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multiplient la splendeur, la lumière rejaillit à flots sur les dorures, sur les diamants, sur les têtes spirituelles et gaies, sur les fins corsages, sur les énormes robes enguirlandées et chatoyantes.

Les paniers des dames rangées en cercle ou étagées sur les banquettes << forment un riche espalier couvert « de perles, d'or, d'argent, de pierreries, de paillons, « de fleurs, de fruits avec leurs fleurs, groseilles, ce«<rises, fraises artificielles, c'est un gigantesque bouquet << vivant dont l'œil a peine à soutenir tout l'éclat. »>

Point d'habits noirs comme aujourd'hui pour faire disparate. Coiffés et poudrés, avec des boucles et des nœuds en cravates et manchettes de dentelles, en habits et vestes de soie feuille morte, rose tendre, bleu céleste, agrémentés de broderies et galonnés d'or, les hommes sont aussi parés que les femmes.

Hommes et femmes, on les a choisis un à un; ce sont tous des gens du monde accomplis, ornés de toutes les grâces que peuvent donner la race, l'éducation, la fortune, le loisir et l'usage; dans leur genre, ils sont parfaits.

Il n'y a pas de toilette ici, pas un air de tête, pas un son de voix, pas une tournure de phrase qui ne soit le chef-d'œuvre de la culture mondaine; la quintessence distillée de tout ce que l'art social peut élaborer d'exquis.

Si polie que soit la société de Paris, elle n'en approche pas; comparée à la cour, elle semble provinciale.

Il faut cent mille roses, dit-on, pour faire une once de cette essence unique qui sert aux rois de Perse; tel est ce salon de Versailles, mince flacon d'or et de cristal : il contient la substance d'une végétation humaine. Pour le remplir il a fallu d'abord qu'une grande aristocratie

transplantée en serre chaude et désormais stérile de fruits ne portât plus que des fleurs, ensuite que, dans l'alambic royal, toute sa sève épurée se concentrât en quelques gouttes d'arome. Le prix est excessif, mais c'est à ce prix qu'on fabrique les très délicats parfums.

Pénétrons maintenant dans les salons du roi et passons en revue les hommes et les femmes.

Chez tous les courtisans nous remarquons une aptitude à copier le maître, un désir de rendre ses gestes, ses expressions, jusqu'à des airs de grandeur, et une étude constante pour arriver à ce résultat. Ils finissent par ressembler tous à Lonis XIV par quelque point.

Quant aux femmes, leur genre de beauté est bien différent de celui qui nous charme aujourd'hui, ces femmes revivent dans les tableaux, les dessins, les camées qui nous restent du temps.

Le fond est fier mais étroit et court. Le sourcil est dur, épais, large; l'œil rond, grand ouvert presque fixe. Le regard que les cils n'adoucissent pas est impérieux, dominateur. Le nez est aquilin, la bouche forte et charnue; l'ovale du visage est peu allongé; les traits grands.

La santé est vigoureuse, les membres bien attachés, le corps dur à la fatigue, la chair ferme et abondante.

La force, la volonté, la hardiesse se révèlent dans leurs poses et dans leurs gestes. Ce sont des lionnes au repos. Elles ont l'habitude de la domination et elles descendent d'une race de guerriers et de chasseurs.

Circulant au milieu de ces femmes, voyez des écrivains de génie, comme Racine, comme Labruyère; le roi de l'éloquence, Bossuet; le critique, Boileau; le dieu de l'or, Colbert; et les dieux de la guerre, Louvois, Vau

ban, Turenne et Condé; et tant d'autres... Alors vous vous rendez compte de la justesse des paroles que Molière place dans la bouche de Dorante, personnage de la comédie intitulée : « La critique de l'Ecole des femmes. »

« Sachez... sans mettre en ligne de compte tous les gens savants qui y sont (à la cour), que du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s'y fait une manière d'esprit, qui sans comparaison juge plus fnement les choses que tout le savoir enrouillé des pédants. »

Au milieu de ces hommes et de ces femmes raffinés la pédanterie était relativement rare et en butte à tous. les quolibets. L'étiquette et la politesse envers les femmes y mettaient obstacle. Se résigner à mille petits sacrifices d'amour-propre et d'égoïsme, pour assurer a la société le plus d'agréments possible, telle était au fond la règle de l'étiquette.

