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grand comte à rendre devant Dieu d'avoir traité de froids Rimeurs les Chapelains,les Cotins,les Caf"fagnes &c. Si ces pauvres Poëtes-là vivoient enco ,, re, ne feroient-ils pas des Soleils, auprès de ceux » que nous avons aujourd'hui„, ?

III. M. Despréaux difoit, que "la différence ,, qu'il y avoit entre un Paralitique, & un Mort, ,, c'êtoit qu'un Paralitique eft un Mort, qui fouffre; ,, au lieu qu'un Mort eft un Paralitique, qui ne ,, fouffre pas,,.

"

IV. Le Chevalier (2) de Linière êtoit de la Famille des Pajots de Linière, dont il y a eu des Confeillers au Parlement. Il êtoit affés bien renté, mais il trouva le secret de dépenfer fon revenu en fort peu de tems par les debauches qu'il faifoit. Ce qui fut caufe que fur fes vieux jours il fe trouva trèsmal à son aise. Cela ne l'obligeoit pourtant pas de manger avec les Cochers & les Laquais des Maîtres, à la table defquels il avoit mangé dans fa fortune, (3) comme Ménage le difoit; puifque Linière avoit une Famille, qui remèdioit à ses besoins, &

REMARQUES.

( 2 ) de Linière ] Il y a par tout dans le Carpentariana ; LIGNE' E au lieu de Linière.

(3) comme Ménage le difoit ;] Voici comme il parle dans le I Tome du Ménagiana. "Le Poëte Linière s'êtoit autrefois acquis ,, l'eftime des gens de mérite par fes Vers,qu'il faifoit affés bien... ,, Préfentement on ne le regarde plus, & il eft obligé de manger ,, avec les Cochers & les Laquais des Maîtres, à la table de quels il mangeoit autrefois. C'eft lui qui a dit de moi, qu'il falloit , me condamner à être conduit au pied du Parnafle, & y rece, voir la fleur de lis pour les vols, que j'ai faits aux Anciens. ,, J'avoue moi-même je les ai pillés dans mes Foëfies que M. de La Monnoie ajoute : FRANÇOIS Pajot plus connu fous le nom de Linière, mourut à Paris l'an 1704. âgé de 76. ans. Il êtoit né avec de jolies qualités, bien fait, de l'efprit, de la vivacité, du talent pour la Poefie aisée : mais fatirique, libertin, débauché. Il acheva de fe gâter par fa crapule. On voit de lui diverfes Pièces dans les Volumes de Poefses Choifies, imprimés chés ,, Serci, Il en court auffi beaucoup de Manuscrites,;. I

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Tome V.

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qu'il s'eft toujours foutenu affés honnêtement. L'endroit du Ménagiana, que je viens de citer, choqua tellement Linière qu'il difoit de feu Ménage làdeffus avec fon emportement ordinaire: Ah B..... je te donnerai fur tes B...... de Manes. Il eft bien vrai que ce qui peut avoir donné lieu à Ménage de dire cela de Linière, c'eft que ne pouvant contraindre fon humeur débauchée,il alloit demander à diner d'un côté & à fouper d'un autre. (4) Le Poëte Laînez, qui fe plaifoit à le harceler par des Vers de fa façon,en a fait fur ce fujet,qui ne font pas trop

REMARQUES.

(4) Le Poëte Lainez, ] ALEXANDRE Lainez, natif de Chimay, Ville du Hainaut, êtoit de la même Famille que le P. Lainez lecond Général des Jéfuites. Il avoit fait fes études à Rheims, où dès fa première jeuneffe, il s'êtoit acquis, par les agrêmens de fon efprit, l'amitié des perfonnes les plus confidérables, & dès lors fon enjoument & fes faillies l'avoient rendu l'ame des bons repas. La Philofophie de l'Ecole devoit avoir peu d'attrait pour un Efprit de la trempe du fien ; & pendant fon Cours, loin de fe livrer à cette étude fèche,il traduifit Pétrone. Cet Ecrivain fut dans la fuite fon Auteur favori. Non feulement il en acheva la Traduction, mais il fuppléa de fon propre fonds les lacunes des anciennes Editions. C'eft ce que j'ai fu d'une perfonae, qui l'avoit connu particulièrement, à laquelle il avoit récité fes fupplémens, qu'il avoit auffi mis lui même en Latin. Cet Ouvrage n'a point paru. L'on ne fait même s'il existe encore. Peut-être Lainez l'a-t-il fupprimé lui-même, aimant mieux prendre ce parti que d'y mettre la dernière main.

