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currens, on permit de procèder à la Réception de M. de La Fontaine. Il fut reçu le 2. du mois de Mai (1684), & l'on eût reçu M. Despréaux le même jour s'il eût êté à Paris. Mais il n'avoit garde d'y être. Il êtoit en Flandres, avec le Roi, qu'il accompagne dans toutes fes Expéditions, afin d'en pouvoir parler comme témoin oculaire. Il ne fut reçu que le premier jour de ce mois (de Juillet ). Il fit (34) un Difcours d'un petit quart d'heure qui fut écouté avec beaucoup de plaifir de toute l'affemblée, fort nombreuse ce jour-là....

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Le Difcours de M. Despréaux a êté trouvé digne de fon efprit & de fa réputation. La plufpart de ceux qui en parlent, le louent extrêmement, & ceux qui en difent le moins de bien, font entendre feulement qu'il n'y avoit rien de fort extraordinaire. C'eft un figne qu'il s'eft fort bien tiré de ce pas là. L'endroit, où il dit que l'entrée de l'ACADE'MIE lui devoit avoir été fermée par tant de raifons, a renouvellé le fouvenir de tant d'Académiciens morts & vivans, qu'il a maltraités dans fes Satires. Les Chapelains, les Caffagnes, les Cotins, les Def marêts, les Scuderis, les Quinaults, fe font préfentés d'abord à l'efprit de tout le monde, & on croit que fi le Roi, qui eft au-deffus des Loix, ne fe fût pas mêlé de la chofe, l'Académie s'en fût tenue à fes Statuts, qui l'obligent, dit-on, d'avoir un reffentiment d'exclufion pour tous ceux qui la diffament en la perfonne de fes Membres. Mais fa complaifance pour le Souverain lui a fait tenir une conduite tout-à-fait chretienne. Ceux qui aiment cette Académie, la louent d'avoir oublié généreufement Les injures, qu'elle avoit reçues. Les Ennemis de M. Defpréaux font bien - aifes qu'il ait recher

REMARQUES.

(34) un Difcours &c.] Voïés, Tome III. page 63.

ché, comme une grace, d'entrer dans un Corps, dont il avoit mal parlé à ce qu'ils prétendent: & ils font fur cela des comparaifons, qu'il n'eft nullement neceffaire de dire ici. Quoiqu'il en foit, M. Defpréaux eft d'un mérite fi diftingué, qu'il eût êté difficile à Meffieurs de l'Académie Françoise de remplir, auffi avantageufement qu'ils ont fait, la place de M. de Bezons.

VIII. (35) Le Sel de la Satire demande qu'on ne s'explique pas toujours clairement. Les Allufions un peu cachées y ont une grace merveilleule pour les gens d'efprit. C'eft ce qui a êté oblervé fort adroitement par M. Defpréaux en quelques rencontres, & cela même fait fouhaiter déja un bon Commentaire fur fes Satires, à plufieurs perfonnes, qui ne connoiffent pas bien la Carte de Paris & de la Cour. Il eft fur que nôtre poftérité aura befoin de ce Commentaire; car enfin la connoiffance de plufieurs faits perfonnels, défignés dans une Satire, s'évanouit de telle forte, qu'on ne la trouve plus dans la mémoire des Hommes; & c'en eft fait, fi l'on ne l'a pas confervée par écrit. L'Auteur ne feroit peut-être pas mal de commenter luimême fes Ouvrages. Il fait ce qu'il a voulu dire mieux que perfonne du monde, & il pourroit empêcher qu'on lui attribuât de faux fens. Mais peutêtre auffi qu'il vaut mieux laiffer faire la Poftérité. Il n'y a point de doute, que fi l'on faifoit un jour des Commentaires fur les Productions de ce Siècle, comme l'on en fait depuis cent ans fur les plus anciens Auteurs, l'on ne fit avoir à bien des gens plus d'efprit & plus de fcience, qu'ils n'en ont eu. Nos Commentateurs font quelquefois tort aux An

REMARQUES..

(35) Le Sel &c. ] Tiré des Oeuvres Diverfes, Tome I. Nouvelles de la République des Lettres, Octobre 1684. Article V.

ciens, parce qu'ils n'attrapent pas toujours la beauté de leurs penfées; mais quelquefois on fait plus d'honneur à leurs penfées, qu'elles n'en méritent. On y cherche & on prétend y trouver de grands miftères. Ils riroient bien fans doute, s'ils favoient tout ce qu'on leur fait penfer.

IX. (36) Vous avés vu parmi les Poëtes François, dont (37) l'Abbé de Villeloin a fait mention, celui qui a compofé une fi belle Verfion des Lamentations de Jérémie & du Chant Nuptial de l'Epouse des Cantiques, après s'être affés fignalé par d'autres Pièces Philofophiques & quelques autres encore un peu moins férieuses, quoique toujours fort honnêtes, dans fon Théoclée; dans fon Livre de l'Ame Immortelle, & dans fon Recueil d'ENIGMES; & vous n'avés pu deviner à tant de marques le nom de cet Homme-là. Vous voulés que je vous le dife; il me fera aifé de vous fatisfaire: mais je crains que vous ne vous repentiés d'avoir êté fi curieux. Vous attendés fans doute quelque grand nom révéré fur le Parnaffe; & vous ne recevrés qu'un Nom excommunié, profcrit, & abandonné en proie aux Comédiens; & il faudra que l'admiration ou l'eftime, que vous aviés preparée, faffe place à la pitié, qui eft due aux malheureux; car c'eft de l'Abbé Cotin, que l'Abbé de Villeloin a voulu parler.