On entrait sans bruit dans un salon, on faisait une révérence sur le seuil, et l'on s'allait mettre à la dernière place.

Quand on sortait, on le faisait sans déranger personne, on s'esquivait. Quand la reine jouait tout le monde pouvait s'asseoir à sa table, il suffisait pour cela d'arriver avant le jeu commencé. Les dames étaient toutes assises sur des tabourets; les fauteuils rangés le long du mur ne servaient que pour la parade, ou n'étaient utilisés que dans les grandes occasions.

Tous les hommes restaient toujours debout en présence des dames, à moins qu'ils ne jouassent.

Dans un salon, les princes du sang eux-mêmes ne passaient jamais devant les dames, mais ils passaient après elles.

On marquait beaucoup de respect pour les vieilles femmes, surtout pour celles qui avaient une réputation d'esprit. Lorsqu'une femme âgée, ou seulement d'un âge mur, embrassait une personne jeune, celle-ci, au lieu de tendre la joue, tendait le front, c'est ainsi d'ailleurs qu'on était embrassée par les princesses, et ensuite on leur baisait la main.

La conversation et le jeu ne formaient pas tous les plaisirs des soirées de Versailles: On y dansait et même beaucoup. Louis XIV était un danseur infatigable et conduisait fréquemment lui-même les ballets.

« Au bal, dit Mme de Genlis, la reine et les princesses «<< nommaient leurs danseurs.

<< Dans les contredanses, on avait soin de ne point « mettre sa main dans celle de la reine et des prin«< cesses, mais de tendre la sienne, pour recevoir la leur, parce que mettre sa main dans une autre est << une action qui suppose la confiance d'être reçu ; «tendre sa main n'est qu'un espoir.

« Au moulinet des Dames, les deux personnes oppo«<sées à la reine et aux princesses se donnaient la <«< main en dessous et le plus bas possible, laissant un << grand intervalle entre leurs mains et celles de la << reine.

« Les hommes faisaient la même chose pour les « princes.

་་

« Ainsi le respect et l'étiquette au bal, pour la reine.

« et les princesses, le roi et les princes, étaient absolu«ment semblables.

« Lorsqu'un prince invitait une dame à danser, elle «< ne pouvait pas lui dire qu'elle était engagée, qu'elle le « fût ou non, elle devait accepter.

«Les princes, ainsi que les particuliers, avaient la po

«<litesse de reconduire leurs danseuses jusqu'à leurs « banquettes, en leur donnant la main, après la contre<< danse.

« Quand, en passant, ils s'arrêtaient pour parler à « une femme, aussitôt elle se levait, ce qu'aucune femme, quelque jeune qu'elle fût, ne faisait pour un autre <«< homme de la cour, quel que fût le rang de cet << homme.

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« Cette marque de respect ne se donnait qu'aux princes du sang et aux ambassadeurs des puissances « étrangères, parce qu'en public ils représentaient leurs << souverains.

« Le prince, dans ce cas, priait la dame de s'asseoir, « ce qu'elle faisait, parce que le vrai respect est d'obéir; << on ne conteste en politesse qu'avec ses égaux, ou ceux << qui le sont à peu près ».

Un goût qui se développa de plus en plus à Versailles fut celui du théâtre. L'on aurait pu, à ce sujet, adresser à beaucoup de grandes dames ces vers d'une épigramme de Maynard:

« Quoique ton confesseur te die
«De l'enfer et de ses démons,
« Margot, pour une comédie

« Tu quitterais mille sermons ».

Cependant, les hommes et les femmes de la cour entendaient pourtant à la comédie d'assez piquantes choses sur leur compte.

Molière, surtout, Molière à qui Boileau adressait cette

stance:

« Laisse gronder tes envieux;

«< Ils ont beau crier en tous lieux

« Qu'en vain tu charmes le vulgaire,

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