faire un pareil larcin, parce qu'on ne fauroit le faire bien fans peine, & fans avoir du moins le talent de l'Expreffion. Il faut autant d'industrie pour y réuffir, qu'il en falloit à Lacédémone, pour faire un larcin en galant Homme. Trouver en fa Langue les Mots propres & les Expreffions équivalentes à celles dont fe fert l'Auteur Ancien ou Moderne, qu'on traduit; favoir leur donner le tour néceffaire, pour qu'elles faffent fentir l'énergie de la Penfée, & qu'elles préfentent la même image que l'original, ce n'eft point la befogne d'un Ecolier. Ces penfées, transplantées d'une Langue dans une autre, ne peuvent réuffir qu'entre les mains de ceux qui au moins ont le don de l'invention des termes. Ainfi lorfqu'elles réuffiffent, la moitié de leur bonté appartient à celui qui les a remises en Oeuvre... a Ceux qui fe feroient flatés de diminuer la réputation de M. Defpréaux, en faifant imprimer, par forme de Commentaire mis au bas du Texte de fon Ouvrage, les Vers d'Horace & de Juvénal, qu'il a enchaffés dans les fiens, fe feroient bien abufés. Les Vers des Anciens, que ce Poëte a tournés en François avec tant d'adreffe & qu'il fi bien rendus la partie homogène de l'Ouvrage où il les infère, que tout paroît pensé de fuite par une même perfonne, font autant d'honneur à M. Defpréaux, que les Vers, qui font fortis tous neufs de fa Veine. Le tour original, qu'il donne à fes Traductions, la hardieffe de fes Expreffions, auffi peu contraintes que fi elles êtoient nées avec fa Penfée, montrent prefque autant d'invention, qu'en montre la production d'une Penfée toute nouvelle. Voilà (2) ce qui fait dire à La Bruyère que Def préaux paroiffoit créer les Penfées d'autrui. REMARQUES. (2) ce qui fait dire à La Bruyère &c.] Dans fa Harangué à l'Aca démie, C'est même donner une grace à fes Ouvrages que de les orner de Fragmens antiques. Des Vers d'Horace & de Virgile bien traduits & mis en œuvre à propos dans un Poëme François y font le même effet que les Statues antiques font dans la Galerie de Verfailles. Les Lecteurs retrouvent avec plaifir, fous une nouvelle forme, la Penfée, qui leur plut autrefois en Latin. Ils font bien aises d'avoir l'occafion de réciter les Vers du Poëte Ancien pour les comparer avec les Vers de l'Imitateur Moderne, qui a voulu lutter contre fon original. Il n'y a rien de fi petit, dont l'Amour propre ne faffe cas, quand il flate nôtre vanité. Auffi les Auteurs les plus vantés pour la fécondité de leur génie, n'ont-ils pas dédaigné d'ajouter quelquefois cette efpèce d'agrément à leurs Ouvrages. Etoit-ce la ftérilité d'imagination, qui contraignoit Corneille & La Fontaine d'emprunter tant de chofes des Anciens. MOLIERE a fouvent fait la même chofe; &, riche de fon propre fonds, il n'a pas laiffé de traduire dix Vers d'Ovide de fuite dans le II. Acte de fon Mifanthrope. II. Les Verfificateurs les plus ineptes font ceux qui compofent le plus couramment. De-là naiffent tant d'Ouvrages ennuïeux, qui font prendre en mauvaise part le nom de Poëte, & qui empêchent que perfonne veuille s'honorer d'un fi beau titre : Il me fouvient de ce que dit M. Despréaux à M. Racine concernant la facilité de faire des Vers. Ce dernier venoit de donner fa Tragédie d'Alexandre, lorfqu'il fe lia d'amitié avec l'Auteur de l'Art Poëtique. RACINE lui dit, en parlant de fon travail, qu'il trouvoit une facilité furprenante à faire ses Vers. (3) Je veux vous apprendre à faire des Vers avec REMARQUES. (3) Je veux vous apprendre &c.] Voïés, Sat. II. Vers 46. Rem. 2.Alinea. Tome I. page 46. peine, répondit DESPRE AUX, & vous aves affés de talent pour le favoir bientôt. RACINE difoit que Def préaux lui avoit tenu parole. III. Plus les Hommes font capables de s'élever, plus ils ont de degrés à monter pour arriver au faîte de leur élévation. Horace devoit être un Homme fait, quand il fe fit connoître pour Poëte. VIRGILE avoit près de trente ans, quand il fit fa I. Eglogue. M. Racine avoit à peu près cet âge, au dire de M. Defpréaux, (4) quand il fit jouer Andromaque, qu'on peut regarder comme la première Tragédie de ce grand Poëte. CORNEILLE avoit plus de trente ans, quand il fit le Cid. MOLIERE n'avoit point encore fait à cet âge aucune des Comédies, qui lui ont acquis la réputation, qu'il a laiffée. Defpréaux avoit trente ans quand il donna fes Satires telles que nous les avons. Il eft vrai que les dates de fes Pièces, qu'on a mises dans une Edition pofthume de fes Ouvrages, difent le contraire; mais (5) les dates fouvent démenties, même par la Pièce de Poëfie, à la tête de laquelle on les a placées, ne me paroiflent d'aucun poids. IV. Les gens du mêtier jugent mal en général, quoique leurs raifonnemens examinés en particulier fe trouvent affés fouvent juftes: mais ils en font un ufage pour lequel les raifonnemens ne font