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cet Empereur ne fût pas encore forti de fes bons jours, qui durèrent cinq ou fix ans. Mais d'où vient que ce Correcteur ne toucha point aux quatre Vers inférés dans cette même Satire, & empruntés d'une Tragédie de Néron? Y avoit-il lieu de le craindre, fi l'on disoit: Le Roi MIDAS a des oreilles d'âne, lors qu'impunément on pouvoit donner fes Vers pour le modèle d'une Poëfie ridicule. Je trouve-là quelque forte de difficulté, & peut-être ces quatre Vers:

(24) Torva Mimalloneis implerunt cornua bombis, Et raptum vitulo caput ablatura fuperbo

Baffaris, & Lyncem Monas flexura corymbis Evion ingeminat, reparabilis affonat Echo; n'êtoient tout au plus qu'une raillerie indirecte, cachée & tout-à-fait oblique. Car fi Néron eût êté l'Auteur de ces Vers, comment auroit-on ofé les rapporter mot-à-mot pour s'en moquer, puifqu'on corrigea l'Auriculas afini Mida rex habet? La difparate eft trop étrange. D'un côté beaucoup de poltronnerie, ou de l'autre beaucoup de témérité....

Il me femble donc que le Torva Mimalloneis &c. ne fauroit être ni un fragment des Poëfies de Néron ni une Parodie, ou une imitation de fes Vers: car encore un coup s'il n'êtoit pas homme à entendre raillerie fur l'Auriculas afini Midarex habet,qui êtoit une vieille Histoire, il ne falloit pas efpérer qu'il endurât qu'on fit des Centons ridicules compofés de fes Expreffions. C'eft pourquoi, n'en déplaife au vieux Scholiafte, je ne foufcrirai point à (25) ces paroles de M. Defpréaux, jusqu'à ce qu'on ait levé REMARQUES.

(24) Torva Mimalloneis &c.] Ibid. Vers 19.

(25) ces paroles de M. Despréaux,] DISCOURS fur la Satire Tome I. page 17.

mes fcrupules. Examinons PERSE, qui écrivoit fous le regne de Néron. Il ne raille pas feulement les Ouvrages des Poëtes de fon temps: il attaque les Vers de Néron mefme. Car enfin, tout le monde fçait, &. toute la Cour de Néron le fçavoit, que ces quatre Vers, Torva Mimalloneis &c. dont Perfe fait une raillerie fi amere dans fa premiere Satire, eftoient des Vers de Néron. Cependant on ne remarque point que Néron, tout Néron qu'il eftoit, ait fait punir Perfe; & ce Tyran ennemi de la Raifon, & amoureux, comme on fçait, de fes ouvrages, fut affez galant homme pour entendre raillerie fur fes Vers; & ne crût pas que l'Empereur, en cette occafion, deuft prendre les intérefts du POETE....(Comment croire) que Perfe ofa tourner en ridicule les Vers de Néron, & qu'il ne fe fervit d'aucun voile, mais qu'il les cita mot à mot? C'eft, dira-t-on, que ce Prince ne fe foucioit guères de fa qualité de Poëte: mais il faudroit en donner de bonnes preuves, ou n'avancer point cela; car pour l'ordinaire chacun eft amoureux de fes Poëfies. La Couronne ni le Sceptre ne guériffent pas de ce défaut: & nous fçavons en particulier que Néron êtoit plus fenfible à la cenfure de fa Mufique, qu'à celle de fes crimes. C'eft un préjugé qu'entant que Poëte, il n'êtoit pas peu malendurant. Ne bannit-il point Cornutus, & ne penfa-t-il pas le faire mourir, pour avoir ofé dire que Néron feroit trop de Vers, s'il en compofoit quatre cens Livres... N'entra-t-il pas en jaloufie de mêtier contre Lucain, & ne lui fit-il pas défendre de compofer des Poëmes?... De quoi Lucain fut fi indigné, qu'il s'affocia avec les Confpirateurs, qui tâchèrent de tuer ce Prince.

VI. (26) On a tort de dire que M. Despréaux

REMARQUES.

(26) On a tort &c.] Tiré de l'Article de PoQUELIN de Molière, & de la Remarque G, fur cet Article.

changea

changea de langage ( fur le comte de Molière ) après la mort de ce Grand Comique; il l'avoit loué vivant, il le blâma mort, fi l'on en veut croire certains Cenfeurs ignorans. La vérité eft qu'il ne ceffa point de le louer, quand il le vit dans le tombeau. Il lui reprocha feulement d'avoir eu trop de complaifance pour le Parterre, cenfure raifonnable à certains égards; injufte à tout prendre.

