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A la mémoire de mon vénéré Maître et Ami L. Dussieux.

Au nombre des dates inoubliables de la Révolution française, il en est une surtout que tout le monde connaît: le 21 janvier 1793.

Notre intention n'est pas, dans cette chronique rétrospective, de raconter par le menu les débats qui précédèrent la décapitation du dernier des rois de la vieille monarchie; nous voulons seulement mettre en lumière un fait peu connu, pour ne pas dire ignoré, que nous avons vainement cherché dans les recueils spéciaux sur cette époque de notre histoire nationale.

L'historique de la Révolution française est peut-être, de tous les grands faits de notre pays, celui qui a été et est encore le plus étudié, le plus fouillé; chaque journée apporte un document nouveau, une anecdote inconnue, qui, joints aux grands fails, font davantage ressortir l'état d'âme, le côté psychologique, pour nous servir d'un mot usité maintenant, de cette période particulièrement troublée.

(1) Reproduction interdite en dehors des traités avec la Société des gens de lettres.

L'anecdote, en effet, nous parlons, bien entendu, de celle qui est exacte, contrôlée, certaine, est un moyen d'investigation que l'historien ne doit jamais négliger; c'est par l'anecdote qu'on arrive à connaître réellement une époque parce qu'elle fait admirablement voir l'esprit du moment; par l'anecdote on arrive à dépeindre tout un siècle. Celui qui précède le nôtre en est, croyons-nous, la plus éclatante démons tration, aussi n'hésitons-nous pas à nous rallier à cette pensée si profonde de Prosper Mérimée au début de sa préface de la Chronique du règne de Charles IX:

« Je n'aime dans l'histoire que les anecdotes, et parmi les anec<< dotes je préfère celles où j'imagine trouver une peinture vraie « des mœurs et des caractères à une époque donnée. »

Cette appréciation est la nôtre.

Il est bien évident que, si nos historiens se contentaient de prendre dans notre histoire nationale les anecdotes seulement qui s'y rattachent, à coup sûr, ils intéresseraient fort notre jeunesse universitaire avec les récits glorieux de nos ancêtres, leurs actes de courage, leurs dévouements à la patrie, mais ils l'instruiraient peu; cependant, qu'il nous soit permis de dire, en faveur de la thèse défendue ici, que l'anecdote est en quelque sorte le complément indispensable de l'œuvre, le piment qui vient émoustiller, ragaillardir le récit fort intéressant et indispensable, mais souvent aussi peu récréatif. Nous en appelons à tous ceux qui s'occupent d'histoire.

Aussi, tout en n'accordant à la pensée de Prosper Mérimée seulement la part qui doit lui être attribuée, ne négligeons-nous jamais, si l'occasion se présente, de recueillir avec le plus grand soin tous les mots ou anecdotes authentiques qui parviennent jusqu'à nous. Nous ajouterons même que notre devoir est de garder pieusement les anecdotes fabriquées sur les grands hommes de notre histoire nationale; elles ne peuvent que contribuer à bien faire connaître l'esprit si prime-sautier, si subtil de notre nation.

Qu'importe, après tout, que le chevalier d'Assas n'ait jamais dit : A moi Auvergne, il n'en reste pas moins un grand guerrier du règne de Louis XV; qu'importe que Cambronne n'ait jamais lancé à la face de l'ennemi La garde meurt et ne se rend pas et même moins; n'a

t-il pas combattu en héros à Waterloo?

Retenons les anecdotes, apprenons-les à nos enfants, sauf à leur

dire plus tard de lire les livres d'Edouard Fournier.

Nous sommes à la Convention.

On sait que la Convention tenait ses séances dans les jardins des Tuileries à la salle du Manège, parallèlement à la terrasse des Feuillants, dont elle était séparée par une cour longue et étroite sur l'emplacement de laquelle passe aujourd'hui la rue de Rivoli, et par une haute muraille, remplacée depuis par la grille actuelle.

Elle siégea là jusqu'au 10 mai 1793, pour aller ensuite tenir ses séances dans la salle des Machines aux Tuileries.

La salle des Machines c'est la salle de spectacle du château; placée au rez-de-chaussée de ce monument, la scène touche le pavillon Marsan. Ce nom de salle des Machines, qu'elle a gardé jusqu'à la fin du règne de Napoléon III, lui avait été donné à cause de sa scène, la première machinée.

C'est donc bien dans la salle du Manège que se déroula le procès de Louis XVI.

La salle de la Convention affectait la forme d'un immense rectangle très long; la barre était en bas et au centre. De ce point s'élevaient de chaque côté de nombreux gradins. Les députés se tenaient, tant en bas que sur les gradins et c'est à cette disposition spéciale que l'on doit les dénominations si connues de la Plaine ou Marais et de la Montagne. Au-dessus de la barre et derrière se trouvait une immense tribune qui pouvait contenir quinze à dix-huit cents personnes, mais qui en compta jusqu'à trois mille au moment de l'affaire Capet; c'est le nom que donna la Convention au procès du roi.

Parmi ces trois mille spectateurs, il en est un que nous avons connu, M. Fossé-Darcosse.

M. Fossé-Darcosse est décédé à Versailles le 4 mai 1864, âgé de quatre-vingt-quatre ans (1), il avait donc douze ans et demi au mois. de janvier 1793.

