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LES MAITRESSES DE LOUIS XV

Sous Louis XV, la vie de la femme de qualité se modifie profondément. La cour, qui est tout le monde de la femme noble, se dégrade, se désorganise peu à peu.

Et d'abord c'est l'ombre du Grand Roi, du Roi, comme on le nommait dans toutes les cours de l'Europe; c'est l'ombre du Roi qui épouvante son descendant. On dirait qu'il se sent incapable de remplir le rôle laissé vacant par l'illustre acteur qui vient de quitter la scène de Versailles.

Au lieu d'occuper les appartements de son aïeul, Louis XV se loge dans l'aile gauche du château, divisée en petits appartements. Il s'absente de plus en plus fré quemment de ce palais, de même qu'il se dérobe de plus en plus à ses devoirs de souverain, et quand, le 5 jan vier 1757, il a été frappé par le couteau de Damiens dans la cour de Marbre, au moment où il va monter en voiture, il abandonne définitivement Versailles pour Trianon.

Depuis de longues années déjà, le sceptre était tombé en quenouille. Après les demoiselles de Nesle, la marquise de Pompadour avait pris empire sur le roi et mis le séquestre sur le royaume.

«La leçon de ce long et éclatant scandale (fourni par << le règne de Louis XV), sera l'avertissement que la << Providence s'est plu à donner à l'avenir par la ren<«< contre, en un même règne, de trois règnes de femmes, « et la domina ion successive de la femme des trois

« ordres du temps de la femme de la noblesse, ma«dame de la Tournelle; de la femme de la bourgeoisie, << madame de Pompadour; de la femme du peuple, ma<< dame Du Barry.

<< Le livre qui racontera l'histoire de ces femmes mona trera comment la maîtresse, sortie du haut, du milieu « ou du bas de la société, comment la femme avec son « sexe et sa nature, ses vanités, ses illusions, ses en« gouements, ses faiblesses, ses petitesses, ses fragi«lités, ses tyrannies et ses caprices, a tué la royauté en compromettant la volonté ou en avilissant la personne « du Roi.

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<<< Il convaincra encore les favorites du dix-huitième « siècle d'une autre œuvre de destruction: il leur rap<< portera l'abaissement et la fin de la noblesse française. Il rappellera comment, par les exigences de «<leur toute-puissance, par les lâchetés et les agenouille<<ments qu'elles obtinrent autour d'elles d'une petite par<< tie de cette noblesse, ces trois femmes anéantirent dans <«< la monarchie des Bourbons ce que Montesquieu appelle si justement le ressort des monarchies : l'hon<<<neur; comment elles ruinèrent cette base d'un Etat

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qui est le gage du lendemain d'une société : l'aristo«cratie; comment elles firent que la noblesse de France, « celle qui les approchait, aussi bien que celle qui mou<< rait sur les champs de bataille et celle qui donnait à << la province l'exemple des vertus domestiques, enveloppée tout entière dans les calomnies, les accusations <«<et le mépris de l'opinion publique, arriva, comme la << royauté, désarmée et découronnée, à la Révolution « de 1789. »>

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Une chanson du temps contre la Pompadour, chanson que la favorite attribuait à son ennemi Maurepas, peint

le ravage exercé dans la cour par la maîtresse du

roi :

Les grands seigneurs s'avilissent,
Les financiers s'enrichissent,
Et les poissons s'agrandissent;
C'est le règne des vauriens.
On épuise la finance

En bâtiments, en dépenses.
L'Etat tombe en décadence,

Le roi ne met ordre à rien, rien, rien.

Une petite bourgeoise

Elevée à la grivoise,

Mesurant tout à sa toise,

Fait de la Cour un taudis.

Le roi, malgré son scrupule,
Pour elle fortement brûle.

Cette flamme ridicule

Excite dans tout Paris, ris, ris, ris.

Cette catin subalterne

Insolemment le gouverne,

Et c'est elle qui décerne

Les honneurs à prix d'argent,
Devant l'idole tout plie,

Le courtisan s'humilie

Il subit cette infamie

Et n'est que plus indulgent, gent, gent, gent.

