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parle d'un Homme illuftre... dont j'ai autrefois êté ennemi, & de qui je ne pourrois m'empêcher de bien parler, quand je le ferois encore. C'eft de M. Defpréaux; ... (3) M. Patru de l'Académie Françoife, qui avoit beaucoup de mérite & peu de bien, êtant perfécuté par d'infléxibles Créanciers, qui vouloient faire vendre publiquement fa Bibliothèque, M. Defpréaux, qui en fut averti, l'acheta, pour empêcher qu'on ne lui fit l'affront de la déplacer; & la laiffa à M. Patru, pour en jouir le refte de fa vie, comme fi elle eût toujours êté à lui. Si ce plaifir fut grand pour celui qui le reçut, je ne doute point qu'il ne le fût encore d'avantage, pour celui qui le fit.

III. (4) Le même M. Defpréaux, aïant appris à Fontainebleau qu'on venoit de retrancher la Penfion, que le Roi donnoit au Grand Corneille, courut avec précipitation chés Madame de Montefpan, & lui dit que le Roi, tout équitable qu'il êtoit, ne pouvoit, fans quelque injuftice, donner Penfion à un homme comme lui, qui ne commençoit qu'à monter fur le Parnaffe, & l'ôter à un autre, qui depuis fi longtems êtoit arrivé au fommet: Qu'il la fupplioit, pour la gloire de Sa Majefté, de lui faire pluftôt retrancher la fienne, qu'à un homme qui le méritoit infiniment mieux : & qu'il fe confoleroit plus facilement de n'en avoir point, que de voir un fi Grand Poëte que Corneille

REMARQUES.

dent, & celui qui fuit, font tirés d'une Lettre à M. l'Evêque de Langres.

(3) M. Patru &c.] M. Broffette a rapporté le même fait dans fa Note fur le Vers 1. de la I. Epigramme, Tome II. page 367.

(4) Le même M. Despréaux, &c.] C'eft un témoin non fufpect, qui dépofe en faveur de la vérité d'un fait contefté plus d'une fois par les Journalifles de Trévoux. Voïés, Tome II. Rem, fur la XIV. Epigramme pp. 381-385.

ceffer de l'avoir. Il parla fi avantageufement du mérite de Corneille ; & Madame de Montefpan trouva fa manière d'agir fi honnête, qu'elle lui promit de le faire rétablir, & lui tint parole. Quoique rien ne foit plus beau que les Poëfies de M. Defpréaux, je trouve que les actions, que je viens de dire à Vôtre Grandeur font encore plus belles.

IV. (5) Vous ne pouvés difconvenir, Monfeigneur, que l'on n'ait pardonné, que dis-je, pardonné? trouvé parfaitement beau dans Martial & dans Juvenal force Jeux de mots, qui ne valent pas mieux (6) que ceux dont je parle. On trouve cent raifons pour colorer une abfurdité Grecque ou Latine, que le tems, qui fouvent ne fait ce qu'il fait, a voulu tranfinettre jufqu'à nous; & l'on ne veut pas accorder la moindre grace ni à fon fiècle ni à fa patrie. Si de nos jours quelqu'un avoit trouvé la fade invention du Cheval de bois, où, fuivant toutes les apparences, il ne pouvoit y avoir plus de quarante Hommes, pour furprendre une Ville aguerrie, qui depuis dix ans fe défendoit contre l'Armée formidable de tant de Rois ligués pour la détruire; de bonne foi lui pardonneroit-on cette liberté ? Qu'Henri II. au Tournois, où il fut malheureusement tué par Montgommeri, n'avoit -il une Mère Déeffe, pour lui faire préfent d'un Bouclier femblable à celui que Vénus apporta à fon Fils Enée ! Ce Monarque n'auroit pas êté bleffé. Tout ce qui s'eft fait de mémorable depuis l'origine de Rome jufqu'à la Bataille d'Actium, y eft gravé; & quand chaque Figure n'oc

REMARQUES.

(5) Vous ne pouvés difconvenir, Monfeigneur, &c.] II parle au même Prélat dans la même Lettre.

(6) que ceux dont je parle. Avant ce qu'on lit ici, Bourlands avoit rapporté deux Epigrammes pleines de Jeux de mots.

cuperoit que la place d'un grain de fable, il auroit fallu que ce Bouclier eût contenu tout au moins fept ou huit toifes. Homère, ce Prince de la Poëfie, de qui la réputation dure depuis tant de fiècles, eft un grand modèle à imiter dans ce qu'il a fait de beau mais je ne puis prendre fes vices pour des vertus; & quand il donne à Junon des ïeux de bœuf, & qu'il fait parler un Cheval à Achille, je ne crois pas que ce foit des endroits à encenfer. Je ne dis point cela, Monfeigneur, pour prendre le parti des Modernes contre les Anciens. Le côté, dont je me rangerois n'en feroit guères plus fort; & d'ailleurs l'ignorance, où je fuis, me derobe le plaifir de voir les beautés de l'Antiquité dans leur fource: mais à en juger par les Traductions, qu'on en a faites, il me femble que les beautés de nôtre tems les valent bien; & que Racine & Defpréaux, qui foutiennent le parti des Anciens jufqu'à effufion d'encre, ont fait de plus belles chofes qu'eux. Un de mes Amis, auffi favant & auffi poli qu'on le puiffe être, & qui fait les beautés du Grec comme celles du François, préfère Quinault à tous les Liriques de la Grèce; & me foutenoit encore hier qu'Anacréon, dont les Vers fembloient être dictés par l'Amour, n'a rien fait de fi galant que ce Couplet de Chanfon :

Enfin la charmante Lisette,

Senfible à mon cruel tourment,
A bien voulu deffus l'herbette
M'accorder un heureux moment.
Preffé d'une charge fi belle,
Tendre Gazon, relevés-vous;
Il ne faut qu'une bagatelle

Pour alarmer mille Jaloux.