C'est de cet estimable vieillard et profond érudit, dont il est parlé dans l'un des ouvrages de MM. Edmond et Jules de Goncourt, que nous tenons le récit qui va suivre.

(1) Charlemagne-Ferdinand Fossé-Dar- | Légion d'honneur, né à Ecouen (Seinecosse, conseiller référendaire honoraire et-Oise), le 4 juin 1780. Registre de à la Cour des Comptes, chevalier de la l'état civil, année 1864, fo 73.

M. Fossé-Darcosse était à la fois un érudit et un homme d'une rare distinction; nous insistons tout spécialement sur ce point à cause de la fin de notre récit contenant deux expressions qui n'appartiennent pas au vocabulaire des gens du monde, mais qui, étant donné le moment précis où elles ont été prononcées et qui les a dites, montrent bien quel était l'esprit du peuple à cette époque si curieuse.

Quant à leur authenticité, nous n'avons pas à en douter: M. FosséDarcosse ne les eût jamais inventées, sa hautaine distinction lui aurait interdit un tel langage.

L'affaire Capet, pour employer l'expression du moment, nous disait M. Fossé-Darcosse, avait passionné tout Paris qui ne parlait que de ce gros événement. Les uns l'approuvaient fort, d'autres voyaient s'ouvrir ces débats avec chagrin, car il était facile d'en prévoir l'issue; mais personne ne restait indifférent.

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Tout jeune alors, je fus, ainsi que tout le monde, désireux de suivre les péripéties de ce procès retentissant et l'avouerai-je — je ne craignis pas de faire l'école buissonnière afin d'arriver à me faufiler à une place quelconque de la grande tribune publique.

Dès le 15 janvier, la foule se pressait aux abords de la salle du Manège; j'étais là des premiers et je parvins à me glisser dans cette tribune littéralement bondée. Je passe ici sur les incidents du procès, l'histoire les a enregistrés, tout le monde les connaît; il est donc inutile d'y revenir.

Mais, nous voici à la célèbre séance, celle que l'on a appelée la séance permanente, qui, commencée le 16 janvier, à huit heures du soir, ne se termina que trente-six heures après, c'est-à-dire le 18.

La Convention posait sa troisième question: Quelle peine sera infligée à Louis?

Marat avait obtenu que les votes fussent émis à la tribune et par l'appel nominal.

On sait que les députés, pendant vingt-quatre heures, défilèrent à la tribune, et pendant vingt-quatre heures, à de rares exceptions, on n'entendit retentir que ces seuls mots : la mort!

Quelques députés expliquaient leur vote, tels: Robespierre, Danton, Couthon, Barbaroux, Lasource, etc., etc.

C'est à ce propos qu'il n'est que juste de remettre à sa vraie place la célèbre apostrophe de l'abbé Sieyès: la mort sans phrase.

Jamais l'abbé Sieyès ne l'a prononcée et il s'en est toujours défendu. Au reste, le Moniteur du 20 janvier 1793 n'en fait pas mention et, à côté du nom de Sieyès, il n'est imprimé que la mort.

L'erreur accréditée provient précisément de ce fait que beaucoup de députés justifiaient leur vote par une phrase. Sieyès n'ayant rien dit autre chose que la mort, on écrivit entre parenthèse sans phrase, c'est-à-dire sans rien ajouter.

Mais revenons au récit de M. Fossé-Darcosse.

J'étais là à regarder défiler tous ces députés qui m'intéressaient fort, quoique je fusse bien jeune, lorsque, tout à coup, un profond silence s'établit. Les tricoteuses, difficiles à émouvoir, on connaît trop, hélas ! le rôle infâme de ces mégères aux séances de la Convention, les tricoteuses, dis-je, cessent de faire marcher leurs longues aiguilles à l'appel d'un nom. Ce nom, c'est celui du duc d'Orléans, cousin de Louis XVI.

Tant que je vivrai, disait M. Fossé-Darcosse, je verrai toujours cette scène devant mes yeux.

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Philippe-Egalité monta lentement les degrés de la tribune et dit : Uniquement occupé de mon devoir, convaincu que tous ceux qui ont « attenté ou attenteront par la suite à la souveraineté du peuple méritent « la mort, je vote pour la mort. »>

L'histoire nous dit que les paroles du duc d'Orléans furent accueillies par des murmures; c'est une erreur contre laquelle je proteste et protesterai toujours, car, avant tout, il faut dire la vérité.

Dès que Philippe-Egalité, au milieu d'un silence glacial, eut terminé sa phrase explicative, toute cette masse qui représentait réellement le peuple de Paris, ce peuple que les députés, par leurs paroles, leurs actions, leurs journaux poussaient de plus en plus dans la voie des représailles, ce peuple enfin qui demandait, qui voulait à cor et à cri la tête de Louis Capet, ne put néanmoins dissimuler le sentiment qui s'empara de lui; ce fut comme un immense courant magnétique, et des poitrines de ces trois mille spectateurs sortirent ces expressions que mes oreilles entendent encore, ces expressions, dirais-je, que j'ai vues, s'il m'était possible de me servir de cette métaphore :

Ah! le cochon! Ah! le salaud!...

Tels sont les mots véritables prononcés à cette mémorable séance par ce peuple de Paris qui voulait à tout prix la mort du roi, par ce

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