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eux, quoiqu'ils n'aient point trempé dans leurs pernicieux deffeins.

Quand on a exilé les Equivoques & les Quolibets des bons Livres & des Conversations fenfées, on a profcrit en même tems les Proverbes, qui êtoient d'ordinaire de la même bande, quoiqu'ils n'outrageaffent pas également la Raifon. A préfent, pour peu qu'on fe pique de fuivre le bel Ufage, on n'ofe emploïer le moindre Proverbe, fans en demander permiffion, quelque à propos qu'il puiffe venir à la matière, dont on parle.

Il y a cependant un grand nombre de Proverbes qui font des Maximes utiles touchant la conduite des Hommes, & qui, confirmées par une longue expérience, méritent bien qu'on pardonne, en faveur de leur fens, à la manière triviale dont on les exprime.

Dépouillés une Maxime de M. de La Rochefoucault de la beauté des Expreffions, de la délicateffe du Tour & d'une certaine obfcurité mifté¬ rieufe,vous trouverés fouvent que dans le fond c'eit un Proverbe, dont tout le monde fe fert, & dont par la même raison vous n'ofés pas vous fervir. Je ne vois pas pourquoi il faut rejetter indifféremment toutes ces manières de parler. Ne fuffiroit-il pas de s'en fervir avec choix & avec ménagement; & n'y auroit-il pas quelque mérite à favoir les appliquer avec jufteffe? Souvent pour éviter ces Sentences vulgaires, ou exprime par des détours longs, embaraffés & obfcurs, ce que par le fecours d'un Proverbe on pourroit dire d'une manière concife & intelligible. (32) Cette affectation me paroît deraifonnable. Il ne faut fe particularifer que quand

REMARQUES.

(32) Cette affectation me paroît deraisonnable. ] Jufqu'ici le Mifanthrope n'avoit rien dit que de bon. Mais il fe trompe à l'égard

la raison le veut abfolument, & il faut fe faire un plaifir de fuivre l'ufage ordinaire, quand on peut être raisonnable avec tout le monde.

Il fuffit d'éviter le langage du bon Sancho, qui dit lui-même qu'il fait, à l'égard des Proverbes comme les Marchands de Noilettes, qui ne se font pas une affaire de mettre pêle-mêle les bonnes avec les mauvaises, pour qu'elles rempliffent le Boiffeau.

VII. (33) Mon imagination... me tranfporta fur le Parnaffe, où Apollon êtoit dans une espèce de Tribunal... & l'on voïoit devant le Tribunal un bon nombre de Poëtes Latins & François féparés en deux bandes. Les uns & les autres s'êtoient plaint fouvent de l'ennui, que leur donnoient certains Fâcheux, qui, êtant éloignés de leur goût

REMARQUES.

des Proverbes. Deux raifons leur ont donné l'exclufion de tout Ouvrage ingénieux, écrit dans le Stile noble. La première eft la trivialité de l Expreffion, qui feroit un contrafte défagréable avec le refte du Stile. C'eft même à caufe de cela que, quand on eft comme forcé d'emploier quelque Proverbe, on éft obligé d'en demander la permillion. Ce qui ne fuffit pas toujours pour les faire agréer des Lecteurs. Il faut encore les avoir amenés d'un peu loin, en affoibliflant infenfiblement le ton de fon Stile, pour fe telever enfuite par degrés. La feconde raifon, qui bannit les Proverbes des Ouvrages d'efprit, écrits noblement; c'eft la trop grande facilité, qu'il y auroit à s'en fervir. S'ils s'y rencontroient fréquemment, ils ne paroîtroient que le fruit de la Mémoire, & nullement celui de la Réflexion, quand même ils feroient appliqués avec juftéfle; & comme ils n'auroient aucunement la grace de la Nouveauté, que tout le monde pourroit en faire le même ufage, & qu'ils ne frapperoient en aucune manière, ils rendroient néceffairement un Ecrit languiffant & froid. Ce n'eft donc que la néceffité, qui leur donne leur paffeport. Il faut, quand on les emploie, qu'ils foient la feule manière, ou du moins la meilleure, de rendre ce que l'on veut dire. Avec tout cela, difficilement le Genre Sublime peut-il les admettre. Il n'en eft de même des Stiles fimple, enjoué, badin, familier, naïf. Les Proverbes finement appliqués, n'y feront jamais blâmés, pourvu qu'ils ne s'y montrent pas trop fouvent.

pas

(33) Mon imagination...] Tiré du L. Difcours, où l'Auteur compare dans un Songe Allégorique, les plus fameux Poëtes Latins avec les plus célèbres Poëtes François.

& de leur tour d'efprit, les empêchoient de jouir d'une Converfation plus agréable. Le Dieu des Vers trouvoit cette plainte bien fondée, & les avoit tous affemblés pour leur donner des Compagnons à leur fantaifie....

Mécénas étoit le conducteur de la Troupe Latine. Phébus lui avoit ordonné de dépeindre le mérite de chacun, qui s'offroit pour avoir un Com¬ pagnon François ; & moi, je fus choifi pour m'aquitter du même emploi à l'égard des Modernes. Il falloit rêver, comme je faifois, pour ne me pas croire indigne de cette grace: mais agréablement trompé par mon Songe, je croïois la mériter de refte; & je prétendois connoître exactement la jufte valeur du mérite de tous nos Poëtes.

