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J'arrivai juftement chés lui lorfqu'il venoit de finir ces Vers; & fur ce que je l'en félicitois: "N'eft-ce ,, pas une chofe pitoïable, me difoit-il, qu'êtant ,, prefqu'à la veille de rendre comte de mes actions à Dieu, je m'occupe encore à des niaferies de ,, Parnaffe? M. l'Abbé de Chateauneuf me dit fort ,, fouvent Oh! Que je vous plains, vous autres ,, Meffieurs les Beaux Efprits, d'être toujours condamnés à la jufteffe! Cela eft plus vrai de moi que. de tout autre; car lorfque j'ai bien dit quelque ,, chofe, je ne fuis pas content, fi je m'apperçois ,, que je l'aurois pû dire mieux; auffi c'est ce qui ,, me rend quelquefois fanfaron malgré moi. L'autre jour un Homme de la Cour vint me chicaner ,, fur quelques-unes de mes expreffions qu'il trouvoit trop hardies. Je lui répliquai affés brusque,,ment: Monfieur, quand je fais tant que de vous ré,, citer un Ouvrage, ce ne font pas vos critiques que ,, je crains; ce font celles que je me fais à moi-même,,.

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CIX. M. Racine êtoit ami de Chapelain, que M. Defpréaux ne connoiffoit point du tout. Ces deux Amis voulurent fe donner le régal d'aller voir ce Poëte avare; & M. Defpréaux devoit paffer pour le Bailli de Chevreufe. Ils trouvèrent l'Auteur de La Pucelle auprès de fon feu, les deux pieds appuïés fur une buche mal allumée. Leur arrivée ne lui fit point quitter fa pofture, de manière qu'il s'emparoit de tout le feu, les deux extrémités de la buche qui ne brûloient point fe trouvant précifément aux pieds des deux fameux Poëtes. La Converfation tomba fur les Comédies, CHAPELAIN foutenant que les Comédies de l'Ariofte l'emportoient fur toutes les Comédies anciennes & modernes. “ Mais encore quel jugement faites-vous de Térence, reprit M. Defpréaux,,? Hé, repartit CHAPELAIN, c'est un Auteur, dont le ftile eft affés pur. Mais,

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» répliqua M. Despréaux, ne trouvés - vous pas

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qu'il repréfente les mœurs admirablement,,? Chapelain en revenoit toujours à fon Ariofte, quand M. Defpréaux penía éclater contre lui." J'allois, difoit-il, oublier que j'êtois le Bailli de Chevreuse, & lui prouver par Ariftote qu'il étoit éloigné de la droite Raifon, lorfque M. Racine fe leva bruf,, quement, & fit ceffer la difpute, en prenant con,, gé de lui,,. A peine avoient-ils fait trois pas dans la rue, qu'ils rencontrerent Cotin, qui alloit vifiter Chapelain; de manière qu'un petit moment plus tard les Armées fe feroient trouvées en préfence; & Cotin, qui connoiffoit M. Defpréaux, n'auroit pas manqué de démafquer le faux Bailli de Chevreuse.

CX. M. Defpréaux ne faifoit aucun cas de (162) Corbinelli, tant loué par Madame (163) la Marquife de Sevigné,& par (164) le Comte de Buf fi-Rabutin. Il difoit que le Marquis de Vardes & Cor

REMARQUES.

(162) Corbinelli, Fils de Raphael Corbinelli, Secretaire des Commandemens de la Reine Marie de Medicis, & Petit-Fils de Jacques Corbinelli, noble Florentin, qui vint en France du tems de Catherine de Medicis, dont il avoit l'honneur d'être allié. Le Corbinelli, dont il s'agit ici, mourut le 19. Juin 1716. âgé de plus de 100. ans. Il eft Auteur de l'Hifloire Généalogique de la Maifon de Gondi, du Recueil, dont le titre eft: Extrait de tous les plus beaux endroits des Ouvrages des plus célèbres Auteurs de ce temps, & qui parut en 1681. du Livre imprimé en 1694. fous ce titre: Les Anciens Hifloriens Latins réduits en maximes, Il avoit compofé d'autres Ouvrages, qui n'ont point vu le jour; enforte que nous n'avons rien de lui, qui juftifie la grande réputation dont il a joui.