La contenance éventée,

La peau jaune et maltraitée,

Et chaque dent tachetée,

Les yeux froids et le cou long,

Sans esprit, sans caractère,

L'âme vile et mercenaire,

Le propos d'une commère,

Tout est bas chez la Poisson, son, son.

La Pompadour eut fort à faire pour s'établir et se maintenir à la cour. Il lui fallut plaire aux uns, les sé

duire, s'en faire des amis, des alliés, conquérir l'appui des grands, s'entourer de créatures, les faire participer à sa faveur naissante, leur montrer en elle seule l'avenir de leur fortune. Toutes les ruses, tous les talents de la femme, il lui fallut mettre en œuvre sourire, amabilité, services rendus. Elle obtint les confidences des femmes, la sympathie des hommes.

Cette fille d'Etat, issue d'une race de tripoteurs d'or, amie de Voltaire, possédant comme lui le génie malfaisant de la désorganisation, sut faire descendre aux plus. basses complaisances les plus grandes familles de France; elle attaquait les consciences et récompensait les capitulations de l'honneur. Autour d'elle se pressait cour de nobles avilis, espérant, quémandant des grâces et de l'argent.

«Elle faisait régner dans son appartement de Ver<< sailles la grande étiquette dont elle était allée chercher << les traditions dans les manuscrits des mémorialistes de << la cour de Louis XIV; un seul fauteuil commandait à << tous de s'y tenir debout devant la favorite assise ; et il << ne se trouva dans ce Versailles humilié, pour s'asseoir << sur le bras de ce fauteuil, qu'un homme, ce courtisan <<< libre et brave, de tant de cœur et de tant d'esprit, << osant tout, et disant tout le marquis de Souvré. »

Mais ce marquis de Souvré fut le seul qui osât montrer de l'indépendance, car «< c'était un gentilhomme d'une << des plus anciennes familles de la Guyenne, ramassé << dans la misère, qui portait le mantelet de Mme de Pom« padour sur son bras, suivait sa chaise à pied, auprès <«< de la portière, et attendait sa sortie dans l'anti<< chambre. >>

La fille de la favorite, Alexandrine d'Etioles, grandissait au couvent de l'Assomption où elle se voyait en

tourée des plus grandes héritières du royaume, espérant de sa protection un avenir brillant.

La fille de la maîtres-e était élevée comme une princesse; on l'appelait de son nom de baptême tout court, comme on le faisait pour Mesdames, filles de France.

Cependant, à Versailles, les femmes de la plus haute noblesse jouaient la comédie dans la troupe de Mme de Pompadour. Elle avait décidé Louis XV à faire élever un théâtre dans les petits appartements. La scène avait été installée dans le cabinet des Médailles, et le souverain, oubliant ses devoirs de Roi, devenait un chef d'histrions!

C'est dans ce théâtre des petits appartements que, pour la première fois en France, l'étiquette fut délaissée au théâtre, en présence du Roi. Les applaudissements permis purent tout à leur aise saluer la pièce de Voltaire, intitulée l'Enfant prodigue.

D'ailleurs, pourquoi se serait-on gêné, puisque Louis XV, lui-même, perdant le respect qu'il devait à ses filles, les surnommait Coche, Loque, Graille et Chiffe!

La Pompadour fut, au moral, un rare exemple de laideur. Sans cœur, toujours en possession d'elle-même, n'obéissant jamais à un premier mouvement, calculant tous ses actes, elle poussa jusqu'à la perfection le mensonge et la comédie de toutes ses facultés, du sentiment comme de la passion, comme aussi du corps, cette courtisane était peut-être la femme la moins née pour être une maîtresse.

Ce ministre en jupons avait l'esprit d'un politique. Tout en elle était égoïsme, plan, projet, conduite. Elle n'est même pas jalouse, au contraire!...

Et pourtant, au milieu de ce fumier moral s'élevaient de belles fleurs. Cette femme tout en tête aimait les arts

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