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n'a point déplu à M. Defpréaux. C'est un bien fi grand, c'est une gloire fi relevée, que je n'avois garde de l'efpérer. Il y a longtems que j'applique à ce grand Homme un éloge plus étendu que celui (55) que Phédre donne à EsoPE, naris emuncte, natura numquam verba cui potuit dare. Il me femble aufli que l'induftrie la plus artificieuse des Auteurs ne le peut tromper. A plus forte raifon ai-je du voir que je ne furprendrois pas fon fuffrage, en compilant bonnement à l'Allemande, & fans me gêner, beaucoup fur le choix, une grande quantité de chofes. Mon Dictionnaire me paroît à fon égard un vrai Voïage de Caravanne, où l'on fait vingt ou trente lieues, fans trouver un Arbre fruitier, ou une Fontaine : mais moins j'avois espéré l'avantage, que vous m'annoncés, plus j'y ai êté fenfible.

X V.

AVERTISSEMENT fur la Pièce fuivante.

DANS un Porte-feuille, donné par un Savant illuftre à la Bibliothèque du Roi, fe trouve un Morceau fingulier, dont quelques Lecteurs me fauront aparament gré de leur avoir fait part. Il a pour titre dans la Copie: SATIRE IX. de M. BOILEAU-DESPRE AUX en Profe, fur laquelle il a mis depuis en Vers, celle qui fe lit dans le I. Volume de fes OEUTM.

REMARQUES.

(55) que Phédre ] Liv. III. Fab, III, Vers 14. & 15,

VRES, trouvée dans fon Cabinet après fa mort. Après ce Titre, on lit ce que voici.

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« L'accueil, que le Public a fait aux différentes » Editions des OEUVRES de BOILEAU DESPRE AUX, ne peut être que favorable à cette IX. Satire en Profe, » qui y eft imprimée en Vers. Les petits traits, qui font » au-defjous de certains mots fervent à marquer leur répétition dans la Poefie. On a pensé que cette » exactitude, qui n'eft point obfervée dans le Ma>>nufcrit, eft ici utile & néceffaire, & qu'elle épar»gne aux Lecteurs la peine d'un pareil examen. On ne fe rend point garant au refte fi le Satirique n'a Do point laiffé de Copie plus correcte de cette partie de fon recueil. Eile eft d'autant plus eftimable, que » l'Auteur, au lieu de nommer fimplement les Noms (des Ecrivains), rejette l'Ironie fur le Titre des "Livres, ce qui compofe un fel beaucoup plus piquant. Le reste de (1) la traduction n'eft pas moins curieux pour la différence de quelques Noms, qui ne paroiffent point dans l'Edition en Vers; & l'on a » fait enforte que les petites Notes, que l'on y a jointes, éclairciffent nettement les endroits obfcurs » de cette IX. SATIRE ».

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On voit par ces paroles que celui qui s'eft originairement donné la peine de copier cette Satire en Profe, avoit eu deffein de la rendre publique. Je ne fais ici que remplir fes intentions. F'ai confervé fes petites Notes, en les réformant & les augmentant, quand je l'ai cru néceffaire. A l'égard de ce qu'il avoit prétendu faire pour marquer les rapports des deux Pièces enfemble, je n'ai pas vu quel avantage en pouvoit revenir; &, pour que les Lecteurs puffent faire plus commodément ce parallèle, il m'a paru que le

REMARQUES.

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(1) la traduction] Il eft affés fingulier, que le cannevas en Profe d'une Pièce mife enfuite en Vers foit appellé Traduction,

mieux étoit d'unir les deux Pièces enfemble de la ma nière, qu'on le va voir:

Je ne vanterai point le préfent, que je fais au Public; & je ne dirai point qu'il en eft de cela, comme de ces Deffeins croqués à la hâte, que les Peintres nomment Premières Idées. Je pourrois pouffer la comparaifon jufqu'au bout, & faire voir que la Satire en Profe que l'on va lire, mérite la même eftime, que les Connoiffeurs accordent à ces Deffeins informes, dont je viens de parler: mais il me paroît plus raisonnable de dire fimplement, que ce que je donne eft une pure curiofité, qui ne peut guère fervir qu'à confirmer l'opinion, où l'on eft, que M. Defpréaux compofoit toutes fes Poëfies en Profe avant que de les mettre en Vers. On affure la même chofe de M. Racine.

