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(3) Defpréaux, nouvel habitant de l'Empire des Morts regardoit les courfes impétueufes de Pindare avec admiration; cette admiration devint bientôt extafe; l'extafe fe change en rage poëtique; le voilà qui prend l'eflor, & qui fuit à toutes jambes l'objet de fon admiration: mais il culbuta d'abord trois ou quatre fois d'une manière fi rude, que jamais il ne fe feroit tiré de ces lieux inégaux, s'il n'avoit gagné le Canton des Satiriques.

(4) Par des routes inconnues

A l'Auteur du Saint Paulin.

Horace rioit comme un fou de tout ce manége-là; &, jugeant à propos d'apostropher fon Ami inforil fe mit à lui chanter l'Ode célèbre que

tuné;

voici.

Pindarum quifquis ftudet æmulari,

Jule,

ceratis ope dedalea

Nititur pennis, vitreo daturus

Nomina ponto.

II. Homère cracha & touffa en Vieillard & en Muficien; &, aïant fatisfait en ces deux qualités à ces devoirs indispensables, voici comme il débuta:

(5) Mufe, raconte moi de l'intrépide Achille
L'impétueuse humeur, & l'opiniâtre bile

REMARQUES.

(3) Defpréaux, ] L'Auteur fe fert prefque toujours du nom de

Boileau.

(4) Par des routes inconnues &c.] C'eft par ces Vers Satiriques de Defpréaux, que finit une Ode qu'il a faite à l'imitation de Pindare, VAN EFFEN.

(5) Mufe, raconte moi &c. ] C'est le commencement de l'Iliade fidèlement traduit jusqu'au fixième Vers, qu'on y a ajouté, pour

Qui peuplant les Enfers des plus vaillans Héros
Livra leurs corps en proie à la faim des Oiseaux.
La volonté des Dieux caufa fon fier délire;

Si tu ne le fais pas je veux bien te le dire.

A ces mots il fit une pause, en bâillant d'une manière à faire naître l'envie de dormir à l'Infomnie même, & par-là il me donna le tems de percer le cercle attentif, qu'on formoit autour de lui. Dès que je l'eus joint: « De grace, lui dis-je, inimitable Homère, dites-moi, pourquoi voulés-vous » informer de la caufe de cette Guerre une Déeffe, » qui ne doit rien ignorer, & que vous priés vous même de vous dicter tout ce que vous avés à nous chanter de merveilleux? Quelque miftérieufe beauté fans doute eft cachée aux ïeux vulgaires fous cette apparence ridicule Ce n'est pas moi qu'il faut interroger là-deffus, me répondit-il du ton du monde le plus naïf. Demandés à ces Meffieurs (les COMMENTATEURS ); ils vous feront bien voir que j'ai eu mes raisons pour dire ce que j'ai dit.

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Ces Meffieurs n'êtoient pas fi débonnaires que l'illuftre. Aveugle, qu'ils conduifoient. Ils trouvèrent de la dernière infolence la liberté, que j'avois prife, de lui demander quelque éclairciffer ment, & fe mirent à me prodiguer plus d'injures que n'en dit le Vaillant Achille à l'équitable Agamemnon dans le I. Livre de l'Iliade. Que pouvoisje y répondre, moi, qui, graces à Dieu, ne fuis ni Héros de l'Antiquité, ni Commentateur, ni Régent de Collége, ni Harangère. Pour toute vangeance, je leur appliquai quelques Vers de Defpréaux, après les avoir parodiés tant bien que mal de cette manière-ci:

REMARQUES.

marquer le défaut, qu'on trouvé dans le cinquième. VAN EFFEN

(6) Qui n'aime pas Homere eft infidèle au Roi

Et,

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felon Vous il n'a ni Dieu, ni Foi, ni Loi. Alors Defpréaux, voïant que je me fervois de fes armes pour repouffer les infultes des Défenfeurs du divin Homère, marcha contre moi d'un air fier, & fe promit bien de m'accabler fous cette terrible Epigramme:

(7) Pour quelque vain difcours fottement avancé
Contre Homere, Platon, Ciceron ou Virgile,
Caligula partout fut traité d'incenfé,
Neron de furieux, Hadrien d'imbecille :

Vous donc qui dans la mesme erreur,

Avec plus d'ignorance & non moins de fureur,
Attaquez ces Heros de la Grece & de Rome,
Damon, fuffiez-vous Empereur,

Comment voulez-vous qu'on vous nomme ?

Je ne fais fi l'air qu'on refpire dans cette bienheureufe demeure, eft mêlé d'exhalaifons poëtiques, ou bien fi

( 8 ) La colere fuffit & vaut un Apollon;

tant-y-a que je n'eus nulle peine à répondre à cette Epigramme, par une autre, (9) qui peut-être n'eft pas moins extravagante. La voici:

REMARQUES.

