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très-grand défavantage aux raifonnemens que de pouvoir être tournés en ridicule par des gens, qui aiment à plaifanter. Prouvons cela par un Exemple. Si quelqu'un avoit entrepris d'obliger (13) M. de Bautru à croire qu'il vaut mieux choifir une vieille Maîtreffe qu'une jeune, (14) & qu'il lui eût cité l'endroit de Pline, où il eft dit que les BELIERS cherchent pluftôt les vieilles BREBIS que les jeunes, ce quelqu'un n'auroit-il pas êté démonté & confondu par cette réponse donnée d'un air moqueur (15) c'est que les BELIERS font des BELIERS?... Voilà pour le premier inconvénient.

L'autre n'eft pas moindre: car enfin un Homme, que vous voudrés envoïer à l'Ecole des Animaux pour y apprendre fon devoir, vous dira qu'il ne demande pas mieux. J'y apprendrai, vous dira-t-il, à foumettre le droit à la force. Un Dogue plus fort qu'un autre, ne fait point fcrupule de

REMARQUES.

(13) M. de Bautru] GUILLAUME Bautru, Comte de Serrant, Confeiller d'Etat ordinaire, Introducteur des Ambaffadeurs, l'un des premiers Académiciens, êtoit fils de Guillaume Bautru, Confeiller au Grand Confeil. Il fe rendit célèbre par-fes Bons Mots. Ménage, dans fes Remarques fur la vie de Guillaume Ménage, dit de ce BAUTRU C'est un Homme, qui met une partie de fa Philofophie à n'admirer que très-peu de chofes, & qui depuis cinquante ans a êté les délices de tous les Miniftres, de tous les Favoris, & généralement de tous les Grands du Roiaume,& n'a jamais êté leur flateur. Ce témoi gnage eft un peu fufpect. Ménage loüoit volontiers fes Compatrio tes; & l'on fait que les Bautrus êtoient d'Angers. Celui dont il s'agit, mourut le 7. Mars 1665. dans fa 77e. année. Au refte, on peut corriger ce que je viens de rapporter de Ménage, par ce qu'il dit dans le Ménagiana, page 200. de la première Edition. Il eft furprenant, que pendant 40. ou 50. ans, M. de Bautru ait rempli toute l'Europe de fes railleries de les bons mots, pendant qu'il y avoit tant de chofes à dire contre lui. Rifum fecit, fed ridiculus fuit. Je ne fais où j'ai lu cela. La hardieffe l'emporte fur beaucoup de choses. (14) & qu'il lui eût cité &c.] Voïés, Ménagiana, page 233. de la I. Edit. d'Hollande. BAYLE.

(15) c'eft que les Beliers font des Beliers?] JUVENAL, Vers 50.

Vervecum in patria & craffo fub aere nati. BAYLE.

Sat. Xa

ne

lui éter fa portion. Qu'y a-t-il de plus ordinaire que de voir des Chiens, qui s'entrebattent? Les Poulets s'entrebattent-ils pas à la vue de leur commune Mère? Les Coqs ne s'acharnent-ils pas fi furieufement l'un contre l'autre, qu'il n'y a quelquefois que la mort de l'un, qui faffe ceffer le combat. Les Pigeons, le fimbole de la débonnaireté, n'en viennentils pas fort fouvent aux coups? Quoi de plus furieux que le combat des Taureaux ? N'est-ce pas la force qui décide de leurs droits en matière d'amour? N'apprendrai-je pas à l'Ecole où vous m'envoïés, la barbarie la plus denaturée? N'y a-t-il pas des Bêtes, qui dévorent leurs Petits? N'y apprendrai-je pas l'Incefte? N'y apprendrai-je pas à m'accommoder de tout ce qui fera à ma portée, pour faire mes provifions comme la Fourmi?... Ne m'y délivrerai-je pas de la dure fervitude, qui fait gémir tant de gens, & qui leur arrache ces complaintes fi douloureuses:

...

(16) Que vôtre bonheur eft extrême,
Cruels Lions, fauvages Ours,

Vous, qui n'avés dans vos amours
D'autre règle que l'Amour même ?
Que j'envie un femblable fort
Et que nous fommes malheureuses,
Nous, de qui les loix rigoureuses
Puniffent l'amour par la mort !

...

On ne fauroit donc difconvenir que l'exemple, qu'on peut trouver de ces fortes de dérèglemens dans l'Ecole des Bêtes brutes, n'affoibliffe un peu

REMARQUES.

(16) Que vôtre bonheur &c.] Vers de la fameufe Scène du Paftor fido, traduite par l'Abbé Regnier Desmarais, & longtems attri buée à la Comtesse de La Suse.

les Moralités, dont j'ai parlé au commencement de cette Remarque....

Que répondroit M. Despréaux à un Sophifte, qui lui foutiendroit que fa Biche en rut eft une trèsfauffe comparaifon? Car, afin qu'elle fût bonne, il faudroit que cette espèce de Bète se pût trouver dans le cas, où font les Femmes, qui ont mis en justice un HOMME pour cause d'impuissance. Or une Biche fe peut-elle trouver dans ce cas? Engage-t-elle fa foi à un feul Cerf? Si l'un lui manque, n'en trouve-t-elle pas d'autres? L'invective & la piquante Cenfure de M. Defpréaux feroit bien fondée dans un Païs où les loix du Mariage feroient inconnues mais on eft bien affuré qu'en un tel païs les Hommes ne feroient pas plus expofés que les Cerfs à un Procès d'impuiffance, & que Perfonne ne fe verroit condamné au Congrès par Arrêt du Parlement.