pas faits. (6) Vouloir juger d'un Poëme ou d'un REMARQUES. (4) quand il fit jouer Andromaque,] Ce fut en 1668. Racine avoit alors 19. ans. Il êtoit né l'an 1639. (5) les dates fouvent démenties, même par la Pièce de Poëfie, à la téte de laquelle on les a placées, &c.] Je n'ai remarqué nulle part ce que M. l'Abbé Du Bos nous dit avoit obfervé. Les Dates de M. Brofette (ce font apparament celles dont il eft question ) ne me paroiffent pas devoit être aucunement fufpectes. Au refte ce fut en 1666. que M. Defpréaux donna la première Edition de fes Satires, & pour lors il avoit 30. ans. (6) Vouloir juger d'un Poëme on d'un Tableau &c.] M. l'Abbé Du Tableau en général par voie de Discussion, c'eft vouloir mesurer un Cercle avec une Règle. Qu'on prenne donc un compas, qui eft l'inftrument propre à le mefurer. En effet on voit tous les jours des perfonnes, qui jugeroient très-fainement, fi elles jugeoient d'un Ouvrage par voie de Sentiment, fe méprendre en prédifant le fucccès d'une Pièce Dramatique, parce qu'elles ont formé leur prognoftic par voie de Difcuffion. M. Racine & M. Def préaux êtoient de ces Artifans beaucoup plus capables que les autres Hommes de juger des Vers & des Poëmes. Qui ne croira qu'après s'être encore éclairés réciproquement, ils ne duffent porter des Jugemens infaillibles, du moins fur le fuccès de chaque Scène prife en particulier. Cependant M. Def préaux avouoit que très-fouvent il êtoit arrivé que les jugemens, qu'ils portoient après une Difcuffion méthodique, fon Ami & lui, fur les divers fuccès REMARQUES. Bos n'admet que la voie de Sentiment pour bien juger des Ouvrages, qui font principalement du reffort de l'Imagination. Mais, comme je l'ai fait entendre ailleurs, la Voie de Sentiment ne diffère de celle de Difcuffion, que par l'efpace de tems. Nous jugeons de tout par comparaifon ; & toute comparaifon, quelque rapidement qu'elle fe fafle, eft toujours une forte de Difcuffion. Toutes les fois qu'un Poëme produit l'Impreffion, qu'il doit produire, c'eft conftamment un bon Poëme. Cette Impreffion eft un ouvrage momentané: mais fi par des lectures ou des répréfentations réitérées de ce Poeme, la même Impreffion fe fait toujours, les défauts, que la Difcuffion réfléchie y trouvera, ne diminueront point l'idée, qu'on avoit de fa bonté. L'Ouvrage continuera toujours d'être regardé comme bon: mais on ajoutera, qu'il feroit encore meilleur fans les défauts, qu'on y reprend, lefquels au fonds ne peuvent pas paffer pour effentiels, puifqu'ils ne nuifent point à l'Impreffion, que cet Ouvrage devoit produire. M. l'Abbé Du Ees n'avoit pas alfés réfléchi fur fon Siftême, de ne juger que par Voie de Sentiment. Ce qu'il rapporte dans l'Article, qui va fuivre celui-ci, touchant la fortune du Misanthrope de Molière, fait voir que ce n'eft point la voie de Sentiment, mais celle de Difcuffion, laquelle, à proprement parler, affure le Deftin des Ouvrages d'Imagination, & fixe à chacun le rang, qu'il doit tenir. que devoient avoir différentes Scènes des Tragédies de cet Ami, avoient êté démentis par l'évènement, & qu'ils avoient même reconnu, toujours après l'expérience, que le Public avoit eu raison de juger autrement qu'eux. V. Quoique le Mifanthrope foit peut-être la meil leure Comédie, que nous aïons aujourd'hui, on n'eft pas furpris néanmoins que le Public ait héfité durant quelques jours à l'avouer pour excellente, & que le fuffrage général n'ait êté déclaré en fa faveur qu'après huit ou dix Réprésentations, quand on fait réflexion aux circonstances où Molière le joua. Le monde ne connoiffoit guères alors le genre de Comique nobie, qui commet ensemble des Caractères vrais, mais différens, de manière qu'il en réfulte des Incidens divertiffans, fans que les Perfonnages aient fongé à être plaifans. Jufques-là, pour ainfi dire, on n'avoit pas encore diverti le public avec des Vifages naturels. Ainfi le Public, accoutumé depuis longtems à un Comique groffier ou gigantefque, qui l'entretenoit d'Avantures baffes ou romanefques, & qui ne faifoit paroître fur la Scène que des Plaifans barbouillés & grotesques; fut furpris d'y voir une Mufe, qui fans mettre de Mafque à grimace fur le vifage de fes Acteurs, ne laifoit pas d'en faire des Perfonnages de Comédie excellens. Les Rivaux de Molière juroient en même-tems fur la connoiffance, qu'ils avoient du Théâtre, que ce nouveau genre de Comédie ne valoit rien. Le Public héfita donc durant quelques jours. Il ne favoit s'il avoit eu tort de croire que Jodelet Maître Valet, & Dom Japhet d'Armenie fuffent dans le bon goût; ou s'il avoit tort de penfer que c'êtoir le Mifanthrope, qui êtoit dans le bon goût. Mais après un certain nombre de réprésentations le Monde comprit que la manière de traiter la Comédie en Philofophe moral êtoit la meilleure; & laissant |