Cotin, qui n'avoit déja êté que trop expofé au mépris du Public dans les Satires de M. Defpréaux, tomba entre les mains de Molière, qui acheva de le ruiner de réputation, en l'immolant fur le Théâtre à la rifée de tout le monde. Je vous nommerois,

REMARQUES.

(36) Vous avés vn &c.] Oeuvres Diverfes, Tome III. Réponse aux Quellions d'un Provincial, Chap. XXIX.

(37) l'Abbé de Villeloin] MICHEL de Marolles, Abbé de Villeloin, Lettre à l'Abbé de Condé, à la fin de fa Traduction Françoise du Poëme d'OVIDE. In Ibin. BAYLE.

fi cela êtoit néceffaire, deux ou trois personnes de poids, qui à leur retour de Paris, après les premières réprésentations de la Comédie des Femmes Sçavantes, racontèrent en Province qu'il fut confterné de ce rude coup, qu'il fe regarda, & qu'on le confidéra (38) comme frappé de la foudre, qu'il n'ofoit plus fe montrer; que fes Amis l'abandonnèrent; qu'ils fe firent une honte de convenir qu'ils euffent eu avec lui quelques liaifons; & qu'à l'exemple des Courtifans, qui tournent le dos à un Favori difgracié, ils firent femblant de ne pas connoître cet ancien Miniftre d'Apollon & des Neuf Sœurs, proclamé indigne de fa Charge, & livré au bras féculier des Satiriques. Je veux croire que c'êtoient des Hiperboles: mais on n'a point vu (39) qu'il ait donné depuis ce tems-la nul figne de vie; & il y a de l'apparence que le tems de fa mort feroit inconnu, fi la Réception de l'Abbé Dangeau, fon Succeffeur à l'Académie Françoise, ne l'avoit notifiée.

Cette Réception fut caufe que M. de Vizé,(40) qui l'a décrite avec beaucoup d'étendue, dit, en paffant que M. l'Abbé Cotin êtoit mort au mois de Janvier 1682. Il ne joignit à cela aucun mot d'éloge, & vous favés bien que ce n'eft pas la coutume. Les Extraits, qu'il a donnés amplement, de la Harangue de M. l'Abbé Dangeau, nous font juger qu'on s'arrêta peu fur le merite du Prédéceffeur, & qu'il fembloit que l'on marchoit fur la

REMARQUES.

(38) comme frappé de la foudre, ] PERSE, Satire II. V. 27. Trifte jaces lucis evitandumque bidental. BAYLE.

(39) qu'il ait donné depuis ce tems-là &c.] J'excepte un Sonnes inféré dans le Mercure Galant, Juillet 1678. page 15. BAYLE. (40) qui l'a décrite avec beaucoup d'étendue, ] MERCURE Galant Mars 1682.

braise en cet endroit-là. Rien n'eft plus contre l'ufage que cette conduite. La Réponse du Directeur de l'Académie, fi nous en jugeons par les Extraits, fut entièrement muette par rapport au Défunt. Autre inobservation de l'usage. Je fuis fur que vous voudriés (41) que M. Despréaux eût fuccèdé à Cotin. L'embaras, qu'il auroit fenti, en compofant fa Harangue, auroit produit une scène fort curieufe. Mais que dirés-vous du Sieur Richelet, (42) qui a publié que l'on enterra l'Abbé Cotin à S. Merri, l'an 1673. Il lui ôte huit ou neuf ans de vie, & ils demeuroient l'un & l'autre dans Paris. (43) M. Baillet, qui demeure dans la même Ville, le croïoit encore vivant en 1686. Voilà une grande marque d'abandon & d'obscurité....

Quelle révolution dans la fortune d'un Homme de Lettres! Il avoit êté loué par des Ecrivains illuftres; il étoit de l'Académie Françoise (44) depuis 15. ans, & il s'êtoit tant fignalé au Luxembourg & à l'Hôtel de Rohan, qu'il y exerçoit la Charge de Bel-Efprit Juré, & comme en titre d'Office; & perfonne n'ignore que (45) les Nimphes, qui y préfidoient, n'êtoient pas dupes. Ses Oeuvres Galantes avoient eu un fi promt débit, il n'y avoit pas fort longtems, qu'il avoit fallu que (46) la feconde Edition suivît de près la première; & voilà que tout d'un coup il devient l'ob

REMARQUES.

( 41 ) que M. Despréaux eût succèdé &c.] Voïés le Bolaana, N.

LXII. p. 66.

(42) qui a publié &c.] VIE des Auteurs François, au-devant des plus belles Lettres Françoifes.

(43) M. Baillet, ] JUGEMENT fur les Poëtes, Tome V.

(44) depuis 15. ans, ] Il fut reçu dans l'Académie Françoise

en 1656.

(45) les Nimphes, &c.] MADEMOISELLE, Fille aînée de Gefton de France, Duc d'Orléans, & la Duchefle de Roban.

(46) la feconde Edition] Elle eft de Paris 1665.

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