L'exemple de ces deux Grands Maitres fait l'apologie de cette méthode, que Meffieurs de Port-Roïal ont recommandée dans leur Traité de la Versification Françoise:mais qui d'abord ne paroît propre qu'à rallentir le feu de la Compofition. Ainfi, malgré des autorités fi refpectables, je crois pourtant que le mieux fera toujours, généralement parlant, de penfer en Vers, de même que l'on penfe en Profe. Je m'explique. Après s'être rendu maître de toute fa matière par une méditation profonde; &, fi l'on veut, par un plan arrêté fur le papier, auquel on puiffe avoir recours pour contenir l'Imagination, & l'empêcher de fe livrer à ces écarts, qui lui font fi familiers dans la chaleur de la Compofition; il faut paffer à l'éxécution détaillée de fon projet, & fe livrer à l'impulfion du Génie. Les Penfées fe préfenteront alors fous la forme convenable au genre d'Ouvrage,que l'on veut faire;&, fi c'est en Vers que l'Ouvrage doit être écrit, on éprouvera que prefque toutes les Penfées s'offriront à peu près avec le même tour, qu'elles doivent avoir en Vers.

CARMINA provifam rem non invita fequuntur.

SATIRE IX.

છે.

SATIRE

I X.

En Profe & en Vers.

J'AI deffein de m'entretenir avec vous, mor Efprit. Je ne fçaurois vous paffer vos libertez, ni vous accorder davantage de baile flaterie fur les traits fatiriques dont vous piquez les grands Auteurs de voftre fiecle. J'ai donc réfolu de ne vous rien cacher de ce que je pense.

C'est à vous, mon Esprit, à qui je veux parler.
Vous avez des defauts que je ne puis celer.
Affez & trop long-temps ma lâche complaisance
De vos jeux criminels a nourri l'infolence.
Mais puifque vous pouffez ma patience à bout,
Une fois en ma vie il faut vous dire tout.

Ne foupçonneroit-on pas en lifant vos bons mots, en vous entendant débiter vos belles maximes, au ton que vous prêtez à vos décifions fur les Poëtes, & à la hardieffe avec laquelle (1) vous refutez des Théologiens, que vous etes l'unique refpecté de la Médifance, & qu'il n'eft permis qu'à vous de décider du bon ou du mauvais fort d'un Ouvrage ?

On croiroit à vous voir, dans vos libres caprices,
Difcourir en Caton des vertus & des Vices,
Décider du mérite & du prix des Auteurs,
Et faire impunément la leçon aux Docteurs

(1)

REMARQUES:

_vous refutez des Théologiens ; ] Allusion à la VIII, Šatire, Tome V.

R

Qu'eftant feul à couvert des traits de la Satire,
Vous avez tout pouvoir de parler & d'écrire.

Cependant un Genie particulier me parle inceffamment de vous contre ce procédé. Ma perfonne ne perd point de vûë le haut & le bas de vos penfées; elle ne peut s'empêcher de foûrire en voyant voftre foibleffe & voftre ftérilité fe mêler de (2) critiquer la Ville de Paris, dans vos coups de dent, plus bourru & plus cynique que le Sexe en fureur, & l'Avocat Gautier qui plaide.

Mais moi, qui dans le fond, sçais bien ce que j'en crois,
Qui compte tous les jours vos defauts par mes doigts,
Je ris quand je vous vois fi foible & fi fterile
Prendre fur vous le foin de reformer la Ville,
Dans vos difcours chagrins plus aigre, & plus mordant
,
Qu'une Femme en furie, ou Gautier en plaidant.

Néanmoins parlons enfemble. D'où vous eft venuë voitre inspiration médisante? Boit-on de l'Eau d'Hippocrene, fi l'on n'a les Mufes favorables? Eftiez-vous agité, répondez-moi, de cette Imagination fougueufe dont le Dieu des beaux Vers tranfporte les Poëtes qu'il aime? La double Montagne a-t-elle efté rendue facile pour vous feul? Ne devriez-vous pas eftre inftruit que qui ne franchit pas d'abord la hauteur du Parnaffe, demeure au pié fort long-temps; & que fi un Auteur n'a pas l'autorité d'Horace & le badinage de Voiture, il croupit avec ( 3 ) fa traduction de l'Inftitution de l'Orateur.

REMARQUES.

(2) critiquer la Ville de Paris, ] Allufion à la VI. Satire. (3) fa traduction de l'Inftitution de l'Orateur.] L'Auteur défigne iai l'Abbé de Pure, Auteur d'une Verfion de Quintilien

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