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Mais répondez un peu. Quelle Verve indifcrette

Sans l'aveu des neuf Sœurs vous a rendu Poëte ?
Sentiez-vous, dites-moi, ces violens tranfports,
Qui d'un efprit divin font mouvoir les refforts?
Qui vous a pû fouffler une fi folle audace ?
Phébus a-t-il pour vous applani le Parnasse ?
Et ne fçavez-vous pas, que fur ce Mont facré,
Qui ne vole au fommet tombe au plus bas degré :
Et qu'à moins d'eftre au rang d'Horace ou de Voiture,
On rampe dans la fange avec l'Abbé de Pure.

Mais fi mes avis ne fçauroient retenir le penchant malicieux qui conduit voftre plume, fans paffer le temps que vous confacrez aux Filles de Mémoire en reflexions inutiles, entreprenez l'Histoire du Roi. Dans un Volume employant avec grandeur toutes les connoiffances que vous vous eftes faites des routes du facré Mont, chaque année annobliroit ce Recueil, & voftre réputation immor→ telle chargeroit Barbin de toute fa fumée.

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Que fi tous mes efforts ne peuvent réprimer Cet afcendant malin qui vous force à rimer Sans perdre en vains difcours tout le fruit de vos veilles Ofez chanter du Roi les augustes merveilles. Là mettant à profit vos caprices divers, Vous verriez tous les ans fructifier vos Vers; Et par l'espoir du gain vôtre Muse animée, Vendroit au poids de l'or une once de fumée.

Peut-eftre repondrez-vous que c'eft inutilement que j'ofe vous chatouiller d'un travail brillant, qui vous femble trop hardi; que tout Poëte n'a pas la voix du Chantre Thébain; qu'un autre eft extraordinaire de faire entonner la trompette à la tou

chante Elégie; & qu'il n'eft pas en la puiffance de tout bel Elprit de chauffer le Cothurne pour faire parler de cette forte la Reine au Roi:

(4) L'Ifle venoit de voir foudroyer fes remparts,

Et l'Ibere vaincu fuyoit de toutes parts.

Avec un vol fi téméraire, éloigné de celui d'Icare, (5) le fçavant Eleve de Malherbe toucheroit le luth de l'héroïque Auteur de l'Iliade. Mais pour (6) le pitoyable Traducteur des Lamentations de Jérémie & (7) le cauftique Boileau, à qui la paffion de la Poëfie dicte des impromptus, & que l'envie de critiquer & l'étude ont rendu Verfificateurs, quoique tous les (8) Pédans prennent le parti de noftre Minerve, il nous eft plus favorable de nous croire dans l'oubli. Des Vers froids & un panégyrique bas oftent en mefme temps l'honneur au Poëte & au Prince. Je vous le dis, de pareilles entrepri fes furpaffent une légère érudition.

Mais en vain, direz-vous, je pense vous tenter
Par l'éclat d'un fardeau trop pefant à porter.

Tout Chantre ne peut pas, fur le ton d'un Orphée,
Entonner en grands vers, la Difcorde étouffée,
Peindre Bellone en feu tonnant de toutes parts ›
Et le Belge effrayé fuiant fur fes remparts.
Sur un ton fi hardi, fans eftre temeraire,
Racan pourroit chanter au defaut d'un Homere,

REMARQUES.

(4) L'Ifle venoit de voir &c.] Ces deux Vers font d'une Elégie de M. Fléchier, dans laquelle la Reine parle au Roi fur fes travaux guerriers.

(s) le fçavant Eleve de Malherbe ] RACAN.

(6) le pitoyable Traducteur des Lamentations de Jérémie ] L'Abbé Cotin.

(7) le cauftique Boileau,] C'est l'Auteur lui-mefme.

(8) Pédans] Ce mot eft remplacé dans les Vers par celui de

Mais pour Cotin & moi, qui rimons au hazard,
Que l'amour de blâmer fit Poëtes par art.
Quoiqu'un tas de Grimauds vante noftre éloquence,
Le plus feur eft pour nous de garder le filence.
Un Poëme infipide & fottement flatteur
Deshonnore à la fois le Heros & l'Auteur.
Enfin de tels projets paffent noftre foibleffe.

Voilà comme s'exprime un Efprit, qui languit dans la volupté, & qui fous l'extérieur d'une fauffe humilité couve une Ironie d'autant plus à craindre qu'elle eft plâtrée d'un refpe&t peu fincere. Cependant ayant envie de rifquer voftre renommée, ne vous euft-il pas efté plus glorieux de lui donner l'effor vers le Ciel,que de contenter voftre amour pour la Satire par une Poëfie contraire au Christianisme; par là noircir quiconque ne fonge pas à vous, & de la gloire dont flatte une Satire hardie, faire la fortune d'un Imprimeur, en courant rifque de la voftre.