(163) la Marquise de Sevigné, ] MARIE de Rabutin, Dame de Chantal & de Bourbilli, mariée en 1644. à l'âge de 18. ans avec Henri, Marquis de Sevigné, Gouverneur de Fougères & Marêchal de Camp. Elle êtoit née le <. Février 1626. Son Père Celle-Benigne de Rabutin, Baron de Chantal, êtoit Fils de l'illuftre Madame de Chantal, Jeanne Françoise Frémiot, Fondatrice de l'Ordre de la Vifitation. Les Lettres de Madame de Sevigné, qui font entre les mains de tout le monde, font voir qu'on avoit eu raifon de la regarder comme une des Femmes les plus fpirituelles de fon tems. (164) le Comte de Buffi-Rabutin. ] Voiés, Tome 1. Sat, VIII.

binelli s'êtoient fait un Tribunal, où ils prétendoient juger les Ecrivains, & entr'autres Horace, dont ils n'avoient jamais fu comprendre les délicateffes. Il les frondoit, fur tout à l'égard de ce paffage d'Horace, que M. Dacier avoit très-mal rendu fur leur interprétation:

(165) Notum fi callida verbum

Reddiderit junctura novum.

"Car, difoit M. Defpréaux, où eft le grand artifice à rendre nouveau un mot déja connu, par le moïen d'une adroite liaifon? Il est bien plus naturel de hafarder fi adroitement un mot nou

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"

REMARQUES.

Vers 142. Rem. pag. 119. Sat, X. Vers (29. Rem, pag. 199, & l'A. vertiff. fur l'Epit. IV. pag. 300.

(16) Notum fi callida verbum &c. ] Art Poët. Vers 47. La fens, que M. Despréaux donnoit à ce paffage d'Horace eft le feul, qu'il puiffe recevoir. Il ne faut qu'analiser l'endroit pour s'en asfurer. Horace veut qu'on ne hafarde de nouveaux termes qu'avec précaution & rarement.

In verbis etiam tennis cautusque serendis. ( Vers 46.) Mais fi pourtant on en hafarde quelqu'un, il faut l'amener avec tant d'adreffe, qu'on ne s'apperçoive point qu'il eft nouveau, c'est-à-dire, qu'il faut que ce nouveau terme préfente fi clairement ce qu'il fignifie, qu'il foit entendu de tout le monde auffi facilement que les termes les plus connus.

Dixeris egregie notum fi callida verbum
Reddiderit jun&tura novum.

HORACE ajoute, qu'on ne pourra guères fe difpenfer de faire de nouveaux mots, lorfqu'il faudra donner de nouvelles idées fur les fecrets de la Nature.

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.

Voilà principalement le cas, où l'on permet de forger des mots pourvu qu'on n'ait recours à cet expédient, que quand la chofe eft abfolument néceffaire. Horace confeille enfuite de tirer habiJement du Grec les termes, dont on aura befoin. Pourquoi Virgile & Varius ne jouiroient-ils pas d'un droit,que Cécilius & Plause s'étoient acquis? Ennius & Caton avoient enrichi leur Langue ma

,,veau qu'on le faffe connoître tour d'un coup par l'adroite liaifon qu'on y emploïe, comme par », exemple:

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,, Cette agréable raillerie,

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Et c'eft le fens d'Horace, d'autant qu'à trois Vers ,, de là, ce Poéte dit qu'une telle liberté eft raisonnable, pourvu qu'on en use fobrement:

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,, Dabiturque licentia fumpta pudenter,,.

