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sailles au temps de Marie-Antoinette (1) que, contrairement à mes habitudes, je n'appuie ce renseignement d'aucune référence. J'ai oublié en effet d'indiquer que je l'avais tiré du Cicerone de Versailles (2). Seulement, j'ai mal pris mes notes sans doute, car cet excellent petit livre ne m'autorisait pas à écrire la phrase précitée. Ce sont les hôtels privés de la comtesse de Marsan et de la princesse de Guémenée qui étaient le premier au n° 18, le second au no 23 de la rue du Grand-Montreuil, et non les résidences des enfants de France. Ceux-ci habitaient le château sous Louis XV comme sous Louis XVI. La comtesse de Marsan légua son hôtel au médecin Lemonnier, et le roi acheta l'hôtel de la princesse de Guéménée pour Madame Élisabeth.

Les Annales de l'Est auxquelles j'ai emprunté la lettre de l'architecte Fontaine, insérée plus haut, complètent l'énumération que j'ai donnée aux pages 179, 180, 229 et 330 des faveurs accordées à la famille de Polignac. M. Pingaud, dans un article intitulé: Le dernier seigneur de Fénétrange, expose que la favorite avait, pour assurer l'avenir des siens, souhaité d'obtenir la concession de quelque terre importante à titre d'engagement. On avait d'abord songé au comté de Bitche, dont les revenus atteignaient 100,000 livres. Le morceau ayant paru un peu trop gros, on se rabattit sur le domaine de Fénétrange qui rapportait plus de 80,000 livres. Il s'agissait de l'acquérir sans bourse délier. Pour cela, le duc de Polignac, par l'entremise de la reine, obtint, le 17 mars 1782, une ordonnance au porteur de 1,200,000 livres. Le 4 juin, il réintégrait au trésor la dite somme et par cette opération il devenait engagiste de la seigneurie de Fénétrange. Le prétexte de cette faveur avait été la cession d'un fief en Limousin dit «< du Puy-Paulin ». Mais en réalité, suivant M. Pingaud, M. de Polignac avait gardé celui-ci, et « il y trouva matière, quelque temps après, à une nouvelle et abusive réclamation. A ce fief était attaché un droit de huitain perçu sur la vente du poisson au marché de Bordeaux. Cette ville ayant racheté le droit en question, Calonne, contrôleur général, fit croire à Louis XVI qu'il opérait une transaction avantageuse en n'accordant au duc de Polignac que

(1) Page 30.

(2) Versailles, Jacob, floréal an XII (avril 1804), in-18, pages 159 et 160.

800,000 livres », alors que la finance intégrale du fief ne dépassait guère 100,000 livres.

Portrait de Madame Campan.

Parmi les portraits tirés des collections particulières pour figurer à l'exposition de Marie-Antoinette et son temps, j'en citerai un dernier qui mériterait d'être reproduit: c'est celui de Mme Campan, pastel daté de 1785 et signé Boze. « Elle est représentée de face, les cheveux poudrés; elle porte une robe blanche et un fichu de dentelle» blanche aussi. C'est une brune aux cheveux noirs, à l'œil brun et vif, bien portante. Comme elle est assise, on ne peut juger de sa taille qui ne devait pas être svelte. Elle a l'air ouvert, intelligent, aimable et bon. A la voir, on ne s'étonne pas qu'elle ait pu inspirer de la sympathie et de la confiance à Marie-Antoinette.

M. Flammermont a fait de ses mémoires une critique justifiée sans doute, mais il a eu la main vraiment un peu lourde. « Supercherie blâmable, esprit de vengeance, calomnie indigne », voilà de bien grands mots. La pauvre femme n'avait pas l'âme si noire; et quand elle aurait donné quelques coups de bec à l'agent autrichien Vermond et au suisse Buzenval que Mercy dépeint comme un intrigant dangereux, ces deux maîtres renards ne seraient pas bien à plaindre. M. Flammermont défend énergiquement Buzenval de s'être jeté aux genoux de la reine et accuse Mme Campan d'avoir inventé de toutes pièces l'anecdote. Mais les mémoires du XVIIIe siècle sont pleins de démonstrations du même genre, et les plus vertueuses dames n'y voyaient qu'un hommage un peu vif rendu à leurs charmes. Si elles ne se sentaient point touchées, elles enjoignaient au soupirant de se rasseoir. « Voulez-vous me faire la grâce de vous ôter de là, s'il vous plaît?» dit la marquise au comte du proverbe d'Alfred de Musset. Et quand le galant insistait, on faisait mine de quitter la place ou de sonner la femme de chambre? Faut-il rappeler J.-J. Rousseau se jetant à genoux devant la grand'mère de George Sand à qui il donnait des leçons de clavecin et s'entendant prier de chanter sa déclaration; et l'historien Gibbon tombé aux pieds de la

comtesse de Genlis et obligé d'implorer son secours pour se relever, parce qu'il était trop gros?

Une femme se rit de sottises pareilles,

Et jamais d'un mari n'en trouble les oreilles (1).