(6) Qui n'aime pas Homere &c.] Parodie de la IX. Satire Vers 305. & 306. Tome I. page 161.

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Qui méprife Cotin, n'eflime point fon Roi

Et n'a, felon Cotin, ni Dieu, ni Foi, ni Loi.

(7) Pour quelque vain difcours &c.] Epigr. X. Tome II. p. 337. (8) La colere fuffit &c.] Sat. I. Vers 144. Tome I. page 40. (9) qui peut-être n'eft pas moins extravagante. ] La qualification eft un peu dure: mais on ne fauroit nier, que l'Epigramme de M. Defpréaux ne foit une véritable extravagance, auffi dépourvue de fens que de fel.

Pour avoir mis l'Opinion

A la place de la Raison

Claude eut le nom d'un Tiran en délire;

De Barbare on traita Néron;

1

Tibère fut nommé la Peste de l'Empire,

(10) Son Succeffeur infame, un monftre de fureur;
Domitien l'horreur de Rome:
Boileau, fuffiez-vous Empereur,

Comment voulez-vous qu'on vous nomme ?

Pour le coup je fus bienheureux de n'avoir affaire qu'à des Ombres, dont la fureur êtoit auffi peu à craindre que mal fondée, fans cela j'euffe infailliblement fuccombé fous tant de mains modernicides, qui furent levées fur moi dans le même inftant. La burlesque colère de ces Ombres Poëtiques me fit plus de plaifir que de peur; & le dépit, qu'ils en curent, me vangea de leur fote rage, & les éloigna de moi au plus vite.

III. (11) J'attaque Defpréaux; quelle infolence! Après fa mort, quelle malice noire ! Il y a de la baffeffe dans cette conduite affurément, & la Fable du Lion & de l'Ane paroît faite exprès pour moi. Si je voulois me défendre contre mes Accufateurs par Defpréaux même, j'aurois bientôt caufe gagnée. (12) Ronfard & Théophile n'êtoientils pas morts, quand il les a traités de méchans Poëtes? Selon les propres maximes de Defpréaux, la comparaison de Ronfard à lui ne fauroit lui faire

REMARQUES.

(10) Son Succeffeur] CALIGULA

(11) J'attaque Despréaux ; &c.] Tiré du XIV. Dilcours, l'Auteur fe juftifie de différens reproches, qu'on lui faifoit.

(12) Ronfard & Théophile 1 Voïés, Sat. III. Vers 171, Rem. Tome I. page 66.

tort. (13) Il foutient dans fes Réflexions, qu'on ne fauroit juger du mérite d'un Auteur dans le fiècle où il vit, & que c'eft l'approbation fuivie de la Poftérité, qui décide de la beauté de fes Ouvrages.Selon cette règle il cft encore indécis fi Defpréaux vaut mieux que Ronfard; &, peu fur de ce que penferont nos Neveux de l'un & de l'autre, je fuis en droit de juger de leurs Ouvrages par raifonnement, en attendant qu'on puiffe en juger par pré

vention.

Mais ma méthode de raifonner fur les Ouvrages d'efprit n'eft pas celle de Defpréaux, & la réponse, qu'il me fournit contre fes Protecteurs zelés, ne me fatisfait pas. La beauté d'un Ouvrage, felon moi, eft réelle; elle dépend abfolument de la Raison, qui n'êtant point fujette au changement, doit nécefiairement fentir toujours cette beauté, dont elle est le principe & la règle.

Je crois Defpréaux un très-excellent Poëte, fans m'embaraffer de ce qu'en croira la Poftérité. La beauté de fes Vers eft l'effet (14) d'une Imagination vafte & riche, règlée par un Efprit éclairé autant que jufte. Les Siècles à venir, qui ne fauroient rendre fa raifon moins exacte, ni dérègler fon imagination, ne fauront tirer non plus fon

REMARQUES.

(13) Il foutient dans fes Réflexions, &c.] Voïés, Tome III. VII. Réflexion Crit, depuis l'Alinea du bas de la page 310, jufqu'à la fin de la Réflexion. M. Defpréaux y fait valoir autant qu'il peut, en faveur des Anciens, le ridicule Argument tiré de l'approbation de tous les fiècles. C'est là qu'il prétend qu'on ne fauroit décider du prix des Auteurs contemporains; comme fi dans la Nature il n'y avoit pas des loix invariables, auxquelles tout genre d'écrire eft aflujéti; comme fi tout Ouvrage ne tiroit pas fon mérite de fon plus ou moins de conformité avec ces loix,

(14) d'une Imagination valle & riche, ] M. Defpréaux, roulant dans la Sphère étroite d'un petit nombre d'Idées, avoit affés d'imagination pour embellir les détails : mais on ne trouvera jamais, en lifant fes Ouvrages, que fon imagination fût vafte & riche,

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