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parler contre le Mifanthrope les Poëtes jaloux toujours auffi peu croïables fur les Ouvrages de leur Concurrens, que les Femmes fur le mérite de leurs Rivales en beauté, il en eft venu avec un peu de tems à l'admirer. Les perfonnes d'un goût exquis... prévirent même d'abord quel parti le Public prendroit avant peu de jours. On fait les louanges, que M. le Duc de Montaufier donna au Misanthrope après la première Répréfentation. Despréaux, après avoir vu la troifième, foutint à Racine, qui n'êtoit point fâché du danger où la réputation de Molière fembloit être expofée, que cette Comédie auroit bientôt un fuccès des plus éclatans. Le Public justifia bien la prédiction de l'Auteur de l'Art Poëtique; & depuis longtems les François citent le Mifanthrope, comme l'honneur de leur Scène Comique. C'est la Pièce Françoife, que nos Voifins ont adopté avec la plus grande prédilection.

VI. Nos Vaifins admirent ceux des Poëtes François, que nous admirons déja, & ils redisent, auffi volontiers que nous, ceux des Vers de Defpréaux & de La Fontaine, qui font paffés en Proverbes. Ils ont adopté nos bons Ouvrages, en les traduifant en leur Langue. Malgré la jaloufie du Bel- Efprit, prefque auffi vive de Nation à Nation, que de Particulier à Particulier, ils mettent quelques-unes de ces Traductions au-deffus des Ouvrages du même genre, qui fe compofent dans leur Patrie..... Les Jeunes gens, à qui l'on a donné de l'éducation, connoiffent autant Defpréaux qu'Horace, & ils ont retenu autant de Vers du Poëte François que du Poëte Latin, à la Haye, à Stockholm, à Coppenhague, en Pologne, en Allemagne & même en Angleterre. On ne doit point fe défier de l'approbation des Anglois. Ils louent cependant Racine. Ils admirent Corneille, Defpréaux, & Molière. Ils leur ont fait le même traitement qu'à Vir

gile & qu'à Cicéron. Ils les ont traduits en Anglois.

VII. Les Remarques les plus fubtiles des plus grands Métaphificiens ne feront pas déchoir nos Poëtes d'un degré de leur réputation, parce que ces Remarques, quand bien même elles feroient juftes, ne dépouilleront pas nos Poëfies des agrêmens & des charmes, dont elles tiennent le droit de plaire à tous les Lecteurs. Si les fautes que ces Critiques reprendront, font des fautes contre l'Art de la Poëfie; ils apprendront feulement à connoître la caufe d'un effet, qu'on fentoit déja. Ceux qui avoient vu le Cid, avant que la Critique de l'Académie Françoife parût, avoient fenti des défauts dans ce Poëme, même fans pouvoir dire distinctement en quoi confiftoient ces défauts. Si ces fautes regardent d'autres Sciences, fi elles font contre la Géographie ou contre l'Aftronomie, on aura de l'obligation aux Cenfeurs, qui les feront connoître :mais elles ne diminueront guères la réputation du Poëte, qui n'eft pas fondée fur ce que fes Vers foient exemts de fautes, mais fur ce que leur lecture intéreffe. J'ai dit quand même ces Remarques `feroient bonnes; car, fuivant les apparences, pour une bonne Remarque, il s'en fera cent qui ne vaudront rien.

Il est certainement plus facile de ne point faire de mauvaises Remarques fur les Poëfies, dont on a connu les Auteurs, & qui parlent des chofes, que nous avons vues, ou dont une tradition encore récente a confervé les explications, ou, fi l'on veut, les applications, qu'il ne le fera dans l'avenir, quand toutes ces lumières feront éteintes par le tems & par toutes les révolutions, auxquelles les Societés font fujettes. Or les Remarques, qui fe font préfentement contre nos Poëtes Modernes, & qui roulent fur des erreurs, où l'on prétend qu'ils Tome V.

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font tombés, en parlant de Phifique ou d'Aftrono. mie, montrent fouvent que les Cenfeurs ont envie de reprendre, mais non que ces Poëtes aient fait des fautes. Citons un exemple.

M. Defpréaux compofa fon (7) Epitre à M. de Guilleragues vers 1675. dans un tems où la nouvelle Phifique êtoit la Science à la mode; car il eft parmi nous une mode pour les Sciences comme pour les Habits. Les Femmes même étudioient alors les nouveaux Siftêmes, que plufieurs perfonnes enfeignoient à Paris en Langue vulgaire. On peut bien croire que Molière, qui compofa fes Femmes Sçavantes vers 1672. & qui met fi fouvent dans la bouche de fes Héroïnes le dogme & le ftile de la nouvelle Phifique, attaquoit dans fa Comédie l'excès d'un goût règnant; & qu'il jouoit un ridicule, où plufieurs perfonnes tomboient tous les jours. Quand M. Despréaux écrivit fon Epitre à M. de Guilléragues, les Converfations de Phifique ramenoient donc fouvent fur le tapis les taches du Soleil, à l'aide defquelles les Aftronomes obfervoient que cet Aftre tourne fur fon Axe à peu près en 27. jours. Quelques-unes de ces Macules, qui êtoient difparues, avoient même fait beaucoup de bruit jufques fur le Parnaffe. Les Beaux - Efprits avoient dit dans leurs Vers que le Soleil, pour fe rendre encore plus femblable au feu Roi, qui l'avoit pris pour le Corps de fa Devife, fe défaifoit de fes taches. Dans ces circonftances M. Defpréaux, pour dire poëtiquement, que malgré le goût regnant, il s'attachoit à l'Etude de la Morale préférablement à celle de la Phifique, fentiment très-convenable à un Poëte Satirique, écrit à fon Ami qu`il abandon