Ce que je viens de dire ne m'empêche pas de croire que (17) les Moralités, dont il s'agit, font très-propres à toucher la plufpart des gens.

REMARQUES.

(17) les Moralités, dont il s'agit, font très-propres &c.] Il ne feroit pas difficile de tourner cet aveu de Bayle à l'avantage de M. Defpréaux. Mais il faut être de bonne foi. Sa Comparaifon de la Biche en rut eft abfolument fauffe ; & doit être condamnée, dès qu'on la confidère d'un ceil un peu philofophique. Mais il s'y faut prendre tout autrement pour juger des Poëtes, & fur-tout des Poëtes Satiriques, Le but de ces derniers eft de fatirifer. Je le répète fouvent. Mais en chaque chofe il faut partir du Principe. Tout.ce qui peut amener naturellement un trait fatirique, eft bon dans une Satire. La pleine juftification de M. Defpréaux eft une conféquence de ce Principe. Il emploie une mauvaife Comparaison, dont fans doute il fentoit toure la fauffeté lui-même. Mais cette Comparaifon le conduit tout uniment à railler agréablement fur une forte de Preuve juridique, qui, quoiqu'autorisée par l'ufage & même par la raifon, ne laiffoit pas d'être auffi ridicule qu'indécente. C'est à ce trait que le Poëte en vouloit venir. Le trait fait fon impreffion. Qu'importe comment l'Auteur y foit arrivé. Chicana-t-on Aléxandre fur la manière dont il dénoua le Neud Gordien. Il faut aller an

IV. (18) Un de nos plus grands Poëtes femble s'être contredit (fur l'Article d'Aléxandre).

Je n'ai plus (19) les Remarques, que Defmarêts, de l'Académie Françoife, publia contre les Satires de M. Despréaux environ l'an 1674. mais il me refte une mémoire confufe qu'on critiqua fortement cette belle & ingénieuse invective.

ferré ?

(20) Quoi donc à voftre avis, fuft-ce un fou qu'Alexandre?
Qui? cet écervelé, qui mit l'Afie en cendre?
Ce fougueux l'Angely, qui de fang alteré
Maistre du monde entier, s'y trouvoit trop
L'enragé qu'il eftoit, né Roi d'une Province,
Qu'il pouvoit gouverner & bon & sage Prince,
S'en alla follement, & penfant estre Dieu,
Courir comme un Bandit qui n'a ni feu ni lieu ;
Et traînant avec foi les horreurs de la guerre,
De fa vafte folie emplir toute la terre.
Heureux ! fi de fon temps pour cent bonnes raisons
La Macedoine euft eu des petites-Maisons ;
Et qu'un fage Tuteur l'euft en cette demeure,
Par avis de Parens, enfermé de bonne heure.

Le Critique fe fondoit entre autres chofes, fi je m'en fouviens bien, fur ce que M. Defpréaux loüoit ailleurs Alexandre, & le comparoît à Louis

REMARQUES.

but; & dans la Satire, la route eft indifférente. L'apparence du Vrai n'eft fouvent que trop fuffifante pour elle.

(18) Un de nos plus grands Poëtes &c.] Tiré de l'Article Macédoine (ALEXANDRE Roi de) & de la Note R. fur cet Article. (19) les Remarques , que Defmarêts, &c.] C'eft la Défense du Poeme Heroique, fi fouvent citée dans les deux premiers Volumes de cette Edition, & fur-tout dans le II.

(20) Quoi donc ? à votre avis, &c. ] Sat, VIII. Vers 97. Tome I. page 123.

XIV. Il ne tint pas à Defmarêts qu'on ne convertit fa cenfure en accufation de Crime d'Etat, capable de faire perdre à l'Accufé les bonnes graces du Prince. Le Public êtoit tellement prévenu en faveur de M. Defpréaux, & fi reconnoiffant de s'être bien divertiaux dépens de plufieurs perfonnes à la lecture de fes Satires, qu'on ne fit nul cas des Remarques de Defmarêts. Quand elles euffent êté toutes très-folides & victorieuses, on les auroit méprifées. La faifon ne leur êtoit pas favorable; & c'est à quoi un Auteur ne doit pas moins prendre garde qu'un Jardinier. On peut appliquer à cela (21) ce que dit (CICE'RON): Parcendum eft maxime caritati hominum, ne temere in eos dicas qui diliguntur.

V. (22) On croit que (Perfe) n'épargna pas même le cruel Néron, & qu'il l'avoit défigné d'une manière fi intelligible, que Cornutus jugea à propos d'y réformer quelques termes.

(Perfe) s'êtoit fervi de ces paroles (23) dans fa I. Satire.

Auriculas afini Mida Rex habet :

Cornutus vouloit qu'on les changeât en celle-ci :
Auriculas afini quis non habet?

Si Cornutus trouvoit-là Néron défigné trop vifible ment, sa précaution êtoit fage, quoique peut-être

REMARQUES.

(21) Ce que dit Cicéron] DE ORAT. Liv. II. Bayle, qui cite à la marge ce paffage de Cicéron, ne s'explique pas ici fort nettement, & laiffe entrevoir, que la Critique de Defmarêts avoit fait quelque impreffion fur lui. C'eft ce qui paroît difficile à croire d'un Homme tel que Bayle. Au refte on a rendu comte de cette Critique dans la Remarque fur le Vers 101. de la VIII. Satire, Tome I. page

123.

(22) On croit que Perfe &c.] Tiré de l'Article de Perse, & de la Note F. fur cet Article.

(23) dans fa I. Satire.] Vers 121.

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