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FRÉDÉRIC NEPVEU (1)

ARCHITECTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE

ANECDOTES ET SOUVENIRS

A mon ami Achille TAPHANEL, Bibliothécaire de la ville de Versailles.

Le 1er novembre 1862, dans la Revue des Beaux-Arts, M. Henri Lambert terminait ainsi un article nécrologique sur M. Nepveu.

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Pourquoi la ville de Versailles ne paierait-elle pas à la mémoire <«< de l'habile architecte qu'elle vient de perdre un juste tribut de << reconnaissance en donnant son nom à l'une des avenues qu'il a plantées, et qui, aujourd'hui encore, ne sont désignées sous aucun <<< nom »>?

La postérité a fait mieux, elle a dépassé les espérances du chroniqueur et n'a pas hésité à donner le nom de Nepveu aux quatre rangées d'arbres qui forment sur les côtés de la place d'Armes les prolongements des avenues de Saint-Cloud et de Sceaux.

Mais depuis cette époque déjà lointaine où justice était rendue à l'ancien architecte du palais de Versailles, au collaborateur dévoué de Louis-Philippe, les souvenirs se sont succédé, les jeunes générations ont pris la place des anciennes, et de M. Nepveu il reste seulement deux plaques indicatrices qui ne parlent guère à l'esprit des promeneurs.

Aussi, pensons-nous qu'il n'est pas sans intérêt de retracer ici la carrière artistique de M. Nepveu.

(1) Reproduction interdite en dehors des traités avec la Société des Gens de Lettres.

Le 14 juillet 1777 naissait à Paris Charles-Frédéric Nepveu, fils d'un architecte qui mourut en 1789. Nepveu fut élevé par son frère -architecte également. Ce dernier, après lui avoir fait faire ses études au collège d'Harcourt, l'initia aux premiers éléments de son art. Il alla ensuite travailler l'architecture chez Percier et Fontaine. En 1807, après un séjour en Italie, il fut nommé d'abord inspecteur des bâtiments à Fontainebleau, ensuite au château de Versailles, puis retourna à Fontainebleau.

En 1818, il revint à Versailles comme contrôleur, sous la direction de M. Dufour et, en 1821, il fut nommé inspecteur du Roi pour le château de Rambouillet, sur la proposition de M. Lauriston, ministre de la maison du Roi.

En 1830, le château de Rambouillet se trouvant distrait du domaine de la couronne, Nepveu perdit sa situation; mais, en 1831, Casimir Périer et Hersent, ses camarades d'enfance, le proposèrent au roi Louis-Philippe pour le château de Versailles.

Quand on lui parla de Frédéric Nepveu: « Je le connais déjà, dit le Roi, c'est un bien aimable causeur ». Et Nepveu fut nommé dn coup architecte des châteaux de Versailles et de Compiègne.

Aimable causeur! n'est-ce pas un peu à ces deux mots que Frédéric Nepveu dut sa fortune? car enfin, si le Roi ne l'avait pas apprécié sous cette forme, aurait-il seulement fait attention à la proposition de Casimir Périer et Hersent? Mais voilà, Nepveu savait causer et il appartenait à une époque où les véritables causeurs étaient encore appréciés.

Se souvint-il aussi du fin causeur, le roi Louis-Philippe, en 1833 ou 1834? le jour où il dit à M. Fontaine : Il me semble que je n'ai pas vu le cordon rouge sur l'habit de M. Nepveu? Il l'a pourtant déjà bien mérité, à mon avis; eh bien, allez lui dire de ma part que je le nomme, moi-même, de ma propre volonté, chevalier de la Légion d'honneur.

Et ce fut le Roi, lui-même, qui attacha la croix sur l'habit de Nepveu, à une représentation théâtrale, dans la salle de l'Aile Gabriel.

Par l'anecdote qui précède, on voit que Nepveu n'avait rien sollicité; réclamer une faveur, ce n'était pas le côté faible de ce caractère indépendant, de cet homme fortement trempé qui n'a jamais sollicité d'autre faveur que celle du travail.

