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Majesté au retour du salut, le jour de Pâques, 15 avril dernier, et qu'elle y est restée jusqu'à 7 heures du soir;

«< 2o Que, lorsque la demanderesse a passé et repassé dans la gallerie et dans le salon de la Guerre qui conduisent à la chappelle, il n'étoit que cinq heures et un quart, et qu'elle a passé et repassé sans cracher au visage de la demoiselle Picot, ni sur elle, ni sur qui que ce soit;

« 3° Et qu'au moment où elle passoit, une des demoiselles qui travaille chez elle et qui l'accompagnoit ainsy qu'une dame de Lyon les fit appercevoir la demoiselle Picot, près de l'un des suisses du château, qui étoit là pour contenir la foulle et tenir le passage libre, et, à demie-effacée par ce suisse, la demanderesse étoit à plus de six pas de distance de la demoiselle Picot, de manière que, quand bien même la demanderesse auroit un tuyau à la bouche, elle n'auroit jamais pu lancer sa salive à une aussi grande distance, et encore moins l'adresser au visage de laditte demoiselle Picot, et que, si elle eût craché naturellement et si le crachat eût pu parvenir jusqu'à l'endroit où étoit la demoiselle Picot, le suisse et les autres personnes qui étoient près d'elle auroient senty des éclaboussures, s'en seroient plaint, et auroient fait arrêter sur-lechamp la demanderesse;

<< 4° Que la demoiselle Picot présentoit à ceux qui passoient et qui alloient à la chappelle l'épaule droite, et non pas l'épaule gauche comme il paroit qu'elle l'a fait dire à ses témoins;

<< 5° Qu'il y avoit plus de soixante personnes dans le salon de la Guerre, lorsque la demanderesse y a passé et repassé le 15 avril 1781, jour de Pâque, à cinq heures environ un quart de l'après midy, en sorte que si la demanderesse avoit réellement craché au visage de la demoiselle Picot, et si le crachat supposé avoit excité une commotion aussi forte que la demoiselle Picot a imaginé de la peindre dans sa plainte, si elle se fût trouvée mal, si elle eût été portée à demie morte dans l'embrasure de l'une des croisées du sallon, si les flaccons avoient été tirés pour la rappeler à la vie et la faire revenir de son évanouissement, elle auroit trouvé plus de soixante témoins en état de déposer d'un fait aussi scandaleux et aussi éclatant, qui auroit attiré l'attention de tous les spectateurs, mais dont elle ne s'est avisée d'accuser la demanderesse que trois jours après, et elle n'auroit pas été réduitte aux quatre ou cinq personnages qu'elle a jugés à propos de choisir dans sa so

ciété et qu'elle a trouvé le moyen, pendant ces trois jours, de faire entrer dans son petit complot;

« Permettre à la demanderesse de faire preuve des faits contraires à ceux avancés dans la plainte de la demoiselle Picot et de ceux cy-dessus articulés par-devant tel de MM. que le Conseil jugera à propos de commettre à cet effet, pour, l'enquête de la demanderesse faite, rapportée et communiquée à M. le procureur général, être par lui requis et par la demanderesse pris telles conclusions qu'il appartiendra, et dans tous les cas condamner laditte demoiselle Picot en tous les dépens, tant des causes principalles que d'appel, d'une part, et ladite demoiselle Picot, deffenderesse, d'autre part;

<< Et entre laditte demoiselle Picot, demanderesse en requête du 17 décembre 1781, tendante à ce qu'il plaise au Conseil, sans s'arrêter ni avoir égard aux prétendus moyens de nullité, faits allégués et articulés, conclusions et demandes de la demoiselle Bertin, l'y déclarer purement et simplement non-recevable, ou en tout cas l'en déboutter, faisant droit sur l'appel principal interjetté par laditte Bertin de la sentence de la Prévôté de l'Hôtel du 1er septembre dernier, que sur les appels incidents par elle interjettés, par requête du 11 de ce mois, de la plainte, permission d'informer, information et sentences de la Prévôté de l'Hôtel des 18 et 23 avril, 7 et 28 juillet et 18 aoust aussi dernier, et de toute la procédure faite en laditte Prévôté, la déclarer purement et simplement non-recevable dans les susdits appels, et la condamner en l'amende de 75 livres, ou en tout cas mettre l'appellation au néant, ordonner que ce dont est appel sortira son plein et entier effet, condamner laditte demoiselle Bertin aux amendes des susdits appels, aux dommages intérêts de la demanderesse et en tous les dépens, d'une part, et la ditte demoiselle Bertin, deffenderesse, d'autre part, sans que les qualités puissent nuire ni préjudicier aux parties;

« Après que Desnos, avocat de la demoiselle Bertin, assisté de Carteron, son procureur, a conclud en ses appels et demandes et été ouy; que Mitte, avocat de la demoiselle Picot, assisté de Maillon, son procureur, a conclu en ses requêtes et demandes, et a aussi été ouy; et que De Vaucresson, pour le procureur général du Roy, a pareillement été ouy; et que la cause a été plaidée pendant deux audiances;

« Le Conseil reçoit la partie de Desnos [Mlle Bertin] appellante des différentes sentences dont est question, tient ses appels pour bien relevés,

ayant aucunement égard auxdits appels, et faisant droit sur les conclusions du procureur général du Roy, déclare nulle la sentence rendue en la Prévôté de l'Hôtel le 12 may 1781, ainsy que tout ce qui s'en est ensuivi, sauf aux parties, si bon leur semble, à suivre les errements de la procédure antérieure à ladite sentence devant le lieutenant général en la Prévôté de l'Hôtel, autre néantmoins que celuy devant lequel a été faite l'instruction sur la plainte de la partie de Mitte [M Picot] pour y procéder jusqu'à sentence définitive inclusivement, sauf l'appel au Conseil, s'il y a lieu; condamne la partie de Mitte aux dépens faits sur la cause d'appel.