Molière êtoit mort, quand M. Defpréaux le loua (27) dans l'une de fes Epitres, autant ou plus que (28) dans la Satire, qu'il lui avoit adreffée. C'est donc très-injuftement que l'on a dit qu'il l'avoit loué par politique & par la crainte d'en être raillé publiquement, foit qu'il ne dît rien à fon avantage, foit qu'il ofât le critiquer. Mais enfin, me dirés-vous, il le critiqua, lorfqu'il n'y avoit plus rien à craindre; cela n'eft-il point fufpect? Non, vous répons-je. Je crois que s'il avoit fait l'Art Poëtique pendant la vie de Molière, il y auroit mis la cenfure, que l'on verra ci-deffous. Elle étoit pour ainfi dire, effentielle à son sujet. Elle contient une Obfervation très-légitime, & qui devroit être une Règle inviolable, fi l'on ne faifoit des Comédies que pour les faire imprimer: mais comme elles font principalement deftinées à paroître fur le Théâtre en présence de toutes fortes de gens, il n'eft point jufte d'exiger qu'elles foient bâties felon le goût de M. Despréaux. Voici fes paroles :

(29) Etudiez la Cour & connoiffez la Ville,
L'une & l'autre est toujours en modeles fertile.

REMARQUES.

(27) dans l'une de fes Epitres,] La VII. Tome I. page 214. (28) dans la Satire, qu'il lui avoit adreffée. ] La II. Ibid. p. 43. (29) Etudiez la Cour &c.] Art Poët, Chant III. Vers 391. Tome II. P. 134

Tome V.

!

C'est par là

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que Moliere illuftrant fes écrits
Peut-eftre de fon Art cuft remporté le prix ;
Si moins ami du Peuple en fes doctes peintures
Il n'euft point fait fouvent grimacer les figures.
Quitté pour le bouffon, le plaifant & le fin
Et fans honte à Terence allié Tabarin.
Dans ce fac ridicule où Scapin s'enveloppe,
Je ne reconnois plus l'Auteur du Misanthrope.
C'eft blâmer Molière de ce qu'il a travaillé, non feu-
lement pour les Efprits fins & de bon goût, mais
auffi pour les gens groffiers. Il a eu fes raifons &
il eût pu dire ce que l'on fuppofe qu'Arlequin difoit
en femblable cas. Voici ce que c'eft: «(30) Ces
plaifanteries, lui dis-je, ne font pas défagréables
» dans vos Comédies; le mal eft qu'elles ne font pas
» toutes également bonnes. J'en conviens, me dit-
il; mais elles ne laiffent pas de divertir certains
»jeunes gens, qui ne viennent à nôtre Théâtre,
» que pour rire, qui rient de tout, & fouvent fans
favoir pourquoi. Nous jouons fouvent devant ces
» fortes de gens, & il faut leur donner des plaifan-
»teries à leur portée, faute de quoi on trouveroit
» fouvent une grande folitude dans nôtre Théâtre.
» Je fuis fâché, lui dis-je, que vous aïés prefque
» quitté vos anciennes Pièces; elles êtoient du goût
» de toutes les Perfonnes de bon fens, on y trou-
» voit plufieurs chofes utiles pour les Mœurs,& vô-
»tre Théâtre êtoit un lieu, où j'ofe dire, qu'en y
» voïant le ridicule du Vice, on fe fentoit porté,

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D

REMARQUES.

(30) Ces plaifanteries, &c.] Ces paroles font tirées d'un Ou vrage intitulé: Livre fans Nom, divifé en cinq Dialogues, im primé à Paris & en Hollande l'an 1695. PP. 4. & 5. Edition Hollande. BAYLE.

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même par la feule raison, à prendre le parti de » la Vertu. Si nous ne répréfentions que nos An» ciennes Pièces, me dit-il, nôtre Hôtel feroit peu

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fréquenté, & je vous répons ce que Cinthio répon» dit autrefois à Saint-Evremond, que l'on verroit » mourir de faim de bons Comédiens avec des Comédies excellentes ». Souvenons-nous que les frais des Comédiens font grands, & que l'ufage de la Comedie eft (31) de divertir le Peuple auffi-bien que le Sénat. Il faut donc qu'elle foit proportionnée au goût du Public, c'eft à-dire, qu'elle foit capable d'attirer beaucoup de monde. Sans cela, ne fût-elle qu'un élixir de penfées rares, ingénieuses, fines au fouverain point, elle ruineroit les Acteurs & ne ferviroit de rien au Peuple.

Ce ne font pas feulement les Critiques de Molière, qu'on peut repouffer par de telles réflexions; il y a beaucoup d'autres Livres, que l'on cenfure; parce qu'on ne fonge pas aux divers usages à quoi ils font deftinés, & parce que l'on y trouve cent chofes, que l'on voudroit que l'Auteur eût retranchées.

VII. (32) Nous avons parlé (33) ailleurs d'un obstacle, qui retarda la promotion de M. de La Fontaine (à l'Académie Françoife). Nous euffions pu dire que la concurrence de M. Defpréaux y contribua auffi. C'est du moins une opinion affés générale;& l'on appuie fur ce que,la mort de M. de Bezons aïant donné le moïen de fatisfaire les deux Con

REMARQUES.

( 31 ) de divertir, le Peuple &c. ] Pefés bien ces paroles de TE

RENCE.

Poëta cùm primum animum ad scribendum appulit,

Id fibi negotii credidit folum dari

Fopulo ut placerent quas feciffet Fabulas, BAYLE,

(32) Nous avons &c. ] Tiré des Oeuvres Diverses, Tome I. Nouvelles de la République des Lettres, Juillet 1684. Article VIII. (33) ailleurs &c.] Nouvelles d'Avril, Catalogue &c. N. VII.

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