REMARQUES.

(7) Epitre à M. de Guilleragues ] C'est la V. Tome I. p. 320,

ne aux recherches des autres plufieurs queftions, que cette dernière Science traite. Qu'un autre, c'eft lui qui parle, aille chercher

( 8 ) Si le Soleil eft fixe ou tourne fur son Axe.

Il eft clair que le Poëte entend parler ici uniquement de la queftion, fi le Soleil placé dans le centre de nôtre Tourbillon y tourne fur fon Axe, ou bien s'il n'y tourne pas fur fon Axe. La construction de la Phrase prouve feule qu'elle ne fauroit avoir un autre fens, & ce fens fe préfente d'abord. Cependant il a plu à quelques Critiques d'interpréter ce Vers comme fi leur Auteur avoit voulu opposer le Sisteme de Copernic, qui fait tourner les Planètes, autour du Soleil placé dans le centre de nôtre Tourbillon, au fentiment de ceux qui foutiennent que le Soleil a un mouvement propre par lequel il tourne fur fon Axe. M. Despréaux, s'il avoit eu cette vue, auroit fait une faute. L'opinion de ceux qui foutiennent que le Soleil tourne fur fon Axe, & l'opinion de ceux qui foutenoient, avant l'expérience, que le globe du Soleil êtoit immobile au centre du Tourbillon, fuppofent également que le Soleil foit placé au milieu du Tourbillon, où Copernic a dit qu'il étoit placé. M. Perrault a donc objecté à M. Defpréaux, il y a plus de trente ans (9) Que ceux qui tiennent que le So

REMARQUES,

(8) Si le Soleil eft fixe &c.] Epitre V. Vers 29. Tome I. p. 323. Dans la Remarque fur le Vers précèdent, je renvoie à celle fur le Vers 429. de la X. Sat. Tome I. page 193. pour y voir la jufle Critique que MADAME DE LA SABLIERE faifoit de ce Vers (28) des deux, qui le fuivent, Cette Critique n'eft jufte, que par rapport a l'ufage de l'Aftrolabe, & je me fuis exprimé d'une manière trop générale, dans cet endroit, & dans la Note de la X. Sat, à laquelle je renvoie.

(9) Que ceux qui tiennent &c.] PRE'FACE de l'APOLOGIE DES FEMMES, Tome I. page 436.

leil eft fixe & immuable, font les mêmes, qui foûtiennent qu'il tourne fur fon Axe; & que ce ne font pas deux opinions différentes, comme il paroît le dire dans fes Vers. (10) Il est vrai, ajoute M. PERRAULT quelques lignes plus bas, qu'il n'eft pas honnête à un fi grand Poëte d'ignorer les Sciences & les Arts, dont il fe mêle de parler. Mals ce n'eft point la faute de M. Defpréaux fi M. Perrault l'entend mal; & c'est encore moins fa faute, s'il plaît à d'autres Cenfeurs de fe figurer que par ces mots,

Si le Soleil eft fixe ou tourne fur fon Axe.

il ait voulu oppofer le Siftême de Copernic avec le Sisteme de Ptolémée, qui fuppofe que c'eft le Soleil, qui tourne autour de la Terre. M. Despréaux a dit cent fois qu'il n'avoit fongé qu'à oppofer le fentiment de ceux qui faifoient tourner le Soleil fur fon Axe, au fentiment de ceux qui n'avoient pas voulu qu'il tournât fur fon Axe; & le Vers le dit affés diftinctement pour n'avoir pas befoin d'être interprèté.

XI V.

EXTRAIT DES OUVRAGES DE BAYLE; DICTIONNAIRE, Edition de Roterdam 1720. OEUVRES DIVERSES, La Haye, 1737. en 4. Volumes in-folio.

I. (1) D'ASSOUCI, dans le récit de fon Voïage de Châlons fur Saone à Lion,nous conte qu'aïant

REMARQUES.

(10) Il est vrai, ajoute M. Perrault quelques lignes plus bas, &c.] PREFACE de l'APOLOGIE DES FEMMES, Tome I. page 436.

XIV. ( 1 ) D'Assouci &c.] Extrait de l'Article de D'assouci,Note C.

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