Quelque tems après fes Etudes il vint à Paris, & le Chevalier Colbert, Colonel de Champagne l'engagea de le fuivre à l'Armée. Lainez lui faifoit des Conférences fur les principaux endroits de Tite. Live & de Tacite, & plufieurs Officiers, gens d'efprit, affiftoient à ces Conférences, & fourniffoient à Laînex l'occafion de développer toutes fes connoiffances. Mais il fe lafa bien-tôt de cette occupation. Il quitta le Chevalier Colbert, pour paffer en Provence, où le Marquis d'Oppède, Premier Préfident du Parlement d'Aix, le retint quelque tems. Enfuite il alla s'embarquer à Marfeille pour le Levant parcourut les Iles de l'Archipel & toute la Grèce, pafla fix mois à Conftantinople, vilita l'Afie Mineure & la Paletine; alla par mer en Egipte; & de-là, paflant par Malte & la Sicile, il vint en Italie. Après en avoir vu les principales Villes avec foin, il revint en France par la Suiffe. Enfin, au bout de trois ou quatre ans de courfe, qui lui coutoient prefque tout

bons, mais dont la pensée n'eft pas mauvaise. Les

voici :

QU'A Linière aujourd'hui ?

Qu'il me paroît fot avec fon air fage!

La trifteffe & l'ennui

Sont peints fur fon vifage.

N'iroit-il pas diner chés lui ?

LINIE'RE êtoit fort fatirique de fon naturel, & malheur à ceux qui êtoient une fois l'objet de fa Satire. Tout le monde a fu ce qu'il en a couté à la

REMARQUES.

fon Patrimoine, il regagna,fort mal en ordre,fa Ville de Chimay, dans laquelle il mena pendant deux ans une vie très-obscure.

Il couroit alors des Libelles injurieux pour la France, qui fe répandoient dans le Roïaume par la Flandre. L'Abbé Fautrier, Intendant du Hainaut, eut ordre d'arrêter le cours de ces Libel. les, & de fe faifir de ceux qu'on en croiroit Auteurs. La vie retirée de Lainez le rendant fufpect, l'Intendant, avec main forte le va trouver dans le galetas, qu'il habitoit, & l'y trouve entouré de Papiers mal rangés, & couvert d'une mauvaise robe de chambre. Lainex n'eut pas de peine à prouver for innocence; & la Magiftrat, ravi de rencontrer un Homme de ce mérite, lui fait offre de fa Maison & de fon amitié. Lainez, qui pour lors avoit toute fa garderobe fur lui, fe défend d'accepter les offres généreufes de l'Intendant, & s'en excufe fur fon êtat, qu'il ne lui cache point. L'Abbé Fautrier redouble fes inftances, & Laînez confent enfin de le fuivre. Quatre mois après fon Bienfaiteur quitta l'Intendance & revint à Paris. Laínez le fuivit encore, pour jouir des mêmes bienfaits: mais au bout de fix mois, incapable de fupporter aucune gêne, il pria l'Abbé Fautrier de lui permettre de fe retirer. Peu de tems après, il fit un voïage en Hollande uniquement pour voir Bayle, alla pafler quelques mois en Angleterre, & revint fe fixer à Paris.

Depuis il partagea fon tems entre l'Etude & les Plaifirs. Ceux de la table fur tout eurent le plus de charmes pour lui. Convive infiniment agréable, il favoit rendre fa converfation utile autant qu'elle êtoit ingénieufe & vive. Il parloit bien, & toute matière lui convenoit. Les Savans êtoient étonnés de la profon deur & de l'étendue de fon érudition; & les Beaux Efprits admiroient le brillant de fon génie. Il étoit fenfible aux louanges; & le plaifir, qu'elles lui caufoient, fembloit, en l'animant, augmen ter fon efprit. Les charmes de fa converfation le faifoient fouhai. ter par tour, & rarement se refusoit-il à ceux qui lui témoignoient

réputation du pauvre Chapelain, pour avoir êté un peu trop fincère. Les particularités de cette querelle font que Linière êtant venu montrer de fes Vers à Chapelain, il lui dit après en avoir fait la lecture: "M. le Chevalier, vous avés beaucoup " d'efprit, & de bonnes rentes. Ç'en eft affés, ,, croïés-moi, ne faites point de Vers. La qualité de ,, Poëte eft méprifable dans un Homme de qualité » comme vous,,. Linière outré de ces paroles, qui le choquèrent plus, que fi Chapelain lui eût dit que fes Vers êtoient mauvais, réfolut de s'en vanger;

REMARQUES.

de l'empreflement: mais comme il vouloit que rien ne le gênât, & que le tems, qu'il deftinoit à l'étude, y fût donné fans interruption, il cachoit fa demeure; & quand on le ramenoit le foir en carrofle, il fe faifoit dêcendre au milieu du Pontneuf. On a fu feulement, qu'il avoit logé longtems dans le voisinage de l'Abbaïe Saint Germain.