Ainfi parle un Efprit languiffant de moleffe,
Qui fous l'humble dehors d'un refpect affecté
Cache le noir venin de fa malignité.

Mais deuffiez-vous en l'air voir vos aîles fonduës,
Ne valoit-il pas mieux vous perdre dans les nuës,
Que d'aller fans raison d'un stile peu Chrestien,
Faire infulte en rimant à qui ne vous dit rien,
Et du bruit dangereux d'un livre temerairę
A vos propres dépens enrichir le Libraire.

Voftre orgueil fe met-il en tefte de parvenir à

REMARQUES,

Grimauds; terme vague, auquel nous n'attachons aucune idée préGifc & qui ne peut rendre celle que le mot Pedant exprime.

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l'immortalité d'Horace, & vous penfez-vous arrivé au degré de ces vers inexplicables qui pourroient défefpérer les Scaligers à venir, par un Poëme auffi obfcur que celui de Lycophron? Quel grand nombre d'Auteurs ont efté d'abord favorablement approuvez, que l'on a vûs enfuite rebutez du Public? Combien en voit-on encore pendant un temps fe contenter du débit de leur Volume, qu'ils fçavent après dans une balance méprifable? Un Poëte eftimé de fon fiecle fçait que fes Ouvrages font dans la mémoire de tout un Peuple, mais après, vieillis dans la poudre & prefque inconnus, ils vont avec (9) le Sac de Carthage & (10) les ridicules rimes d'un Poëte méprifé,(11) fervir avec d'autres d'enveloppes chez l'Epicier, ou par lui châtrez de toutes les pages favorables au galimathias, courir les Quais par lambeaux.

Vous vous flattez peut-eftre en voftre vanité
D'aller comme un Horace à l'Immortalité :

Et déja vous croyez dans vos rimes obfcures
Aux Saumaifes futurs préparer des tortures.
Mais combien d'Ecrivains, d'abord fi bien receus >
Sont de ce fol efpoir honteufement deceus ?

Combien pour quelques mots ont veu fleurir leur Livre,
Dont les vers en paquet fe vendent à la livre ?
Vous pourrez voir un temps vos Ecrits eftimez,
Courir de main en main par la Ville semez,

REMAR QUE S.

(9) le Sac de Carthage ] TRAGE'DIE de Puget de La Serre, (10) les ridicules rimes d'un Poete méprife, ] L'Auteur indique Neuf-Germain, qui faifoit fervir en Rimes, les fillabes des Noms de ceux pour lefquels il compofoit des Vers.

(11), fervir avec d'autres &c.] Ce refte de Phrafe ne forme point de fens dans la Copie. On y lit fervir à d'autres enveloppes,

Puis de là tout poudreux ignorez fur la terre,
Suivre chez l'Epicier Neuf-Germain & la Serre :
Ou de trente feuillets réduits peut-eftre à neuf,
Parer demi-rongez les rebords du Pont-neuf.

Où eft la gloire pour vos Ecrits de fervir d'amufement aux Pages & aux Laquais, & quelquefois mefme égarez, de les voir à cofté des Chanfons (12) du Savoyard! Cependant malgré ce deftin fi rebutant, je fuppofe qu'ils fe foutiennent par la nouveauté de voftre Satire, & que leur recueil fatiffaifant vos defirs, ferve à faire fiffler Cotin jufqu'au dernier fiecle; une récompenfe de fi longue durée vaut-elle la peine de médire; & une raillerie ingénieufe eft-elle bien foûtenue, fi elle n'a pour approbateurs que l'épouvante du Peuple, & la vindication des Ignorans ?

Le bel honneur pour vous, en voyant vos Ouvrages
Occuper le loifir des Laquais & des Pages,
Et fouvent dans un coin renvoyez à l'écart
Servir de fecond tome aux airs du Savoyard!

Mais je veux que le Sort par un heureux caprice,
Faffe de vos écrits profpérer la malice,

Et qu'enfin voftre Livre, aille au gré de vos vœux,
Faire fiffler Cotin chez nos derniers Neveux.
Que vous fert-il qu'un jour l'avenir vous estime,
Si vos vers aujourd'hui vous tiennent lieu de crime,
Et ne produifent rien pour fruits de leurs bons mots,
Que l'effroi du Public & la haine des Sots ?

Quel eft donc le Génie qui émeut voftre bile, &

REMARQUES.

d'Epicier, qui par lui châtrez de toutes les pages favorables au galima. thias, courent les Quais par lambeaux.

(12) du Savoyard!] Fameux Chantre du Pont-neuf.

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