CXI. Dans la Campagne de Gand, M. Defpréaux fuivoit le Roi; & s'êtant trouvé en marche avec M. le Duc, Fils du Grand Condé, ce Prince lui dit: "En vérité, les Hommes font bien fous de courir après la gloire, qui, dans le fond, n'eft ,, qu'une chimère, & de laquelle on ne jouit pro,, prement qu'après la mort. D'ailleurs, difoit-il, », qui eft l'Homme, qui puiffe fe flater d'arriver jufqu'à la renommée d'Alexandre? Car c'eft un "Nom, qui a effacé & effacera toujours les plus

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REMARQUES.

ternelle; enviera-t-on aux Ecrivains venus après eux l'avantage de faire un petit nombre d'acquifitions dans le même genre? Il fut toujours permis & jamais il ne fera défendu de donner naiflance à des Mots marqués au coin de l'Analogie présente de la Langue.

Et nova fitaque nuper habebunt verba fidem, fi
Graco fonte cadant, parce detorta. Quid autem
Cacilio Plantoque dabit Romanus, ademtum
Virgilio Varioque: Ego cur, acquirere pauca
Si poffum, invideor; cum lingua Catonis & Enni
Sermonem patrium ditaverit, & nova rerum
Nomina protulerit: Licuit, femperque licebit
Signatum præfente nota producere nomen.

Ce qu'Horace ajoute dans les treize Vers, qui fuivent ceux-ci, montre clairement, qu'il n'a voulu parler que des mots, que l'on invente & nullement des nouvelles alliances de mots produites par la Métaphore & les autres Tropes, quand il dit :

notum fi callide verbum

Reddiderit jun&tura novum.

,, grands Noms. En connoiffés-vous quelqu'autre ,, qui ait fait autant d'éclat parmi les Hommes,,? Il n'est pas furprenant, répondit M. DESPRE AUX, qu'ALEXANDRE, jeune, guerrier, ambitieux, foutenu par une fortune toujours conftante, ait étendu fi loin fa réputation; mais qu'un petit Bourgeois Athènien, connu feulement par fon bon fens, & par fes deux méchantes Femmes ; que Socrate en un mot qui n'a jamais rien écrit, & qu'on ne connoítroit point: fans fes Difciples; que le Philofophe marche de pair avec le Conquérant pour l'éclat de la réputation: c'est ce qui me paffe; la Philofophie étant un métier paifible, qui n'impofe pas aux hommes, à beaucoup près, autant que fait le fracas des Armes, & cependant la réputation de Socrate eft prefqu'auffi étendue que celle du GRAND ALEXANDRE. Là-deffus M. le Duc appelle malicieufement un Laboureur, & lui demande s'il connoiffoit bien Alexandre. “ Ouida, Monfeigneur, m'eft avis que c'êtoit un grand Et SOCRATE, quel homme étoit-ce? Le Païfan fecoua la tête, fur quoi M. le Duc croïoit avoir gagné; mais M. Defpréaux dit qu'il en appelloit à un autre Villageois.

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Roi

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CXII. M. Boileau Docteur de Sorbonne & Doïen de Sens, aïant obtenu du Roi un Canonicat de la Sainte Chapelle, alla remercier Sa Majefté, qui lui dit obligeamment: "Monfieur, c'eft une place, ,, qui êtoit due à vôtre mérite, auffi-bien qu'aux prieres de vôtre Frère, qui nous a tant rejouis,,.

Ce Docteur êtoit véritablement docte, mais il aimoit à écrire fur des matières fingulières, & peutêtre un peu trop comiquement; fon Père l'appelloit:Le petit Difcoureur. Comme il avoit toujours le mot pour rire, même dans les occafions les plus graves, M. Defpréaux difoit de lui en plaifantant: Mon Frère ne pouvoit pas manquer d'être Doc teur; car s'il ne l'eût pas êté de Sorbonne, il au

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