblance dans ces deux Pièces. Il s'agit dans l'un & dans l'autre d'un Homme, qui veut paroître ce qu'il n'eft pas, & voici comme Defpréaux s'exprime à ce fujet dans la XI. Satire, Vers 18. Tome I. page 114.

Le Monde à mon avis eft comme un grand Theatre,

Où chacun en public l'un par l'autre abufé
Souvent à ce qu'il eft joue un rôle oppose.

Tous les jours on y voit, orné d'un faux visage,
Impudemment le Fou répréfenter le Sage,
L'Ignorant s'ériger en Spavant faflueux,
Et le plus vil Faquin trancher du vertueux,
Mais, quelque fol efpoir dont leur orgueil les berce:
Bien-toft on les connoift, & la verité perce.
On a bean fe farder aux ieux de l'Univers
A la fin fur quelqu'un de nos vices couverts

Le Public malin jette un œil inévitable;

Et bien-toft la Cenfure, au regard formidable,·

Stait, le crayon en main, marquer nos endroits faux,
Et nous développer avec tous nos defaux.

Du Menfonge toujours le Vray demeure maifire.

Pour paroifire honnelle Homme en un mot il faut l'efire:

Et jamais, quoiqu'il faffe, un Mortel ici bas

Ne peut aux yeux du monde eftre ce qu'il n'eft pas.
En vain ce Mifanthrope aux ïeux trifles & fombres,
Vent par un air riant en éclaircir les ombres:
Le Ris fur fon visage eft en mauvaise humeur ;
L'agrément fait fes traits, fes caresses font peur ;

La diftance eft deux fois plus longue à mon avis,
Que du Pole Antartique au detroit de Davis.

REMARQUES.

Ses mots les plus flateurs paroiffent des rudefes,
Et la vanité brille en toutes fes baffeffes.
Le Naturel toujours fort, & fçait fe montrer.
Vainement on l'arrefte, on le force à rentrer

Il rompt tout, perce tout, trouve enfin paffage.

Oppofons à ce morceau celui de la IX. Epitre, Il commence au Vers 69, Tome I. page 387.

- Il n'eft Efprit fi droit

Quine foit impofleur & faux par quelque endroit.

Sans ceffe on prend le masque, & quittant la Nature,
On craint de fe montrer fous fa propre figure.
Par là le plus fincere affez souvent déplaît.
Rarement un Efprit ofe eftre ce qu'il eft.

Vois-tu cet Importun que tout le monde évite ;

Cet Homme à toujours fuir qui jamais ne vous quitte?

Il n'eft pas fans efprit; mais né trifle & pezant,

Il veut eftre folâtre, évaporé, plaifant:

Il s'eft fait de fa joye une loy necessaire

Bi ne déplaift enfin que pour vouloir trop plaire.
La fimplicité plaist fans étude & fans art.

Tout charme en un Enfant, dont la langue fans fard,
A peine du filet encor débaraffée,

Stait d'un air innocent bégayer ja pensée.

Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant ;
Mais la Nature eft vraye, & d'abord on la fent.
C'eft elle feule en tout qu'on admire, & qu'on aime.
Un efprit né chagrin plaist par fon chagrin même.
Chacun pris dans fon air eft agréable en foy.

Ce n'eft que l'air d'autrui qui peut déplaire en moy.
Ce Marquis eftoit né doux, commode, agréable:
On vantoit en tous lieux fon ignorance aimable:
Mais depuis quelques mois devenu grand Docteur,
Il a pris un faux air une forte hauteur
Il ne veut plus parler que de rime & de profe,
Des Cenfeurs decriez il prend en main la cause.
Il rit du mauvais gouft de tant d'Hommes divers,
Et va voir l'Opera feulement pour les Vers.
Boulant fe redreffer soi-mefme on s'eflropie,
Et d'un original on fait une copie.

L'Ignorance vaut mieux qu'un Sçavoir affecté.
Rien n'eft bean, je reviens, que par la verité,
C'est par elle qu'on plaift & qu'on peut long-temps plaire.
L'efprit laffe aifément, file cœur n'eft fincere,

(7) La distance d'un lieu à un autre n'a rien de commun avec la différence des Caractères. Cette expreffion eft burlefque & puérile. (8) La longue Allégorie qui termine la Pièce, acheve de la ren

REMARQUES.

C'eft affés d'avoir mis ces deux Morceaux fous les feux des Lecteurs , pour leur faire voir combien l'Auteur de ces Réflexions a tort, de prétendre que Defpréaux s'est répèté. Je n'ai pas deffein de nier, qu'il ne fe trouve dans l'un & dans l'autre de ces Morceaux des Penfées, qui dans le fond font les mêmes; mais comme une Penfée change en quelque forte de nature, felon les différens ufages, que l'on en fait, on ne peut pas dire qu'elle foit la même par tout; & cette Penfée feroit emploiee vingt fois dans divers Ouvrages, fans qu'on pût dire une feule fois, qu'elle est répétée. Il faut toujours voir en conféquence de quoi l'on s'en fert & pour quelle fin. Ces deux circonftances déterminent l'Expreflion; & l'Expreffion variée fait qu'une Penfée devient nouvelle chaque fois que l'on en fait ufage. Ce font-là des Principes certains, & dont tout Lecteur peut ailément faire l'application. Je dirai feulement, qu'en comparant avec attention les deux Morceaux, que je viens de rapporter, on leur trouvera la même jufteffe de penfée; mais le Stile du premier eft plus majeftueux & plus foutenu; celui du fecond plus fimple & plus vif. Tous deux font, à peu de chofe près, également bien verfifiées de manière pourtant, qu'il y a plus de force dans le premier, & plus de douceur dans le fecond.

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3°. Quant à la comparaifon du Monde avec un Théâtre, il faut avouer qu'elle n'eft pas neuve. C'eft une Amplification de cette Sentence triviale: tota vita fabula efi: mais cette Amplification eftelle triviale elle-même ? L'Auteur n'a-t-il pas fù rendre d'une ma nière, qui lui fût propre, une Comparaison, ou plutôt une parité, que mille gens avoient emploïée avant lui, que mille autres ont emploïé depuis, & qui fera vraisemblablement emploïée dans tous les tems? La Penfée la plus commune ne fauroit pafler pour ufée, dès que l'on a fu fe la rendre propre par l'Expreffion ou le Tour, ou même feulement par l'Elocution.

(7) La distance &c.] Les trois Vers qui précèdent font de la Sat, XI. Vers 114. Tome I. page 222. La Critique, que l'on fait ici de ces Vers elt très-jufte. Ils n'offrent qu'un badinage froid, qui manque de jufteffe; que l'on peut véritablement appeller burlefque ; & qui d'ailleurs eft d'autant plus répréhentible, qu'il fe trouve placé dans l'endroit de la Pièce le plus férieux, & dont, à cela près, la gravité répond à l'importance de la matière. La difparate ne pouvoit pas être plus complète.

(8) La longue Allégorie &c. 1 Elle eft un peu longué en effet ; mais elle eft bien contée & bien écrite, & les Vers en font mar. qués au coin de l'Auteur. Ce n'eft donc pas fur fa longueur qu'it

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