L'enveloppe de Frédéric Nepveu était loin de répondre au moral; sa taille rappelait celle de Thiers, de plus, il était rond comme une boule, le tronc surmonté d'une tête énorme; en un mot l'extérieur était rien moins qu'agréable. Mais comme on revenait vite sur ces défauts physiques dès qu'on avait vu s'agiter les lèvres de cette bouche maligne et pétiller ses yeux ardents! Afin de compléter ce portrait qui n'est ni flatteur ni flatté, mais cependant bien exact, nous dirons que Nepveu parlait horriblement du nez et nous insistons tout particulièrement sur ce défaut — car cette disgrâce de la nature est appelée à jouer son rôle au cours de ces souvenirs intimes. Cependant, malgré toutes ces irrégularités physiques, l'architecte du Palais cachait en lui des qualités de premier ordre, de probité, d'honneur, de dévouement et si, comme artiste, il était de force moyenne, comme homme d'esprit il était au premier rang.

Et maintenant que nous venons d'essayer de peindre Nepveu esquissons aussi l'aspect du château de Versailles à l'époque de son arrivée.

Sous la Révolution, le palais, dépouillé de ses richesses, resta pendant quinze ans dans l'abandon le plus complet; après avoir servi tour à tour d'hôpital et de caserne, peu s'en fallut que les groupes des Keller, qui sont maintenant l'un des plus beaux ornements du parc, ne fussent convertis en monnaie de billon, comme on fit fondre les chevaux en plomb du canal et les groupes du bassin du Dragon. Sous le règne de Napoléon, Gondouin fit mettre à l'étude la restauration du château de Versailles, mais quand l'Empereur vit qu'il fallait dépenser cinquante millions pour remettre les choses en état, il se contenta de faire la réponse suivante à son architecte :

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Pourquoi la Révolution, qui a tant détruit, n'a-t-elle pas démoli «<le château de Versailles? Je n'aurais pas aujourd'hui un tort de <«<Louis XIV sur les bras et un vieux château mal fait, comme ils «<l'ont dit, un favori sans mérite à rendre supportable.

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Après une telle réponse, on comprend assez facilement que le projet n'eut pas de suite; on était du reste en 1811 et l'Empereur allait avoir bientôt des préoccupations autrement graves.

La Restauration, malgré son nom, ne restaura rien du tout. Seul Louis-Philippe et Versailles, pour ce fait, lui doit une profonde reconnaissance - pensa qu'il était peut-être utile de ne pas

agir comme ses prédécesseurs; aussi voulut-il conserver en partie les merveilles des temps passés.

Nepveu encouragea de toutes ses forces le Roi à poursuivre son projet de transformation du palais de Versailles en musée. Certes, il y aurait beaucoup à dire sur cette transformation; il est bien évident qu'on aurait pu mieux faire; mais, à cette époque, l'école de David avait encore de nombreux adeptes, et on sait avec quel mépris ces barbares traitaient les œuvres du XVIe et surtout du XVIIIe siècle. Peut-être aurait-il fallu, comme architecte en chef, un homme plus artiste que Nepveu; certains actes de vandalisme ne se seraient pas produits. Il y avait, en effet, dans le château une énorme quantité de boiseries absolument remarquables, tant par le dessin que par la finesse de l'exécution et la beauté de la dorure, presque toutes disparurent.

Longtemps Nepveu fut accusé de les avoir fait enlever sous prétexte que ces fines sculptures sur bois n'avaient aucune valeur, mais cette assertion est fausse; la vérité, que nous avons connue d'un collaborateur de M. Nepveu, M. Favier (1), est que, loin de vouloir faire enlever les boiseries, Nepveu pesait de toutes les forces de son raisonnement pour les conserver; mais il avait à lutter contre Fontaine, son ancien maître, qui, sans se déranger, décrétait de son cabinet, qu'il fallait enlever ces morceaux de bois; malheureusement, le Roi approuvait et Nepveu était tenu de faire exécuter les ordres de l'architecte de Sa Majesté.

Néanmoins, nous pouvons reprocher à Nepveu un manque de goût et d'énergie; un véritable artiste eût perdu sa place plutôt que de commettre un tel sacrilège, et actuellement nous posséderions à Versailles des merveilles de sculpture dont on a fait du bois à brûler.

Ceci dit, nous n'insisterons pas davantage sur la physionomie du château de Versailles à l'époque où Nepveu en devint l'architecte ; nous n'entreprendrons pas de raconter par le menu ce qui a été fait puisque l'œuvre est encore là et nous ne nous occuperons plus de Frédéric Nepveu que pour citer les anecdotes de toute sorte dont il fut le héros.

Dans le portrait physique de Nepveu, tracé précédemment, nous

(1) Décédé à Versailles au mois de février 1892.

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