J'ai oui dire à ce fameux Defpréaux, que j'ai ci

té il n'y a qu'un moment, & dont le fuffrage eft d'un fi grand poids, que jamais il n'a rien vu de plus beau dans le Genre Lirique que les quatre Vers, dont je vais faire part à Vôtre Grandeur. Donc on peut faire auffi-bien dans ce tems-ci que dans le tems paffé; & les Anciens n'ont d'autre avantage fur nous que celui d'être venus les premiers; avantage dont je ne fuis point jaloux, tant le plaifir d'être me paroît préfèrable à celui d'avoir êté. Voici les Vers, dont M. Defpréaux eft fi con

tent.

Doux Ruiffeaux, coulés fans violence ;
Roffignols, arrêtés vôtre voix ;
Taifés-vous, Zéphirs; faites filence :
C'est Iris, qui chante dans ce bois.

X I I.

EXTRAIT DU MISANTHROPE de (1) VAN EFFEN, Edition de 1741.

I. IL n'y a rien de fi bifarre au Monde que la ma nière de fe divertir. Pindare, par exemple, s'êtoit

REMARQUES.

XII. (1) Van Effen, ] JUSTE Van Effen, naquit à Utrecht le 21. Avril 1684. & mourut à Bois-le-Duc dans fa 2. année le 18. Septembre 1735. êtant alors Inspecteur des Magasins de l'Etat dans cette Ville. Il avoit fait d'excellentes Etudes; & par un goût particulier, il avoit voulu pofléder la Langue Françoife, dans laquelle il a compofé tous fes Ouvrages; & qu'il écrit auffi-bien que l'on peut écrire une Langue apprife, dont il n'appartient jamais de connoître toutes les fineffes, qu'à ceux dont elle eft la Langue naturelle. Un Efprit Philofophique, des Connoiffances étendues & diverfifiées; une affès grande vivacité d'Imagination, & beaucoup de facilité, mirent Van Effen en êtat de travailler fur

choifi (2) dans le féjour des Liriques, l'endroit le plus raboteux qu'il y pût trouver; & il fe plaifoit à courir comme un enragé d'un Vallon fur une Colline, & d'une Colline dans un Vallon. Ce qu'il y avoit de plus plaifant, c'eft qu'à tout moment il donnoit du nés en terre, à faire croire qu'il n'en releveroit jamais mais femblable au célèbre Antée, à qui fes chutes donnoient de nouvelles forces, il fe relevoit tout auffi-tôt plus gaillard que jamais; &, fe donnant un nouvel élan, il grimpoit avec une efpèce de rage poëtique contre les rochers les plus ef carpés. D'ordinaire il faifoit la culbute avant que d'être à la moitié de leur hauteur; & fi quelquefois il en gagnoit le Sommet, ce n'êtoit que pour faire une chute plus grande & plus rifible.

REMARQUES.

toutes fortes de matières: mais dans quelque genre que ce foit, à l'exception peut être de ce qu'il a fait pour le Journal Littéraire de La Haye, il n'a jamais pu s'élever au-deffus du médiocre. J'excepte encore fon Parallèle d'Homère & de Chapelain, qui fe trouve à la fuite du Chef-d'œuvre de l'Inconnu, par le Docteur Mathanafius; c'eft un badinage heureux, & très bon dans fon Genre. On peut voir l'Eloge de ce fécond Ecrivain dans la Bibliothèque Françoise, on Hifloire Littéraire de la France, Tome XXV. I. Partie. On y trouvera le Catalogue de fes Ouvrages. Je ne dois parler ici que de fon Mifanthrope, qu'il fit à l'Imitation du Spectateur Anglois. Il en fit d'abord une demi-feuille, qui parut le 19. Mai 1711. & continua tous les Lundis jufqu'au 26. Decembre 1712. Il garda fi bien l'incognito, qu'on ne foupçonna point qui pouvoit être l'Auteur de ces Difcours, qui réuffirent beaucoup. Il en fut fait une Edition complette en 1711. & 1712, une feconde en 1726. & depuis on les a réimprimés deux fois. Ce font deux Volumes in-8°. Cet Ouvrage eft mêlé de Profe & de Vers, Quoique l'Auteur foit affés médiocre Verfificateur, & qu'il ne fût rien moins que Poëte, il eft pourtant vrai, que fes Vers valent quelquefois mieux que fa Profe. Je ne parle que de fon Mifantbrope. Ses autres Ecrits ne me font pas aflés connus pour ofer en juger. Au refte, il y a de fort bonnes chofes dans le Milanthrope; & l'on peut dire qu'en général le Jugement y domine par tout.

(2) dans le féjour des Liriques,] Cet Article & le fuivant font tirés d'un Songe Allégorique, dans lequel l'Auteur parcourt la demeure des Poetes dans les Champs Elifées. Il commence ce Songe dans le III. Difcours & le continue dans le

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