Parler à ce propos de la légèreté de la reine, de son honneur compromis, etc., c'est sortir du ton de la vieille société française. Quoi qu'il en soit des erreurs de Me Campan, et de la prudence avec laquelle il faut se servir de ses mémoires (ni plus ni moins d'ailleurs que des autres mémoires où il faut toujours tenir compte de la vanité de l'auteur, de ses passions, de ses intérêts, de son inexactitude, surtout s'il écrit longtemps après l'événement), ils demeurent une source précieuse de renseignements sur la cour de France à la fin du siècle dernier; et, si quelquefois on les trouve en défaut, le plus souvent ils sont d'accord avec les documents les plus sûrs.

Mais je conviens volontiers que sa chronologie est peu rigoureuse. Pour le Petit-Trianon, par exemple, on dirait, à la lire, qu'il a existé de toutes pièces, tel que nous le voyons aujourd'hui, du commencement du règne de Louis XVI à la fin. C'est sous cette impression que dans un à-propos charmant, composé à l'occasion de la représenta tion du 1er juin 1891 (2), M. Jules Claretie a pu écrire :

Au trône on préférait l'ormeau,

Sous lequel, en claire toilette,
La reine Marie-Antoinette,

Ayant pour sceptre une houlette,

Semblait la reine d'un hameau,

Pour coiffure un chapeau de paille,
Pour falbalas un tablier;

On fuyait l'ennui de Versaille,

Et dans ce décor familier

Que chérissait la cour entière (?)
La souveraine était laitière,
Caraman était jardinier.

Marie-Antoinette n'a pu en 1774, quand le comte de Caraman fournissait en passant et sans plus reparaître sur la scène, la première idée du jardin anglais, être reine d'un hameau dont elle n'a pris pos

((1) Molière, Le Tartuffe, acte III,

scène iv.

(2) Il n'a pu être récité sur la scène.

L'auteur l'a publié en brochure (Versailles, Cerf, in-8°) et M. Terrade l'a reproduit dans le Théâtre de la Reine.

session qu'en 1786. J'ai exposé dans mon livre sur le Petit-Trianon l'histoire du développement de cette résidence; qu'on me permette de la rappeler brièvement. Il y a eu d'abord un premier jardin, dit jardin anglais, ne s'étendant pas beaucoup au delà du cours de la rivière qui descend du lac où se mire le belvédère vers le temple de l'Amour. C'est dans ce jardin réduit qu'ont eu lieu les grandes fêtes dont on a tant parlé au xvIII° siècle, notamment celles qui ont été données en l'honneur du comte du Nord (le tzaréwitch) et du comte de Haga (Gustave III).

C'est seulement en 1783 que Marie-Antoinette a pensé à un second jardin plus champêtre, accompagné d'un hameau qui se liait en perspective par dessus le fossé avec l'arc de triomphe, appelé porte SaintAntoine, et le petit village réel de Saint-Antoine-du-Buisson, dominé par une vraie chapelle. Les travaux de terrassement, de plantation et de construction durèrent trois années. Le lac du hameau ne fut entièrement creusé qu'à la fin de 1784 et l'eau n'y fut amenée qu'en 1785. Pendant cette dernière année, on acheva la toilette des maisons et on leur donna des habitants. La laiterie ne reçut son ornementation qu'en 1786. Marie-Antoinette convia pour la première fois le roi à dîner dans son nouveau domaine seulement le 21 septembre 1786. Elle n'en a donc joui que trois ans.

Hier laitière, à présent actrice,

La reine a changé de caprice,

continue M. Claretie. Il faudrait intervertir les épithètes, car elle avait cessé depuis un an de jouer la comédie, quand elle eut une laiterie à sa disposition. Mais je m'arrête : il y aurait quelque mauvais goût à ouvrir une discussion en règle contre les fantaisies ailées d'un poète; ce serait poursuivre des papillons avec une massue. Je répèterai pourtant que jamais Marie-Antoinette ne joua à la bergère, à la fermière, à la meunière, à la laitière, en ajoutant que Mme Campan est du moins innocente de ces fables dont on ne trouve trace dans aucun écrit antérieur à la Révolution.

G. DESJARDINS.

I

NECROLOGIE

La Société a eu le regret de perdre M. de Sémallé, l'un de ses membres titulaires, décédé à Versailles, le 29 octobre 1894, à l'âge de 72 ans.

Signalons aussi la mort de M. le chanoine Ducis, ancien archiviste de la Haute-Savoie, décédé, à l'âge de 76 ans, dans la ville d'Annecy. Il était l'un des derniers petits-cousins du poète, et il a publié (La rue Ducis, Chambéry, 1890, in-8°) une brochure contenant de nombreux renseignements sur la famille Ducis, dont la descendance est aujourd'hui éteinte.

II

BIBLIOGRAPHIE

Recueil des iNSTRUCTIONS DONNÉES AUX AMBASSADEURS ET MINISTRES DE FRANCE DEPUIS LES TRAITÉS DE WESTPHALIE JUSQU'A LA RÉVOLUTION FRANÇAISE; publié sous les auspices de la Commission des archives diplomatiques au ministère des affaires étrangères.

Onzième volume: ESPAGNE. Avec une introduction et des notes par A. Morel-Fatio. Avec la collaboration de M. H. Léonardon. T. Ier (1649-1700). Paris, Alcan, 1894, in-8°.

Ce volume est sans contredit l'un des plus intéressants de la collection. On y trouve les instructions données aux ambassadeurs et envoyées de France en Espagne depuis le traité des Pyrénées jusqu'à la mort de Charles II, ou, plus exactement, jusqu'au 2 octobre 1700, date du testament de ce prince.

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