<< Fait à Paris, au Conseil, le 19 décembre 1781 (1). »

De nouveau donc on plaida et l'on instrumenta pendant plus de six mois, pour le plus grand divertissement des magistrats, des gens de loi et du public. Nouvelle sentence de la Prévôté de l'Hôtel en février 1782; appel de la cause au mois d'avril; enquête complémentaire et audition d'autres témoins; en fin de compte, et il ne pouvait en être autrement, condamnation de Mile Rose Bertin par sentence du 13 juillet.

Cette petite scène de mœurs, qui donna naissance à un procès des plus gais, valait-elle la peine d'être racontée ici ? Nous avons été porté à le croire n'est-elle pas une anecdote dans l'histoire du château de Versailles où s'accomplirent les plus graves événements, et où bien souvent aussi éclatèrent les rivalités les plus mesquines?

E. COÜARD.

(1) Archives nationales, V5 894.

UN AIDE-SCULPTEUR DE HOUDON

ET DE FRANÇOIS MASSON

Il n'est pas sans intérêt parfois de retrouver quelques notes, mème incomplètes, sans commencement ni fin, émanées d'un artisan dont l'humble labeur est resté inconnu, qui a travaillé obscurément, pour vivre, aux côtés de quelque grand artiste. De celui dont nous voulons parler, parce qu'il fut le collaborateur, bien modeste, de Houdon, nous ignorons presque tout. A certaines particularités de son orthographe, on devine qu'il était originaire de nos provinces du Rhin ou des Vosges, ayant parlé dans son enfance quelque patois allemand. Il ne nous reste de lui qu'un cahier, que le hasard d'une vente a permis à la Bibliothèque de Versailles d'acquérir il y a quelques années. Plus réservé que le moindre de nos écoliers, l'aide-sculpteur de Houdon n'a pas même inscrit son nom sur le feuillet de garde.

En tête du manuscrit on trouve la copie d'une douzaine de chansons allemandes, paroles et musique, souvenir, sans doute, du pays d'Alsace ou de Lorraine.

Mais ces Lieder n'ont pas été écrits de la main de l'aide-sculpteur et nous ne pouvons pas non plus, à cause des quelques indications manuscrites qui les accompagnent, lui attribuer un certain nombre de dessins au trait qui figurent à la fin de ce petit volume. Ces croquis, très fermement tracés à l'encre par la personne même qui a copié les chansons, représentent des statues antiques, le Lacoon, la Vénus de Médicis, le Gladiateur mourant, l'Apollon du Belvédère, etc. Ils sont couverts de cotes, donnant les mesures en pieds, pouces et minutes, évidemment destinées à guider un sculpteur, ou plus exactement un praticien pour la reproduction de ces œuvres.

C'était cette profession à demi artistique de praticien qu'exerçait celui que nous avons présenté comme un collaborateur de Houdon ; il devait dégrossir les blocs de marbre, tirer les moulages des statuettes du maître, et, au besoin, leur enlever d'un ciseau discret les bavures du plâtre. De quelque compatriote sans doute il tenait ce cahier, et comme il n'était pas riche, qu'il y avait encore beaucoup de pages blanches, il s'en servit à la fois comme d'album à dessin et de cahier de notes. Sur les premiers feuillets il a jeté quelques esquisses hâtives, un dessin à demi achevé, et il nous a par hasard indiqué au fol. 6 quelques-uns des outils de son métier: « Outil en acier. - Ciseau tant grand que petit compris le oignete, [hoquette?] 138. dine, 13.

Pointe, 20. Trépans, 60 ».

Gra

Un peu plus loin commencent les notes, très brèves, généralement au crayon, d'une écriture maladroite et d'une orthographe un peu fantaisiste. Quelques-unes sont mises en regard de la date, dans une sorte de calendrier allant du 26 novembre 1792 à la fin de novembre 1793. Au commencement de 1793 notre homme a été malade et il a dû demander un à-compte à Mme Houdon. Le 21 janvier il note <«< mort du roy » et le 31 mai « soné le tocsin ». A trois reprises il a payé à dîner à un ami, et cela lui a coûté une fois 5 livres 19 sols; une autre fois il y a joint une bouteille de vin de 20 sols. Nous trouvons plusieurs mentions d'une dame Crétien qui probablement lui donnait, moyennant finances, le vivre et le couvert. Il la paye assez régulièrement, ce qui lui donne du crédit et lui permet de lui emprunter successivement deux petites sommes.

Les notes les plus nombreuses et les plus curieuses sont celles qui ont trait à ses rapports avec Houdon. Nous les transcrivons telles quelles :

« Reçu de madam Houdon 300 livr. en a comte sur la figure de la << Saint Eustoqui, le 27 javier 1793. Jé fait un reçu à madame Houdon << de 350 livr. le 27 javier 1793 ».

A une autre page il marque: «La figur de la Saint Eustoqui « commencé le 26 novembre 1792 ». C'est de cette date que part son calendrier, et tantôt il note en face du jour un 1 ou un 0, ce qui indique sans doute les journées de travail et de chômage. Le jour où il a mis << soné le tocsin » il y a en regard un 0. Le 8 juin il écrit, parlant toujours, à ce qu'il semble, de la même œuvre : « repris la figure ».

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