Il mourut le 10. Avril 1710. âgé de 60. ans, & fut enterré à faint Roch, devenu fa Paroifle de la veille de fa mort. Il êtoit dangereufement malade depuis affés longtems; & l'on dit qu'après qu'il eut reçu les Sacremens, le Prêtre, qui l'avoit confeflé, fit emporter pendant la nuit une caflette, qui renfermoit fes papiers. Tout moribond qu'il êtoit, il s'en apperçut, & s'êtant mis à crier au voleur, il fit venir un Commiffaire, auquel il rendit plainte; força le Prêtre, qu'il traita mal, à lui rapporter luimême fa caflette; & fur le champ il fe fit tranfporter dans une Chaife fur la Paroifle faint Roch. On dit auffi qu'il avoit eu deffein de fe faire mener dans la plaine de Montmartre, pour y mourir, après avoir encore une fois vu le lever du Soleil.

Il favoit parfaitement le Grec, le Latin, l'Italien & l'Espagnol, & poffedoit tous les bons Auteurs de ces quatre Langues. Il avoit d'ailleurs une connoiflance très-étendue de la Géographie. On ne peut pas douter qu'il n'ait compofé divers Ouvrages en forme. Mais il ne nous refte que fort peu de chofe de lui. Chambon fon Médecin, fut l'Héritier de prefque tous fes papiers, & n'en fit aucune part au Public; enforte que Lainez n'eft aujourd'hui connu que par un petit nombre de Pièces de Vers répandues dans différens Recueils. Comme il êtoit peu communicatif, il fe contentoit de réciter à fes Amis ce qu'il compofoit, & n'en donnoit prefque jainais de copies. D'ailleurs la plufpart de ces Pièces ont êté faites à Table le Verre à la main. Elles font courtes pleines d'efprit & de naturel: mais il n'y faut pas chercher une correction, dont elles n'ont pas befoin. Il fuffit qu'elles aient tout le mérite de la Saillie & de l'Impromptn. Au tefte, ces Pièces

vives,

& pour cet effet, il fit (5) l'ingénieuse Parodie du Cid, que nous avons de lui, & que l'on attribuë fauffement à M. Defpréaux, qui n'en a fait que la dernière Scène. Furetière eft Auteur des Stances. DESPRE AUX trouva cette pièce affés plaifante, pour ne pas dire qu'il n'en êtoit pas l'Auteur. Mais il eft certain que Linière, qui me l'a donnée écrite de fa main, eft celui qui l'a compofée. Madame Deshoulières a fait un Portrait de Linière, dans lequel elle lui dit affés bien fes vérités. Il n'avoit pas autrement de Religion; & j'ai entendu dire à M. Defpréaux, qui ne cherchoit que l'occafion de lui donner un coup de dent, que la meilleure action, que LINIE'RE eût faite en fa vie, étoit d'avoir bu toute l'eau d'un Bénitier, parce qu'une de fes maîtreffesy avoit trempé le bout du doigt.

V. Il faut louer la vertu par tout où elle fe rencontre, & dans fes ennemis de même que dans les autres. Il me fiéroit bien, par exemple, de dire, que Furetière n'avoit pas d'efprit, & cela parce qu'il m'a outragé dans plufieurs endroits de fes Ecrits.

REMARQUES.

font en trop petit nombre, pour faire connoître leur Auteur autrement que comme un Poëte aimable. Un Poëme Grec en l'honneur d'Homère, un Poëme Latin d'environ fix cens Vers fur les premières Conquêtes de Charles XII. Roi de Suède, & quelques autres Ouvrages d'aflés longue halène, nous feroient juger, fi nous les avions, de toute l'étendue des talens de Laínez pour la Poefie.

Ce qui furprit toujours en lui, c'eft que le goût de la Table n'eût rien fait perdre à celui de l'Etude. Après une débauche de douze heures, un de fes Amis le trouvant le lendemain matin dès huit heures étudiant dans la Bibliothèque du Roi, lui témoigna combien il en êtoit étonné, Laínez lui répondit fur le champ par ces deux Vers imités de VIRGILE.

Regnat nocte calix, volvuntur biblia mane ;

Cum Baccho Phebus dividit imperium.

(s) l'ingénieuse Parodie du Cid, ] Elle eft dans le II. Tome p. 44r. Comment accorder Charpentier avec M. Despréaux. Ils devoient être inftruits tous deux. Nous avons vu le dernier (Tome I. page 1xxj.) affurer, que Furetière eft le véritable Auteur de cette Parodie.

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