Mécénas fit d'abord avancer fon bon Ami Horace, dont il dépeignit ainfi le caractère.

Favori des neuf Soeurs, l'incomparable HORACE,
Se livrant au beau feu de fon heureuse audace >
Tibre, fit le premier retentir fur vos bords
De la Lire des Grecs les raviffans accords.
L'Epithète, avec choix en ses Vers enchassée,
Fait l'effet sur l'Esprit de toute une Pensée.
Son goût exact & fur par de fages bons mots,
Sut vanger la Raison des infultes des Sots.
Philofophe enjoué, fon utile malice
Sappa le Ridicule & confondit le Vice,
Jamais d'un faux Efprit la trompeuse beauté
Ne fit voir dans fes Vers le Bon-Sens maltraité,
Trop heureux fi fa Muse, à son sujet fidèle,
Aux Loix de la Méthode cût êté moins rebelle.

Jêtois ravi de voir que l'Amitié n'aveugloit

point Mécénas jufqu'à lui cacher (34) les défauts de fon Favori, qui dans fes Odes s'abandonne à fes réflexions, & néglige de nous parler de ce dont il a fait d'abord la matière de fes Vers.

Perfonne ne me parût plus propre à être comparé à Horace, que Defpréaux; & voici comme j'en fis le portrait.

DESPRE AUX, éclairé des lumieres d'HO RACE,
Donne à fes traits railleurs plus de tour, plus de grace.
Son fertile génie, au Bon-Sens épuré,

Sur la route du Vrai court d'un pas afsuré.
Jamais ce mâle Auteur d'aucun mot inutile
De fes Vers châtiés n'embarrasse le stile ;
Et la Rime bifarre & l'exacte Raifon
Contractent fous fes mains une heureuse union.
Heureux, fi, moins ravi du grand vol de PINDAR 2
(35) Il eût mieux évité l'infortune d' ICARE,

REMARQUES,

(34) les défauts de fon Favori, qui dans fes Odes &c. ] 11 eft vrai, que beaucoup d'Odes d'Horace n'ont point de plan certain. Il imitoit différens Liriques Grecs, dont les Odes n'êtoient apparamment que des Caprices de Génie. Ils ne penfoient pas qu'il y eût une méthode à fuivre dans des Chanfons, où tout devoit fentir un Efprit tranfporté d'un Enthousiasme, qu'il n'êtoit pas maître de règler. Le reproche, que le Misanthrope fait à Horace, s'adrefle à fes modèles. Les Romains, grands Imitateurs, créoient peu. Hors la Sative & de certaines espèces de Comédies, qui leur appartenoient, ils ne faifoient en quelque forte, que copier les Grecs.

(35) Il eût mieux évité l'infortune d'Icare, ] Allufion à ces Vers d'une Stance rapportée dans la Remarque fur le Vers 11. de l'ỌDE jur Namur, Tome II. page 350.

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Et qu'il n'eût point mêlé (36) dans ses Vers envieux (37) Avec le fade Auteur l'Auteur judicieux.

X II I.

EXTRAIT DES REFLEXIONS Critiques fur la Poëfte & fur la Peinture, par M. (1) P'Abbé Dv Bos, Edition de Paris 1733.3. Volumes in-12.

I. CE qui conftitue le Plagiaire, c'eft de donner l'Ouvrage d'autrui comme fon propre Ouvrage; c'eft de donner, comme êtant de nous, des Vers entiers, que nous n'avons eu aucune peine ni aucun mérite à transplanter d'un Poëme étranger dans le nôtre. Je dis que nous avons transplantés fans peine dans nôtre Ouvrage; car lorfque nous prenons des Vers dans un Poëte, qui a compofé dans une Langue autre que la Langue,dans laquelle nous écrivons, nous ne faisons pas un Plagiat. Ces Vers deviennent nôtres en quelque façon, à caufe que l'Expreffion nouvelle, que nous avons prêtée à la Penfée d'autrui, nous appartient. Il y a du mérite à

REMARQUÈS.

(36) dans fes Vers envieux] Je ne devine pas ce qu'envieux péut fignifier ici. Peut-être eft-ce une faute d'impreffion, pour ennuïeux. Mais quels que foient les défauts de l'ODE de Namur, on ne peut pas la qualifier d'ennuïeuse.

(37) Avec le fade Auteur &c.] La même Ode n'aïant rien de fade, on ne peut pas, à caufe d'elle, en donuer l'Epithète à fon Auteur. XIII. (1) P'Abbé Du Bos,] JEAN-BAPTISTE Du Bos, Diacre, Chanoine honoraire de l'Eglife de Beauvais, Prieur de Venerolles, Abbé de N. D. de Reffon, & Secretaire perpétuel de l'Académic Françoife, êtoit de Beauvais. Il mourut à Paris le Vendredi-Saint 23. Mars 1742. dans fa 73. année.

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